Safecity : épinglez les sales types !

Imaginez une plateforme Internet qui recenserait toutes les agressions que subissent les femmes. Du regard mal placé au viol en passant par le sifflement, les insultes et les attouchements. C’est l’idée qu’ont eu ElsaMarie Dsilva, Surya Velamuri et Saloni Malhotra. Ces trois femmes indiennes, respectivement âgés de 41, 35 et 32 ans, ont créé Safecity. L’idée , « Pin the creeps » :  épinglez les sales types !

La plateforme a été créé suite à un programme de management  du Sweedish institute, organisé en Inde pour une vingtaine de professionnels venus de différents secteurs : commerce, industrie ou secteur public. Les trois femmes s’y rencontrent et décident alors de construire cette cartographie particulière. Elles lanceront l’application après le viol de l’étudiante de 23 ans en décembre 2012.  Pour elles, « si les femmes restent silencieuses, cela va devenir une routine et c’est là que se pose le problème ».

Citoyennes au rapport !

N’importe qui peut enregistrer son témoignage sur Safecity. Ce dernier est généralement anonyme, mais libre à l’auteur-e de préciser son identité s’il ou elle le souhaite. « En général, les auteur-e-s ne sont pas très à l’aise avec cette idée », précise pourtant ElsaMarie Dsilva, directrice générale.

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Le témoin ou la victime doit ensuite choisir une catégorie : avances, regards lubriques, viol, commentaires, attouchements et même, faible lumière, dans le cas la personne veut simplement indiquer qu’un lieu est peu éclairé la nuit. Il est également possible de poster une photo voire même une vidéo.

Pour les trois Indiennes, cette cartographie et les rapports qui en résultent sont un instrument supplémentaire pour la police qui peut utiliser ces données pour « sécuriser la zone » et « augmenter la protection ». « Tous les quinze jours, nous transmettons un rapport à la police de Goa. A Delhi, réussir à joindre la police prend plus de temps, mais nous aimerions également réussir à le faire », déclare ElsaMarie.

Un outil de prévention qui évolue

Safecity est donc avant tout un outil de prévention. Pour protéger les femmes victimes d’harcèlement et de violences, pour les « faire réagir et partager, car c’est quand on arrête d’en parler que c’est un problème. Il faut faire en sorte que ces agissements soient inacceptables », explique la directrice.

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Depuis peu, des organisations indiennes ont demandé à  Safecity d’intégrer à la cartographie les cas de haines raciales, des atteintes aux respects des LGBT et aux personnes handicapées. Les jeunes femmes mettent également en place des ateliers pour expliquer comment reconnaître le harcèlement et comment s’en défendre, mais également pour instaurer un dialogue entre les deux sexes et de ce fait faire baisser le nombre des violences.

Safecity face au conservatisme

En demandant à un homme ce qu’il pensait de cette application, son attitude était positive mais son discours restait conservateur : pour lui une femme ne doit pas provoquer avec sa tenue vestimentaire. « Si je mets mon portefeuille avec mon argent à la vue de tout le monde, je ne peux pas en vouloir au voleur de me l’avoir volé ! », nous a-t-il affirmé.

Ce discours-là a également été celui d’un certain nombre d’Indiens, lors du viol médiatisé de 2012. Pour eux, le viol a eu lieu parce que la jeune fille avait provoqué ses agresseurs tandis qu’elle était avec son ami. « Je suis pour que les violeurs de Delhi soient condamnés à mort, mais il faudrait aussi une loi pour empêcher les femmes de porter moins de vêtements et de sortir avec des garçons qui ne soient pas de leur parenté. Quel besoin ont-elles de se promener la nuit avec des hommes qui ne sont pas de leur famille ? Il faudrait y mettre un frein. », aurait ainsi affirmé Abu Asim Azmi, président du parti Maharashtra Samajwadi, selon le site wikipédia.

Safecity se développe et s’exporte

Ce sont des idées comme celles-là que les ateliers de Safecity cherchent à changer. Le groupe a un répondeur qui  permet à toute personne de les contacter. Ils ont également organisé des simulations de harcèlement de rue avec des volontaires. Mais, « nous avons dû arrêter parce que sur 200 personnes seule une ou deux personnes maximum ont réagi » face aux harcèlements. « Le changement prend du temps », affirme ElsaMarie.

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Malgré la difficulté de leur mission, l’idée a du succès et Safecity s’exporte. « Ce n’est pas un problème spécialement indien », précise ElsaMarie. Résultat, les trois filles travaillent par exemple avec l’organisation SEEW (Social Empowerment by empowering women) au Népal. Cette dernière dénonce le manque de transport en commun pour les femmes. « Des amis à nous étendent notre plateforme chez eux. » Résultat, à Nairobi, au Brésil et au Bangladesh, des cartes pointant les harcèlements commencent à voir le jour. « La première carte des harcèlements a été lancée en 2010, en Egypte on n’est pas les seules ».

Safecity est actuellement sponsorisée par des entreprises et des institutions, mais le groupe est toujours à la recherche de fonds. L’application cherche en effet encore à se développer. Nous pensons à « une application mobile qui enverrait une alerte via mail par exemple ou une notification », projette ElsaMarie.

Avec plus de 35 000 abonnés Facebook, et 4000 rapports couvrant 50 villes indiennes, Safecity pourrait devenir un instrument de prévention important aux mains des autorités luttant contre la violence faites aux minorités.

(Crédits Photos: ElsaMarie Dsilva )