Silence dans l’industrie musicale : l’affaire Kesha ou l’impossible libération de la parole

Petit rappel des faits. En 2014, Kesha attaquait en justice Lukasz Gottwald, Dr. Luke, qu’elle accusait d’avoir abusé d’elle pendant une dizaine d’années. La chanteuse Américaine a demandé à être libérée du contrat qui la lie, pour six albums supplémentaires, au label qui les réunit et à sa maison de disques, Sony. Vendredi 19 février 2016, la justice new-yorkaise a rejeté cette requête. Au cours du procès qui l’oppose à Dr. Luke, Kesha aurait évoqué dans le détail les années d’abus qu’elle aurait subies mais également les menaces qu’aurait fait planer sur sa carrière le producteur, au cas où elle briserait le silence.

Si l’on peut se réjouir du soutien que recueille la chanteuse sur les réseaux sociaux où a été lancé le hashtag #freekesha, et où de nombreuses stars ont exprimé leur soutien, cette affaire pose de nombreuses questions. Kesha est une artiste à succès, jeune, dont le physique correspond aux canons de l’époque, riche, et blanche. Pourtant, malgré cette situation que l’on peut qualifier d’enviable, la justice ne la protège pas de celui qu’elle désigne comme son agresseur. On pointe du doigt l’absence de preuves médicales notamment, et également le temps mis par la jeune femme à parler.

Le silence, une protection

La question du silence des victimes d’abus sexuel est au cœur de cette affaire. Comment, lorsque les femmes ne se sentent pas protégées par le système judiciaire, pourraient-elles s’exprimer ? Comment pourrait-on dans ce contexte envisager une quelconque libération de la parole des victimes ?

Les violences sexuelles différent des autres formes de violence en ce qu’elles touchent les femmes dans leur intimité. Libérer la parole, c’est toujours courir le risque de revivre le traumatisme. Le silence apparaît comme un refuge plus sûr quand on considère le doute qui plane sur la moindre accusation de viol ou d’abus sexuel.  

La culpabilité est un sentiment fréquent qui empêche de libérer la parole. Mais la honte est inhérente à cette forme-même de violence qu’est l’agression sexuelle : les femmes, objectisées  par la société, ne prennent pas le risque de libérer une parole qui pourrait se retourner contre elles. Non seulement, la culpabilité même de l’agresseur peut être niée mais en plus la victime elle-même pourrait être mise en cause. La question du silence est un cercle vicieux : la société entoure les violences sexuelles d’une chape de silence que les victimes n’osent pas briser de peur d’être pointées du doigt.

Les violences sexuelles touchent toutes les femmes

Peu importe le milieu social ou culturel, peu importe l’origine ou l’espace géographique, les violences sexuelles touchent toutes les femmes. Or maintenir le silence, comme le font la plupart des médias qui ne font qu’effleurer la question des abus sexuels dans le traitement de l’affaire qui oppose Kesha à son producteur, contribue à faire du viol ce qu’il est en réalité : le signe évident, indépendamment de tout facteur socio-culturel, de l’oppression des femmes.

Libérer la parole et écouter les victimes de violences sexuelles reviendrait à reconnaître un système sexiste dans lequel la domination masculine est insidieusement inculquée aux hommes et intégrée par les femmes. Et c’est la raison pour laquelle il est impératif d’entendre les victimes lorsqu’elles parviennent à enfin rompre le silence.