Body-positif : on fait le point sur la grossophobie

Le féminisme a pour but l’émancipation des femmes. Or, il n’y a pas d’émancipation sans « body-positivity ». Le féminisme body-positif – malheureusement, trop de termes n’ont pas encore trouvés d’équivalent en français – repose sur l’idée que l’émancipation passe aussi par les corps. La société impose un modèle unique : blanc, valide, et mince (et si possible cisgenre et hétérosexuel). Point de salut en dehors de ce modèle, prôné comme dominant alors qu’il ne l’est pas, nous sommes quand même à peu près 7 milliards…

Le féminisme body-positif rejette ce diktat du « corps idéal » : accepter son propre corps, tel qu’il est a aussi pour enjeu de cesser de ne voir les autres corps qu’à travers le prisme déformant de ce modèle prétendument idéal. Promouvoir l’estime de soi revient à lutter contre les stéréotypes quels qu’ils soient qui emprisonnent les corps dans des modèles qui, en plus, ne vont à personne.

Nous avons fait le point avec des blogueuses engagées dans la lutte contre la grossophobie : Olga, qui a créé le blog « L’utoptimiste« , Gaëlle, du blog Mince, t’es grosse ! Et Laurence, qui blogue sur Coups de Gueule de Lau et modère le groupe facebook « Anti-grossophobie/fat-shaming ».

Tout d’abord, une petite mise au point : qu’appelle-t-on “grossophobie” ?

Gaëlle : La grossophobie, c’est une oppression envers les personnes gros.ses, qui se manifestent comme toutes oppressions par des « blagues », des remarques, des commentaires et des jugements.

Olga : On appelle « grossophobie » les discriminations faites aux personnes « non minces », c’est à dire les gros.ses. Et tous les autres euphémismes qu’adorent médias et marques de fringues (rond.e.s, dodu.e.s, bien en chair… etc), parce qu’utiliser l’expression « gros.se » met autant les gens dans l’embarras que la vue d’un corps « grassouillet », lorsqu’il ne s’agit pas d’utiliser ce mot comme une insulte, bien sûr. C’est ça aussi, la grossophobie.

Crédits © Illustration de Diglee  à voir sur http://diglee.com/

Justement, c’est une insulte “gros.se” ? Ou finalement, c’est le fait de considérer ce terme comme insultant qui est problématique ?

Olga : « Gros.se » est un simple adjectif. On l’a oublié. Mais en vrai, dire « je suis gros.se », ça revient au même que de dire « j’ai les yeux verts » : une information pour décrire un physique, ni plus, ni moins. Sauf qu’aujourd’hui, pour la plupart des gen.te.s, c’est une insulte, oui. Car dans notre société qui valorise la minceur, le régime, le sport, la détox et autres « #healthy » à outrance, quelqu’un.e de gros.se est forcément feignante, sale et repoussante. Donc pour beaucoup de gros.ses, il est encore difficile d’apprivoiser ce terme.

Pourtant, se le réapproprier est une arme formidable pour faire la paix avec son corps, soi-même, et s’affirmer. Ça décontenance beaucoup, d’ailleurs, quand on l’annonce d’emblée (sans s’auto-taper dessus sous couvert d’humour pour que les autres ne t’attaquent pas avant, stratégie de défense très commune) on a souvent le droit à des « mais nan t’es pas gros.se, t’es belle.eau/t’es juste enrobé.e » ! C’est le moment idéal dans la conversation pour vraiment créer le malaise, puis la réflexion, en interrogeant ses interlocut-rice-eur-s sur la présupposée incompatibilité de la grosseur et de la beauté.

Laurence : Je pense que c’est surtout le fait de le considérer comme insultant qui est problématique.
Personnellement, je me définis comme grosse. Mais ça ne fait pas très longtemps que j’arrive à me réattribuer ce terme, et à le dégager de tout le sens péjoratif et insultant qui y est ajouté dans la société. […] Pour donner un exemple – le mien, tant qu’à faire – pendant des années, pour moi, « grosse », c’était associé aux insultes que j’ai subies pendant plusieurs années de harcèlement scolaire.

Donc me définir comme grosse, c’était carrément angoissant et assez insupportable. D’où le fait que j’aie eu besoin de tout ce temps pour pouvoir me réapproprier ce terme et le dégager de son côté insultant.

[Il] est important de déstigmatiser le terme « gros.se », d’arrêter d’en faire une insulte et un truc honteux. Mais attention quand même à ne pas, avec les meilleures intentions du monde, le claquer dans la gueule d’une personne qui n’est pas prête à faire ce pas. […]

Crédits © Illustration de Diglee  à voir sur http://diglee.com/

Comment se manifeste la grossophobie au quotidien ?

Laurence : Oula. De tellement de manières différentes que ça va être méga long de faire une liste exhaustive. Par des remarques « pseudo-bienveillantes » ultra infantilisantes (« tu devrais faire attention à ton poids, c’est pour ta santé », « tu as un joli visage, il suffirait que tu perdes juste quelques petits kilos pour être une vraie bombe »). […] Par des insultes et des moqueries aussi : […] Je l’ai vécue le plus à l’école – ça a été la pierre angulaire du harcèlement scolaire que j’ai vécu, d’ailleurs… Mais aussi dans les transports en commun, dans la rue, dans tout ce qu’il peut y avoir comme lieux publics. Et parfois même dans le cadre privé, venant de personne dont j’étais proche, ce qui n’a rendu la chose que plus douloureuse. [Mais c’est aussi présent] par de la discrimination à l’embauche et, de manière générale, dans le monde du travail [ou] par des maltraitances médicales. La grossophobie du milieu médical n’est vraiment pas anecdotique. Il est très difficile d’aller chez le médecin sans recevoir continuellement des injonctions à maigrir.

Olga : La grossophobie prend de nombreuses formes. Il y a ce qui saute aux yeux : les insultes et les blagues autour des gros.ses, bien sûr. Mais c’est encore plus insidieux que ça. Nous vivons dans un monde « pensé par et pour » des minces : on a toujours le risque de ne pas arriver à attacher sa ceinture dans l’avion, pour peu qu’on ne rentre pas dans le siège, on peine à s’habiller convenablement, on ne voit jamais de gros.ses dans les représentations collectives que sont les films, séries, publicités et magazines outre pour s’en moquer ou pour une « BA occasionnelle »…  Nous sommes invisibilisé.e.s. Notre simple existence pose problème.

Dans ce terreau fertile pour elle, la grossophobie a bien donc des visages… Elle peut discriminer à l’embauche aussi bien qu’elle peut tuer un.e personne atteinte d’un cancer car un médecin aura refusé de lui faire des examens la renvoyant seulement à son poids, origine évidente de tous ses maux (vé-ri-dique !).

Le deuxième volet de notre entretien sera consacré aux liens entre grossophobie et sexisme.

Quelques liens pour patienter :
L’utOptimiste
Mince, t’es grosse !
Coups de Gueule de Lau

Les illustrations de cet article sont de Diglee que nous remercions chaleureusement. Pour lire son blog et son article sur la grossophobie, c’est ici.