Sauvons Yagg ! Interview avec Maëlle Le Corre, journaliste à Yagg

Les Ourses à plumes : Yagg a annoncé être en grande difficulté financière ; concrètement que signifierait la disparition de ce média pour la communauté LGBTIQ ?

Maëlle Le Corre : Concrètement, ça signifie déjà qu’il n’y aura plus de média LGBT en France. Yagg est en effet le seul à couvrir l’actualité qui touche à la communauté LGBT dans son ensemble. Depuis quelques années, on voit bien que les médias mainstream s’emparent davantage de ces thématiques, ça coïncide avec les débats sur le mariage pour tous. Certains pourraient se demander quelle est vraiment l’utilité d’un média communautaire si c’est une info qu’on trouve ailleurs. Mais avoir un média qui reflète ce que l’on est en tant qu’individu, en tant que gay, que lesbienne, que bisexuel.le, en tant que trans, c’est aussi un moyen de se construire en tant que personne, d’être visible, de savoir d’où l’on vient en tant que membre d’une communauté qui a subi énormément de bouleversements ces dernières années.

Les OàP : Le site américain AfterEllen, qui a inspiré Yagg, ferme ses portes: dirais-tu qu’il y a des difficultés particulières pour les médias lesbiens (comme il y a plus de difficultés pour les bars lesbiens, qui sont moins nombreux et moins pérennes) ?

Maëlle Le Corre : Oui et Heather Hogan d’Autostraddle (un autre media lesbien) l’explique bien, et je la cite : « Afterellen a été acheté par Totally Her! Elles avaient l’argent d’une grande entreprise! Mais ce n’est pas la solution, n’est-ce pas? Même avec ces moyens, elles n’ont pas pu faire des profits. Je crois que ce serait la même chose pour nous – d’ailleurs, je sais que ça le serait, car Totally Her a tenté de nous vendre de la publicité pour notre site, et ça n’a pas marché. Il n’y a qu’un moyen pour que des sites comme le notre survivent et c’est votre soutien.» Ce que dit Heather Hogan est très juste: si on veut que nos lieux, que nos médias vivent, on ne doit pas compter sur les grandes entreprises pour les financer, c’est à nous de le faire. C’est une des raisons pour lesquelles Yagg a fait le choix du payant au printemps 2015. Si la communauté LGBT veut continuer à avoir un média (et en France, elle n’en a qu’un seul malheureusement), elle a aussi une responsabilité. Concernant les médias et lieux lesbiens, il y a évidemment la problématique de l’invisibilité des lesbiennes dans l’espace public, donc oui, il y a des difficultés particulières.

« Si on veut que nos lieux, que nos médias vivent, on ne doit pas compter sur les grandes entreprises pour les financer, c’est à nous de le faire. »

Les OàP : Est-ce que tu dirais que Yagg est un média féministe? Si oui pourquoi?

Maëlle Le Corre : En étant un média LGBT, on a presque, je dirais, l’obligation d’être féministe. Yagg est un média engagé qui soutient les revendications qui sont aujourd’hui portées par le milieu militant LGBT, par exemple l’ouverture de la PMA pour les couples de femmes et les femmes célibataires, car aujourd’hui toutes les femmes ne disposent pas des mêmes droits sexuels et reproductifs. Yagg soutient aussi la facilitation du changement d’état civil pour les personnes trans, qui sont aujourd’hui dans l’obligation de subir des traitements voire une opération de stérilisation pour obtenir des papiers qui correspondent à leur identité de genre. Soutenir le changement d’état civil libre et gratuit, soutenir l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, c’est aussi revendiquer le droit à disposer de son corps, et c’est une revendication féministe. Au-delà de ces questions, le combat féministe et le combat des minorités sexuelles sont historiquement liés. En tant que média, on a le devoir de ne pas l’oublier.

Les OàP : Alors, Yagg peut-il encore être sauvé? Si oui comment?

Maëlle Le Corre : Yagg peut être sauvé, et on espère, le sera. Il y a déjà un moyen simple : s’abonner, mais aussi tout simplement parler de Yagg autour de soi, partager nos articles sur les réseaux sociaux. Et pour les personnes qui le souhaitent et qui le peuvent, il y a aussi la possibilité de faire des dons. Au-delà, nous cherchons activement un repreneur ou une repreneuse pour investir dans l’entreprise, et nous permettre de continuer.

Yagg aura 8 ans en novembre. Site d’information participatif, réseau social, plateforme de blogs et webTV, Yagg est reconnu site de presse d’information politique et générale.

Maëlle Le Corre est journaliste à Yagg. Elle écrit sur l’actualité française et internationale, et est en charge de la rubrique « Culture & Loisirs ». Retrouvez ses articles ici, et ses tweets .