Le forum Blabla 18-25 du site jeuxvideo.com a depuis quelques années déjà acquis la renommée de « ruche à fiel » ainsi que titrait L'Obs le 27 septembre 2015. Les membres du forum qui se surnomment entre eux les « kheys » forment une communauté soudée et se sont notamment illustrés par de nombreux raids anti-féministes. Le dernier en date a été occasionné par le lancement d'un mot-clé sur Twitter : #HelloJVC.
Jeuxvideo.com abrite l’un des forums les plus actifs de France : « Blabla 18-25 ». À chaque polémique, les membres s’enorgueillissent. Les sujets explicitement homophobes, transphobes, misogynes et antisémites sont légions. À tel point qu’il est délicat d’être exhaustive. De nombreux articles ont recensé les propos haineux diffusés sur le forum, qui laisse une grande liberté à ses utilisateurs et utilisatrices. Aujourd’hui encore, il était possible de lire une discussion intitulée : « Une meuf se fait violer dans un train, vous la défendez? ».
Certains utilisateurs s’amusaient et se proposaient au contraire « d’aider le violeur ». Les propos sexistes et misogynes du forum ont fait l’objet d’articles, sur L’Obs ou le Monde, ou encore sur le site Madmoizelle. L’article avait suscité à l’époque le premier appel à faire un « raid contre les féministes » gentiment qualifiées à l’époque de « féminazies ».
Le 4 janvier dernier, excédée, Sophie décide de lancer un hashtag sur Twitter : #HelloJVC. Cette initiative a mis en ébullition la communauté du forum. Ce sont les messages haineux qu’elle recevait sur Twitter de la part de membres du forum qui ont motivé la twitta à lancer ce mot-clé sur le réseau social : « J’avais déjà eu affaire au 18-25 avant cette histoire. Là, ça a commencé mardi dernier. J’ai l’habitude de raconter une bonne partie des comportements sexistes dont je suis victime, dont les cas de harcèlement ou d’agression dans la rue. Lundi dernier, un mec m’a agressée, et j’ai eu de la chance de pouvoir m’en sortir avec rien de plus que des bleus. J’en ai parlé sur Twitter, et une dizaine de types du forum me sont tombés dessus en me disant que j’aurais mérité qu’il m’arrive pire, qu’à la place du mec ils m’auraient violée, ce genre de choses. Là, il m’a semblé que c’était encore différent par rapport au harcèlement habituel, et je me suis mise à la place d’une fille avec moins de force de caractère. Il suffit que tu sois mal, qu’une dizaine de gars viennent te dire ça, et tu peux facilement avoir les pires pensées, de la dépression au suicide. Je me suis dit que ça avait assez duré, que je voyais ces histoires se répéter non stop et qu’il était temps d’agir, d’où le hashtag, pour montrer que c’était pas uniquement un problème occasionnel mais vraiment quelque chose de massif. »
Le nombre de témoignages reçus a tout de suite été très élevé. Eve, qui a participé au lancement du hashtag raconte : « Quand Sophie est venue me voir pour me dire qu’elle voulait lancer un truc, j’ai accepté direct, et on s’est mis d’accord sur le hashtag, j’ai eu beaucoup de retours suite au premier tweet appelant au témoignage. » Dès lors, les insultes ont commencé à pleuvoir. Les membres du forum ont alors appelé à lancer un raid contre les féministes qui n’ont, selon eux, pour but que de faire fermer le forum.
Pourtant le problème n’est pas exactement celui-ci, explique Eve qui a soutenu dès le départ l’initiative de Sophie : « Le but était d’interpeller Webedia et Jeuxvideo.com sur les problèmes liés au 18-25 et à une modération trop passive. On voulait leur faire comprendre que nous étions beaucoup, dedans et hors forum, à en souffrir. La vague de harcèlement qu’on subit depuis est bien la preuve qu’il fallait que cette histoire sorte. »
Les féministes à l’origine du hashtag ont ensuite créé un compte twitter dédié @HelloJVC et un Tumblr pour regrouper les témoignages, estimant qu’ils ne devaient pas tomber dans l’oubli : « J’avais déjà été contactée par plusieurs journaux, j’avais vu passer bon nombre de témoignages, je me suis dit qu’il fallait que tout ça reste ailleurs que par tweets qui auraient disparu assez vite, d’où le tumblr. » nous explique Sophie.
L’intérêt des médias a décuplé la haine des « kheys », comme l’atteste l’agressivité avec laquelle ils s’en sont ensuite pris au journaliste de BuzzFeed Jules Darmanin qui expliquait les différentes étapes de l’affaire. Dans son article, le journaliste démontre comment les modérateurs et modératrices du forum sont dépassé.e.s par les membres et souligne la difficulté de modérer ce qui se veut être un espace de liberté. Il faut également évoquer le harcèlement subi par la journaliste de LCI, Anais Condomines, qui est allé très loin suite à son article sur le sujet.
Depuis le lancement du hashtag, du compte Twitter et leur couverture médiatique, les conséquences ont été lourdes pour celles et ceux qui ont osé témoigner. Marie témoigne aussi : « Oui puisque j’ai vu qu’ils avaient mis un lien de mon compte instagram mais sur un site tiers (le topic a été supprimé, le lien aussi) je ne sais même pas si mettre mon compte en privé sert à quelque chose ».
Même chose pour Eve, qui a aussi subi de nombreuses insultes et menaces : « Je suis passée « privée » une après midi quand il y a eu une tentative de cracker mon twitter et mon adresse postale. Les modérateurs nous invitent à signaler directement depuis le site, mais nous n’appelons pas à la modération de messages spécifiques, mais à une révision globale des conditions de modération. »
Aujourd’hui, quand on parcourt le forum, il semblerait que le travail de modération ait été mieux effectué, comme l’attestent d’ailleurs les nombreux sujets visant directement l’un des modérateurs. Les cyber-harceleurs du 18-25 crient à la liberté d’expression et revendiquent une sorte de droit à une parole haineuse décomplexée.
D’autres histoires, tristement similaires, rappellent s’il en était besoin que la lutte contre le cyber-harcèlement en est à ces balbutiements. C’est le cas du non-lieu prononcé dans une affaire de cyber-harcèlement à l’encontre de Caroline de Haas.
Même si la lutte contre le cyber-harcèlement fait son entrée dans les plans d’action gouvernementaux contre les violences faites aux femmes, le cyber-sexisme semble malheureusement avoir de beaux jours devant lui.
