Jackie : une rose empourprée

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© DR

Le film Jackie de Pablo Larrain ne se perçoit pas comme un biopic. Il ne faut pas s’attendre, en allant le voir, à connaître la vie de Jackie Kennedy depuis sa naissance ou à apprendre des éléments de sa vie qui l’amèneraient finalement à parler de l’assassinat de son mari. C’est bien cet événement qui est le point de départ de tout le film et le récit de sa vie ne se fait qu’à partir de cet événement là.

Parler de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy à travers le vécu de sa femme est un choix qui pose d’emblée des questions féministes. Et paradoxalement, ne montrer de la vie de Jackie que ce qui se rapporte à l’assassinat de son mari, est aussi une volonté féministe en ce qu’elle révèle le véritable carcan de la condition féminine des années 60. Jackie est une femme née dans l’opulence. Ceci n’est pas raconté, mais le jeu de Natalie Portman et les allusions du journaliste au début de son interview sont assez efficaces pour qu’on le comprenne. En épousant John Fitzgerald Kennedy, elle prolonge avec lui cette vie luxueuse, tantôt sereine, tantôt festive. On a la sensation que ce confort l’a maintenue dans un état de fragilité face à l’adversité et que la mort de son mari va réellement la mettre à l’épreuve. Elle qui avait été journaliste autrefois, a abandonné sa profession et est restée dans l’ombre de son époux, malgré sa surexposition médiatique. Par ailleurs, elle a vécu dans des lieux sublimes mais n’en possède aucun.

Sa seule initiative demeure cette entreprise de restauration des œuvres d’art de la Maison Blanche dont la visite filmée représente le plus visiblement la niaiserie imposée à une femme présentée en public. Son assistante veut la rassurer car il semble que cette attitude s’explique par un manque de confiance en elle. Son aide paraît sincère mais à cause de cela, devant les caméras, Jackie se fige dans la posture de première dame : obligation du sourire qui se crispe, minauderie dans le regard et voix faussée de midinette. Avec la mort de son mari, Jackie ne peut plus échapper à la question du sens de sa vie. Seule dans la grande maison froide, les longs couloirs, sous les hauts plafonds, à travers les grandes portes, ce qui reste d’elle erre. Tout ce qu’elle a à sa disposition pour se divertir elle ne peut plus le partager et ne fait que se demander ce qu’elle va faire à présent et qu’est-ce qui aura du sens ensuite. Jackie n’est donc pas une révolutionnaire mais l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy est comme un coup de projecteur braqué soudainement sur elle. Le monde entier se tourne vers elle, elle porte l’honneur des nations unies sur ses épaules. La vie lui donne alors le choix entre s’écrouler ou lutter. Elle devient courageuse par la force des choses, montre qu’il n’y a pas de petit acte de résistance et qu’ « on peut perdre des combats et gagner la guerre ». Cette volonté de donner des funérailles publiques éclatantes devient une vraie prise de risque pour elle et sa famille qu’elle parvient pleinement à assumer.

Un film émouvant

L’assassinat a pour conséquence l’effondrement de tout un petit monde bourgeois qui s’est forgé autour de Jackie depuis sa première jeunesse.

Il est aussi bien évidemment la perte d’un être aimé, dans des circonstances particulièrement atroces, et ce qui est certainement la plus belle réussite du film est la manière dont la tragédie est vécue intimement par Jackie.

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La mise en scène de Pablo Larrain fait de Jackie un film émouvant dans tous les sens du terme. La démarche de Natalie Portman qui vacille, titube, est aussi incertaine que les expressions de son visage, traversant des changements vifs et abrupts.

Les plus forts moments de résistance de Jackie se vivent pendant les différents plans de l’interview : après un regard perçant, les pleurs s’écoulent, se résorbent, puis la face redevient ferme et conquérante. Jackie se fragilise mais elle contrôle immédiatement ces moments de faiblesse et exige du journaliste qu’il les passe sous silence. Pablo Larrain recrée avec singularité le malaise, nous enveloppe dans ce chaos d’hésitations, cet entre-deux instable de souffrance et de force.

La musique du film composée par Mica Levi (alias Micachu) dont on a déjà pu apprécier les talents pour le film Under the skin de Jonathan Glazer, joue un rôle essentiel dans cette volonté : elle est chargée de dissonances inattendues, entrecoupées de silences, ou bien plus souvent, elle est une valse qui semble rythmer les mouvements des sensations de Jackie. Le traumatisme flirte avec le mélodrame mais ne s’y engouffre jamais.

Une réaffirmation de la vie

En apprendre plus sur le parcours personnel de Jackie Kennedy aurait pu questionner davantage son rapport au féminisme : le fait qu’elle ait choisi par exemple de ne pas vivre de ses rentes mais de faire de longues études aux États-Unis, puis en France, ou qu’elle ait exercé (aidée tout de même par son beau-père) la profession de journaliste.

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Le choix du metteur en scène a été de privilégier la douleur intime de cette femme au moment de cet événement historique et de valoriser un combat pour la vie qui tend à quelque chose de plus universel :

« L’idée d’immortalité ne peut exister que dans une société où l’idée de la mort est centrale. En faisant de quelqu’un un immortel, on le rend plus mort que jamais. Puisqu’il vit beaucoup plus dans les médias que dans le cœur des gens. Quand on demande aux gens où ils se trouvaient au moment de la mort de Kennedy, on reçoit un tombereau de petits incidents intimes qui n’ont rien à voir avec Kennedy, mais tout à voir avec l’anonyme à qui on a posé la question. L’intérêt d’une telle question c’est qu’elle nous rappelle que nous sommes bien vivants tandis que Kennedy est mort. Il faut mourir, paraît-il, si on veut devenir immortel. Donc la question ne s’adresse pas à la mort, mais au temps que la mémoire tente, fragilement, d’humaniser. »1 .

Le journaliste qui accusait Jackie d’avoir fait des funérailles de son mari un prétexte au « spectacle » repart à la fin de l’interview convaincu par sa sincérité. Ce n’est plus seulement par respect ou par orgueil que Jackie s’est lancée dans une telle entreprise, c’est peut-être bien plus pour réaffirmer la force de vie qui est en chacun-e de nous.

1LAFERRIÈRE, Dany, L’art presque perdu de ne rien faire, éd. Le Livre de Poche, 2017, p. 38-39.

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