Comment le langage efface les femmes

Anodin ? Inutile ? Le combat pour l’écriture inclusive a suscité de nombreux débats.
Le langage est la violence sexiste la plus quotidienne que subissent les femmes et les personnes non-binaires au cours de leur vie. Zoom sur quelques notions qui ont conduit à l’effacement du féminin dans la langue française.

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Les femmes ont été petit à petit effacées de la langue française. © Camille Berberat

 

Métiers

Mon médecin de famille est une femme et ma mère a toujours dit le mot « docteuresse ». J’ai trouvé ça bizarre pendant longtemps. À l’école on ne m’avait pas appris qu’on pouvait être docteuresse, poétesse, pompière, peintresse, ou autrice. Féminiser le langage donne une meilleure représentation aux petites-filles et leur offre une plus grande palette pour choisir leur futur travail Cela permet également aux femmes adultes une meilleure identification afin d’atteindre des postes hiérarchiquement élevés. Selon les époques, les femmes n’avaient pas le droit d’accéder aux métiers hiérarchiquement élevés. C’est une des raisons qui fait que l’on entend encore « président d’une entreprise », « Madame le Ministre » ou « enseignantchercheur » pour des postes occupés par des femmes. Aujourd’hui, près de la moitié des femmes en emploi se concentrent sur 10 corps de métiers.

Règles de grammaire

Jusqu’au XVIème siècle la langue était plus égalitaire qu’en 2018 ! Ce sont des grammairiens qui ont décidé au XVIIème siècle que le masculin était plus noble que le féminin. La fameuse formule « le masculin l’emporte sur le féminin » a des conséquences pour la construction des stéréotypes femmes-hommes : les hommes pourraient faire plus de choses que les femmes, peu importe s’il y a cinquante femmes et un homme dans la salle, l’homme sera toujours le plus important, etc. Or, au XVIème siècle, c’était la règle de proximité qui prônait. Madame de Sévigné faisait d’ailleurs la leçon à Gilles Menage : « Madame de Sévigné s’informant sur ma santé, je lui dis : madame, je suis enrhumé. Je la suis aussi, me dit-elle. Il me semble, Madame, que selon les règles de notre langue, il faudrait dire : je le suis. Vous direz comme il vous plaira, ajouta-t-elle, mais pour moi, je croirais avoir de la barbe au menton si je disais autrement ».

Neutre

La disparition des femmes dans le langage est survenue quand les grammairiens ont décidé que le masculin représentait la neutralité. C’est le même mécanisme dans la langue française, dire que le masculin englobe « tout le monde », équivaut à nier l’existence même des femmes et des personnes non-binaires (en ne leur attribuant pas un vocabulaire vraiment neutre). Par exemple, dire « les droits de l’Homme » et prétendre y inclure tout le monde, dont les femmes, revient à nier leurs droits.

Académie française

Depuis la création en 1635 de l’institution « chargée de définir la langue française par l’élaboration de son dictionnaire qui fixe l’usage du français », seules huit académiciennes y sont entrées. En 2018, elles sont cinq à y siéger. Un chiffre qui montre clairement que les règles de grammaire sont bien créées par et pour des hommes. Ainsi, lors de la mort de Simone Veil, l’Académie française a communiqué de cette manière : « Le Secrétaire perpétuel et les membres de l’Académie française ont la tristesse de faire part de la disparition de leur confrère Mme Simone Veil. »

Invisibles et dominants

« Un policier et sa femme tués », « France Gall, épouse de Michel Berger », « Simone de Beauvoir, conjointe de Jean-Paul Sartre »… Les médias jouent un rôle majeur dans l’invisibilisation des femmes à travers le langage. Pire que ça, ils instaurent un rapport de dominant/dominée et de hiérarchisation dans certains cas. Lorsque deux policièr·e·s sont tué·e·s et que les médias rattachent la policière à son statut marital et non à sa fonction professionnelle, ils sont sexistes.

Publique, légère

« Un homme public » désigne un homme politique, élu, près du peuple. « Une femme publique » désigne une femme qui vend son corps. « Un homme léger » est un homme qui ne se prend pas au sérieux, qui fait des blagues, « une femme légère » est une femme qui couche avec beaucoup d’hommes. De nombreux mots ne veulent pas dire la même chose au masculin et au féminin. Le plus souvent les insultes françaises envers les femmes renvoient d’ailleurs à leur vie sexuelle.

POUR ALLER PLUS LOIN : 
La collection Égale à égal propose de nombreux livres sur des thématiques liées à l'égalité dont un sur le langage : Le sexe des mots : un chemin vers l'égalité de Claudie Baudino. Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! d’Éliane Viennot. 
Le sexisme n’est pas la seule forme de discrimination de la langue française. Les personnes non-binaires seraient par définition inclu·e·s dans le masculin qui se veut neutre. Quelques ressources sur le neutre inclusif : https://lavieenqueer.wordpress.com/2018/07/26/petit-dico-de-francais-neutre-inclusif/
Cet article a été publié dans le premier numéro de notre revue papier féministe, publié en septembre 2018. Si vous souhaitez l'acheter, c'est encore possible ici.

 

3 commentaires sur « Comment le langage efface les femmes »

  1. Super article ! Je viens de découvrir votre blog et en tant que jeune femme queer qui travaille dans la culture, je trouve beaucoup de réponses à travers les sujets traités. Votre travail est toujours très réfléchi, nuancé et engagé. Merci pour tout ça, pour tout ce que vous faites, ça fait du rien de lire ce genre d’articles.
    J’ai écrit, dans la cadre de mes cours, un article similaire bien que je n’ai pas osé aborder la non-binarité redoutant la horde de questions (ce qui est totalement idiot de ma part, j’en conviens) donc que vous les incluiez dans votre article sur l’écriture inclusive est absolument formidable.

    https://lesdechainesdulivre.wordpress.com/2019/05/21/•-egalite-des-genres-un-point-cest-tout-•/
    (je vous mets le lien de mon article, il est vraiment très succinct et sûrement truffé d’erreurs et de messages parfois trop simplistes, mais voilà entre fervent•e•s défenseur•se•s du langage inclusif, je tenais à vous le partager).

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