Parce que le porno, dans le sens commun, c’est le porno mainstream, celui qui réduit la femme à un pur objet sexuel pour le plaisir orgasmique et égoïste du mâle tout puissant. Et s’il existait un autre porno, respectueux, éthique, où le plaisir est partagé et les corps féminins montrés tels qu’ils sont réellement ?

Éteignez tout, plus un bruit, ça commence : “une scène où j’ouvre la porte pour accueillir ma copine et on commence à s’embrasser. […] La réalisatrice nous a laissé faire notre vie dans le lit, sans directions précises, c’était à nous de nous rencontrer physiquement et d’explorer nos corps ensemble. […] On a eu des moments aussi, où on a ri ensemble, où on s’est mises à chantonner “ne me quitte pas”, de Jacques Brel. […] Et après, de voir mon corps en train de faire l’amour, ça m’a paru encore plus beau de faire l’amour”, raconte Ludmyllia, ancienne actrice de pornographie féministe, ayant joué dans ce film avec Sarah de Vicomte comme réalisatrice.
Repenser le porno
Souvent identifié comme appartenant au milieu mainstream, très tabou, très violent dans sa vision du sexe, le terme “pornographie” n’est pas très bien référencé dans l’esprit des gens. Et pour cause : le terme porno vient du grec pórnê signifiant prostituée. Quant au terme graphie, il vient du grec gráphô ou “peindre, écrire, décrire”. À l’époque des Lumières, à laquelle ce mot est apparu, il désignait plus spécifiquement l’étude de la prostitution. Mais aujourd’hui, nous sommes au XXIème siècle, et de l’eau a coulé sous les ponts…
Associée au terme “féministe”, la pornographie peut-elle être repensée ? C’est ce qu’ont fait des femmes telles que Virginie Despentes, Ovidie, Sarah de Vicomte ou encore Anoushka. Ces pionnières de la pornographie féministe présentent donc une pornographie d’un autre genre, bienveillante et consentie, respectueuse et aimante de tous les corps, passionnée ou BDSM, romantique ou purement sexuelle, douce ou cruelle.
Oui, c’est possible !
Véhiculer une image plus égalitaire de la sexualité : c’est l’idée principale de cette pornographie prête à tout faire exploser autour d’elle. Qu’est-ce à dire ? Tout simplement qu’il est possible de faire de la pornographie sans forcément passer par l’humiliation des femmes – entre autres. C’est possible – oui, possible, il s’agit d’un choix – de faire un film pornographique diversifié dans les corps, égalitaire dans les plaisirs, quel que soit le genre du /de la protagoniste. Le but d’une telle pornographie ? Ré-vo-lu-tion ! Et oui : placer les femmes sur le devant de la scène, sans les sexualiser au maximum. En bref ? Faire redescendre le “mââââââââââle” sur terre. Tout simplement.
Les prémices de la pornographie féministe arrivent notamment durant mai 1968 et la révolution sexuelle qui s’insère dans la révolution politique. Quelques femmes commencent à questionner leur rôle dans la société : genré et normé. Cette réflexion s’étend à la sexualité sans aller jusqu’à la pornographie. En 1970, paraît aux États-Unis Deep Throat, premier film pornographique. Dix ans plus tard, dans les années 80, ce même pays voit apparaître un féminisme pro-sexe, prônant la liberté des désirs pour une sexualité décomplexée.
En France, ce mouvement est apparu peu après et a eu plus de visibilité à partir des années 90, avec par exemple la parution du livre de Virginie Despentes : Baise-moi. Cette dernière adapte elle-même son livre en film en 2000, accompagnée de Coralie Trinh-Thi. C’est probablement le premier film pornographique féministe en France.
Et depuis quelques temps, on entend parler de cette pornographie féministe, en grande partie représentée par Ovidie, réalisatrice de pornographie féministe la plus connue du milieu. Entre Pornocratie (2017), Là où les putains n’existent pas (2018) ou encore Tu enfanteras dans la douleur (2019, Arte), ses autres nombreuses productions, et les multiples prix gagnés au fil des années, la réalisatrice s’est en effet faite remarquée, telle une flèche plantée en plein dans le cœur du patriarcat. Flèche qui continue de s’enfoncer, d’ailleurs, avec la réflexion entamée sur le consentement par le mouvement #metoo, engageant ainsi la discussion (ou presque) sur ces sujets encore tabous que sont le sexe et la pornographie. Peut-être est-il temps de dépuceler pour de bon ces thématiques…
Ces différents mouvements ont en tout cas rendu plus visibles les questions féministes dans les médias. Cela ne s’est pas fait dans la jouissance, mais Anoushka, réalisatrice de pornographie féministe affirme, qu’elle a “eu beaucoup plus de demandes d’interviews suite à ce mouvement-là [#metoo] par exemple, de gens qui ne connaissaient pas le porno féministe et le découvraient.”
Le consentement au cœur du tournage
“J’essaie de créer un cocon bienveillant pour que tout le monde se sente vraiment à l’aise, je mets les acteurs·rices en contact les un·e·s avec les autres plusieurs semaines avant le tournage afin qu’iels puissent faire connaissance par le biais des réseaux sociaux ou autre… Il s’agit de créer de la complicité, quelque chose de sincère. C’est toujours bien que les gens puissent discuter auparavant. Ensuite sur le tournage, on prend le temps”, ajoute-t-elle. Le but n’est donc pas d’être à fond sur la performance mais vraiment d’être à l’aise et d’obtenir quelque chose de réel. Et pour avoir des choses réelles, il faut s’investir humainement, ça ne peut pas être fake. Autour d’une discussion, les acteurs·rices vont définir avec Anoushka ce qu’iels aiment faire et ce qu’iels n’aiment pas du tout. “C’est ensuite moi qui vais m’adapter à ce qu’iels voudront faire et non l’inverse. Je ne vais en aucun cas les pousser dans quelque chose qu’iels n’auront pas envie de faire”, le consentement étant extrêmement important pour la réalisatrice.

Pour ce qui est des scènes en elles-mêmes, “c’est quand je dis “action !”, iels font ce qu’iels ont envie de faire”, le but n’étant pas d’avoir des positions fantastiques de souplesse, mais d’aller vers du réel, du quotidien. C’est Anoushka et son chef op’ qui vont chercher les plans qu’ils souhaitent. “Ce n’est pas découpé, pas scénarisé, les scènes de sexe vont vraiment se faire naturellement, on privilégie le lâcher-prise, parce qu’il n’y a pas de découpe.” dit-elle, “les acteurs·rices peuvent oublier très rapidement les caméras, les éclairages etc., parce qu’on ne les coupe pas en leur disant : “bon maintenant on passe à telle position !”, comme ça peut être le cas dans un porno plus mainstream”, ajoute-t-elle.
Des valeurs jouissives
La pornographie féministe, des avantages ? Oh, que oui, et jouissifs ! D’après Anoushka, ils sont multiples : “s’aider à mieux s’accepter, mieux découvrir son corps, être en prise avec ses fantasmes… Faire éclater l’idée que le porno, c’est que pour les mecs”, dit-elle malicieusement. Et puis, “ça peut aider à reprendre un peu le pouvoir sur son propre corps, sur ses propres désirs, sur sa sexualité et écraser certains tabous de la société patriarcale”…
Si l’image de la femme se veut si parfaite aujourd’hui, c’est aussi à cause de ces corps nus, sans poils aucuns, minces, retouchés, que l’on peut observer dans la pornographie mainstream. Or, Anoushka précise : “Par rapport à l’identification, je pense que la diversité des corps et des sexualités dans le porno féministe – pas que des femmes très fines, pas que l’hétérosexualité – permet de plus facilement s’identifier, plus facilement être touché·e par les histoires ; on aura des nanas qui ne sont pas forcément retouchées de la tête aux pieds ou épilées de partout.”
Pilosité, corps enrobés, formés, fins, seins, fesses, cuisses… Pas d’injonctions véhiculées à travers l’image du corps, ou de marketing du corps : plus d’acceptation de soi-même, puisque les personnes de l’écrans ressemblent à ces nanas qui regardent ledit écran, d’après Anoushka : “en toute liberté, sans gêne, en acceptant d’être libre sexuellement, en prenant du plaisir, ça donne envie d’arriver éventuellement à ce genre de plaisir.” Finalement, “je pense que le porno féministe est là pour remettre un peu l’église au milieu du village, que la sexualité c’est tout le monde qui la vit de façon différente, on peut avoir plusieurs regards dessus et pourquoi pas prendre en considération le regard d’une femme sur le sexe et sur le porno”, continue-t-elle.
Ludmyllia se souvient: “je ne voulais en aucun cas participer au monde du porno mainstream où – moi, je suis lesbienne – par exemple dans les scènes de porno lesbien, les femmes ont l’air de juste être là pour s’exciter avant l’arrivée du mâââle.” D’ailleurs, ce qu’elle retiendra de son expérience, c’est “[…] la bienveillance qu’il y a eue dans tout ce tournage […]. C’était comme un univers sécurisant où je n’étais pas jugée sur mon corps, sur ce que j’avais envie de faire avec Misungui, sur les pratiques à faire ensemble.”
Et oui, il est possible d’être hardcore, tout en veillant au consentement et au plaisir de l’Autre. C’est quand même ce qu’il y a de bien dans le sexe : lorsque c’est décomplexé, consenti et consensuel, tu peux découvrir ton plaisir à un moment, un endroit, auquel tu ne t’attendais pas… C’est le super-pouvoir du sexe !
Pour aller plus loin :
-Déconstruire le porno traditionnel avec Louise Courtois
-XX - Les femmes se réapproprient la pornographie, sur Youtube
-Le podcast Voxxx
Cet article a été publié dans le deuxième numéro de notre revue papier féministe, publié en décembre 2019. Si vous souhaitez l'acheter, c'est encore possible ici.
Un commentaire sur « Porno féministe : libre, consentant et jouissif pour tou·te·s ! »