LES FEMMES LBT NOIRES, ÇA EXISTE ! ÉPISODE 2 : UN TCHAT AVEC MANTSHA

Les femmes LBT+ noires ont toujours existé, de tout temps et en tout lieu, et pourtant leurs existences, histoires sont peu (re)connues. Marame (nom d’artiste MMTK), s’identifiant comme une femme noire lesbienne, produit une série de témoignages dessinés de femmes noires LBT (Lesbiennes, Bies, Trans), avec pour seul but de donner toute la visibilité sur leurs parcours, leurs combats, leurs projets, leurs identités. Seconde rencontre avec Mantsha.

©MMTK
  • Pronom(s) : elle, la
  • Lieu de résidence : Durban, Afrique du Sud
  • Musique du moment : Elle en est surprise elle-même: One direction (Gotta Be You, I can love you more than this)
  • Ses oeuvres : Chronicles of a Single Lesbian / The Different Faces of My Life: My Anthology / Life’s Tantrums: Love and Loss
  • Sa poétesse préférée : Personne. “Il est possible de puiser ses inspirations chez les autres, mais il faut également s’inspirer soi-même, et être la meilleure version de soi chaque jour”.

Nous nous sommes rencontrées pour la première fois lors de la 2ème Conférence Européenne Lesbienne à Kiev (Ukraine) en avril 2019. Ton prénom est Mantsha, mais tout le monde t’appelle Tonton. Tu peux m’en dire plus sur l’histoire derrière ce surnom ?

[Rire] Il se trouve que quand j’avais 20 ans, je faisais souvent du babysitting pour ma meilleure amie. Sa fille a grandi en m’identifiant comme un homme (du fait de mon apparence physique), d’où le surnom Tonton. Cette appellation est restée, à la maison, et dans le voisinage.  J’ai vécu toute ma vie dans ce quartier. Tout le monde me connaît, et m’a toujours acceptée telle que je suis.  C’est assez incroyable, même un de mes oncles m’appelle Tonton !

La Conférence Européenne Lesbienne (EL*C) est née en 2016, après un atelier auto-géré lors de la conférence annuelle de l’Ilga Europe. Partant du triste constat que les lesbiennes en Europe et en Asie Centrale sont invisibilisées, oppressées, que les associations lesbiennes sont sous-financées, et de l’urgence de créer un réseau, la première édition de la Conférence a donc lieu en 2017 à Vienne (Autriche), puis pour une seconde édition en 2019  à Kiev (Ukraine). Une troisième édition est prévue en 2021. Le but est de créer un lobby lesbien puissant en soutenant et renforçant le travail des associations et des activistes. https://europeanlesbianconference.org/

Comment dit-on lesbienne dans ta langue maternelle ?

En zoulou, on dit « Isitabane », mais ce terme ne fait aucune distinction entre les gays et les lesbiennes, et peut avoir des connotations négatives selon le contexte.  

Quand as-tu réalisé que tu étais lesbienne ?

J’avais 9 ans, et je n’étais pas tout à fait en mesure d’identifier, et de comprendre ce que je ressentais. Par la suite, à l’adolescence, et au lycée, j’ai toujours eu des petites amies.

La première fois que j’ai vraiment su que je vivrais ma vie en tant que lesbienne, j’avais 19 ans. J’étais tombée amoureuse d’une fille, et il me fallait absolument la présenter à ma famille. C’est à ce moment-là que j’ai fait mon coming-out en tant que lesbienne, lesbienne butch. C’était important pour moi que ma grand-mère m’accepte. Si ça n’avait pas été le cas, ma vie aurait pris un tout autre tournant.

« Apparu aux États-Unis dans les années 40, le mot butch, abréviation de « butcher » (boucher en anglais), désigne les lesbiennes masculines. Longtemps rejetée par la société hétéronormative, cette figure semble aujourd’hui dépasser son acception queer afin de s’ériger comme un nouveau modèle de représentation féminine plus large : celui d’une femme revendiquant avec fierté une allure virile en dehors des codes sociétaux et vestimentaires établis. » https://magazineantidote.com/societe/esthetique-butch-lesbienne/

Donc tu te définis en tant que butch?

Oui, je suis une butch, c’est qui je suis, de par ma façon de m’habiller, mais aussi d’exister dans l’espace.   Avoir une allure, une esthétique, et des codes dits masculins ne renient en rien  mon identité. On peut être butch et embrasser sa féminité.

Les gens ont parfois du mal à comprendre ce qu’est être butch, et cette ignorance mène à des moqueries, du dénigrement, sur les réseaux sociaux, et dans la vraie vie (cela peut tout autant venir de personnes hétérosexuelles que de personnes LGBT).  Je regrette que l’identité butch puisse être un sujet de raillerie dans nos communautés.

Plus jeune, j’étais souvent dans la critique, et le jugement, non pas parce que j’avais compris le monde, mais par manque de connaissances. Il en va de notre responsabilité individuelle comme collective de s’informer, s’éduquer avant d’exiger de la société qu’elle nous accepte et nous respecte comme nous le méritons.

En Afrique du Sud, il y a des crimes de haine, des viols correctifs,  des meurtres. Nous nous devons d’être uni·e·s pour survivre dans nos sociétés.

L’Afrique du Sud est le 1er pays au monde à avoir légiféré contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle, et le 5ème au monde à avoir légalisé le mariage entre personnes de même sexe. Et pourtant, les chiffres de référence des violences liées à l’orientation sexuelle et/ou l’identité de genre ne baissent pas pour autant. Qu’en est-il de la représentation des personnes LGBT+ dans les  médias ?

Une grande majorité des victimes de meurtres ou de viols correctifs sont des gays effeminés, et des butches, donc en soi des personnes accusées d’agir de manière trop féminine ou trop masculine selon les codes d’une société hétéronormative. Et pourtant les activistes sud-africains continuent leurs luttes malgré le danger, justice et sécurité étant rarement au rendez-vous. Selon moi, les médias ne jouent pas un rôle positif : la presse va couvrir (sauf pendant le mois des Fiertés), jusqu’aux détails les plus sordides, des crimes, viols, attaques à l’encontre de la communauté LGBTI.

C’est pourquoi j’écris sur la vie de tous les jours : nos vies sont différentes de ce que les gens peuvent voir à la télévision ou lire dans les journaux, nous avons des vies normales, voire banales, nous avons des carrières, nous sommes empli·e·s d’humanité. 

Pourrais-tu décrire en un mot la communauté LGBTI en Afrique du Sud ?

Solide ! Un exemple parmi tant d’autres : le projet Queer Wellness, oeuvrant pour la santé mentale de la communauté LGBTI.

En Europe, et plus récemment en France, des débats parfois houleux ont pris place dans les milieux féministes concernant l’inclusion des femmes trans dans le mouvement féministe. Qu’en est-il en Afrique du Sud ?

En Afrique, on s’accroche à nos croyances, et la transition est clairement incomprise. Comme je l’ai dit avant, tout est question d’éducation. Me concernant, les conditions de vie et les revendications de la communauté trans m’étaient peu accessibles. J’ai donc pris l’initiative de m’informer, et j’ai eu la chance d’avoir  la possibilité de poser mes questions. L’acceptation peut sembler parfois être un long chemin, mais nous devons plus que jamais avoir ces conversations difficiles plus souvent, afin d’avancer ensemble.  

Te considères-tu comme une féministe ?

Je suis pour le féminisme, je crois en la cause, mais je ne pense pas être assez légitime pour me dire  féministe.

Peut-on être une « bonne » ou une « mauvaise féministe » selon toi ?

Je ne crois pas en la perfection, et cela inclut le féminisme.

Peux-tu citer une féministe qui t’a guidée ?

J’ai pu me référer à certaines femmes, et prendre de bons conseils, mais j’aime garder un esprit ouvert, et que ma pensée ne soit pas diluée dans celle d’une autre personne. Si je devais citer des auteures, je dirais Chimamanda Ngozi Adichie, et StaceyAnn Chin.

Chimamanda Ngozi Adichie est une écrivain nigériane, son premier livre, « Hibiscus pourpre », publié en 2003, reçoit le prix du Meilleur premier livre du Commonwealth Writers’ Prize.  Elle publie en 2017 un manifeste d’éducation pour plus d’égalité entre hommes et femmes, « Chère Ijeweale ».
Staceyann Chin  s’identifie comme caribéenne, noire et asiatique, lesbienne. Poète, auteure, dramaturge, fervente activiste, elle est connue pour ses performances artistiques, notamment pour la co-production de Def Poetry Jam à Broadway.

Tu as donné au magazine sud-africain Uniq une interview en 2018, dans laquelle tu dis que tes livres racontent ton histoire.  

Je suis assez fière de mes livres, d’autant plus que j’ai tout fait toute seule (hormis le travail éditorial). J’ai pris des risques et ça a porté ses fruits : le public a par exemple bien accueilli  mon recueil de poèmes, « The Different Faces of My Life: My Anthology » ; et ma nouvelle, « Chronicles of a Single Lesbian ». Je me suis rendue à l’EL*C en Ukraine : voyager aussi loin, hors du continent, a été possible grâce à mes livres. C’est ma success story. Je regrette que ma grand-mère et ma mère ne soient pas là pour le voir. Mes écrits leur sont dédiés.

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Tu disais aussi que ton recueil de poèmes « The Different Faces of My Life » est sur la vie, l’amour, les relations humaines et Dieu. Comment trouves-tu ton équilibre en tant qu’auteure, lesbienne noire butch, et chrétienne ?

Je suis aussi technicienne topographe [rires] !

Je fais en sorte de savoir exister avec toutes mes identités. Mon credo : tu ne peux pas plaire à tout le monde, donc fais ce qui te plaît, et fais ce qui te rend toi.  

Es-tu libre et heureuse ?

Actuellement, oui. J’aurais 40 ans en mai, ma vie ne fait que commencer. Tout semble être à sa place, mis à part le Covid-19. Je vis une très belle relation avec ma compagne, mes livres marchent bien, et je suis épanouie au travail. Je peux donc dire que oui, je suis heureuse.

Amoureuse alors ?

Oui ! Phila Mbanjwa est mon amie, ma confidente, mon tout. Elle me connaît et me comprend à un tel point que ça me fait peur parfois. Je pense réellement que c’est un ange qui m’a été envoyée par Dieu.

Un mot sur tes prochains projets ?

J’ai commencé une nouvelle de science-fiction, et sur mon autobiographie. J’espère pouvoir en parler plus longuement bientôt !

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"S'il y a un livre que tu aimerais lire, mais qui n'a pas encore été écrit, alors tu te dois de l'écrire." ― Toni Morrison

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