Avec ou sans voile, Mamans toutes égales

Mamans toutes égales est un collectif créé en 2011, pour que les mères portant le voile ne soient pas exclues des accompagnements des sorties scolaires. Une bataille toujours d’actualité.

Manifestation du 10 novembre 2019 contre l’islamophobie. ©Ourse Malléchée

Le collectif Mamans toutes égales a été créé en avril 2011. Le ministre de l’Éducation de l’époque, Luc Chatel, avait soutenu publiquement une directrice d’école de Pantin qui discriminait les mères qui portaient un foulard et évoqué la mise en place d’une circulaire pour généraliser cet acte. Cet événement a réactivé les réseaux militants (notamment les collectifs Féministes pour l’Egalité et celui École pour TouTEs) qui s’étaient déjà mobilisés contre la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques françaises. « Les directeurs d’écoles se servaient de cette loi pour exclure les mères d’élèves voilées, alors que sa circulaire d’application précisait clairement que les parents d’élèves n’étaient pas concerné·e·s par la loi. Luc Chatel voulait publier une circulaire pour donner une ligne à suivre aux directeurs et directrices d’écoles. Mais cela n’a pas été si simple, car si interdire le voile à l’école à des jeunes filles faisait consensus (car on prétendait les protéger d’une obligation de le porter), l’imposer à des femmes adultes non-rattachées à l’Éducation nationale était plus compliqué et très paternaliste. C’est pour cela que le texte de la circulaire se contente d’émettre une simple recommandation, pour ne pas risquer d’être invalidée par la Haute Cour », souligne Ndella Paye, l’une des cofondatrices de Mamans toutes égales.

Ainsi, la circulaire signée en mars 2012 par Luc Chatel (applicable à la rentrée 2012-2013) stipule dans le paragraphe intitulé « Garantir la laïcité » : « Il est recommandé de rappeler dans le règlement intérieur que les principes de laïcité de l’enseignement et de neutralité du service public sont pleinement applicables au sein des établissements scolaires publics. Ces principes permettent notamment d’empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires. »

Cette circulaire, même si elle n’a jamais été abrogée, n’est plus valable depuis qu’une étude adoptée par le Conseil d’Etat en 2013 a rappelé que « l’usager du service public n’est pas, en principe, soumis à l’exigence de neutralité religieuse. Cette qualité est plus créatrice de droits que d’obligations, plus fonctionnelle, contingente et temporaire que celle d’agent ; elle n’implique, en elle-même, aucune limitation à la liberté d’opinion et de croyance, ni à la possibilité de les exprimer. […] Les agents personnifient un service qui doit être neutre, les usagers ne personnifient qu’eux-mêmes. » En d’autres termes, les accompagnant-e-s sont considéré-e-s comme des usag-ère-er-s de services publics, et non des représentant-e-s de l’État, comme le sont les enseignant-e-s.

Un bras de fer quotidien contre les exclusions

Le doute installé et la férocité des débats a cependant légitimé les discours islamophobes dans l’espace public, et certain·e·s direct-eur-rice·s d’écoles en ont profité pour légitimer des exclusions des sorties scolaires de mères d’élèves portant le voile. L’objectif non affiché des discours politiques et médiatiques était de faire croire à l’opinion publique qu’il y a un flou législatif pour obliger le législateur à voter une loi d’interdiction comme ce fut le cas de la loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux à l’école. Dans son texte de fondation, le collectif Mamans toutes égales affirme donc, suite aux constats d’actes islamophobes répétés vis-à-vis des mères : « nous serons, dans les mois qui viennent, femmes et hommes, avec ou sans foulard, solidaires pour défendre un droit élémentaire : le droit pour une femme portant un foulard de vivre, travailler, et s’impliquer aussi pleinement qu’elle l’entend dans la scolarité de ses enfants ».

La nécessité de la création d’un collectif était une évidence, pour créer un cadre propice à cette lutte. « Si certaines personnalités de gauche nous soutenaient, les organisations de manière générale ne s’engageaient pas trop sur ce terrain-là », précise Ndella Paye. Le collectif était contacté par les mères qui subissaient les exclusions et les soutenait dans leurs démarches pour dénouer les situations. « Nous essayions avec l’aide du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) d’abord de rencontrer la direction pour dialoguer, tenter une médiation, car souvent, il s’agissait d’une réelle ignorance. Puis, si cela ne marchait pas, nous prenions rendez-vous avec l’inspection académique. Un rassemblement était organisé devant en soutien, et le CCIF nous soutenait pour la partie juridique. Des personnalités, comme le spécialiste de la laïcité Jean Baubérot, participaient aussi à la phase de dialogue, notamment pour rappeler que la notion de laïcité était dévoyée », raconte la cofondatrice du collectif.

Une mère a par exemple obtenu au bout de plusieurs années de ne plus être exclue des sorties. Pendant tout ce temps elle refusait que son enfant aille aux sorties scolaires et l’y emmenait elle-même. Les mobilisations se sont succédées, au cas par cas, rendant difficile le développement du mouvement au niveau national, car il était très centré sur Montreuil même si le collectif conseillait toutes les familles qui le contactaient. « Nous avons eu beaucoup de victoires, mais aussi des défaites. L’une de nos craintes était que le gouvernement profite de ce climat islamophobe pour imposer le vote d’une loi excluant les mères portant le foulard, sur ce point notre mobilisation a payé », souligne Ndella Paye. Cette militante féministe, mère de trois filles, qui a toujours accompagné des sorties avec son foulard, s’est engagée dans ce combat suite à la loi de 2004. « Les élèves sont aussi des usagères du service public, elles n’ont pas à être exclues à cause de leur religion. C’est une décision patriarcale, islamophobe et sexiste, elle ne s’attaque qu’à des jeunes filles musulmanes”.

Un réseau en veille constante

Le mouvement s’est ensuite essoufflé, désaccords en internes, moins de mères exclues… « Il était aussi compliqué de s’organiser, car les mères pouvaient difficilement aller aux réunions le soir », souligne Ndella Paye. « Cela a été une lutte très douloureuse pour les mères, qui ont été très affectées par les violentes attaques islamophobes qui les visaient elles et leurs enfants. Cette lutte leur a pompé beaucoup d’énergie. Elles ont pris un peu de distance par la suite », ajoute-t-elle. Aujourd’hui, une liste e-mail et un groupe Facebook continuent d’exister. « Nous continuons d’être sollicitées pour de l’aide, mais surtout aussi pour signer des textes contre l’islamophobie et sur le féminisme ». Par ailleurs, des collectifs locaux se sont créés : « Sorties scolaires avec nous » au Blanc-Mesnil, « Toi plus Moi plus ma Maman » à Méru, ou encore « Ma maman l’école et moi » à Argenteuil.

Les attaques contre les mères voilées sont malheureusement toujours d’actualité. Pendant le débat sur la loi pour l’école de la confiance, de Jean-Michel Blanquer, votée à l’été 2019, a été encore évoquée dans les amendements la question du voile des accompagnatrices. Nous écrivons ces lignes quelques semaines après qu’un élu du Rassemblement national ait agressé verbalement une mère portant le voile, alors qu’elle accompagnait un groupe d’élèves à une séance du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté le 11 octobre 2019. Une nouvelle vague d’islamophobie est encore lancée, et les sénateurs de droite veulent en profiter, ils ont réussi à voter une loi pour interdire les signes religieux lors des sorties scolaires. Mais celle-ci devrait avoir peu de chance de passer…

Cet article a été publié dans le deuxième numéro de notre revue papier féministe, publié en décembre 2019. Si vous souhaitez l'acheter, c'est encore possible ici.

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Journaliste, cette ourse adore écrire sur les thématiques qui lui tiennent à coeur : discriminations, santé, féminisme, luttes… De formation littéraire, c’est une droguée de lecture et d’écriture, mais aussi une militante féministe et politique à ses heures perdues (ou gagnées !). Cette ourse est une gourmande qui ne résiste jamais à un chocolat, ou à un pot de miel… Curieuse de tout, elle traîne ses pattes sur les réseaux sociaux à la recherche de la moindre info. Taquine, elle aime embêter les autres ourses. Elle est aussi connue pour ses grognements et son caractère persévérant. Elle ne lâche rien.

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