Pourquoi je suis devenuE féministe : Douleurs invisibles

Lancé en avril 2020, pendant le confinement en France, notre concours « Pourquoi je suis devenuE féministe » a remporté un beau succès, avec 35 participations. Voici l’une d’entre elles.

Lorsqu’une endométriose m’a été diagnostiquée, j’ai découvert la misogynie de notre système de santé. Cette prise de conscience a intensifié mes convictions féministes. 0n estime aujourd’hui que 10%1 des femmes sont atteintes d’endométriose, ce qui en fait la première cause d’infertilité. Peu de recherche existe sur cette maladie qui reste méconnue.

Je suis atteinte d’une maladie qui met en lumière le désintérêt de la médecine pour les maladies féminines, la normalisation des douleurs menstruelles, le silence des femmes face à la douleur, et le tabou des règles. Mes ami-e-s m’ont longtemps crue hypocondriaque, iels pensaient que j’exagérais, que je profitais du système pour ne pas aller travailler. Or, cette maladie crée des adhérences entre les organes ce qui cause des troubles digestifs, urinaires et des douleurs pelviennes. Elle provoque des douleurs extrêmes et invalidantes, notamment pendant les règles, mais également lors de rapports sexuels et de la défécation. Alors que, depuis la nuit des temps, 5% de la population mondiale souffre de cette maladie chronique, aucun vrai traitement n’existe à ce jour.

La douleur des femmes est minimisée, invisibilisée, nous sommes considérées comme des « chochottes » ou des menteuses qui exagèrent. La souffrance liée aux règles est considérée comme normale. Les femmes ont complètement intégré la notion de souffrance et même entre elles la cache ou la minimisent. N’avez-vous jamais entendu cette amie vous raconter que son accouchement s’était « mal passé » sans donner plus de détails ? Tout cela pour ne pas casser le mythe de la « magie » de l’enfantement ?

Pour prévenir certaines complications comme la douleur chronique et l’infertilité, le traitement précoce de l’endométriose est essentiel. Malheureusement avant d’être diagnostiquée, on passe par au minimum 7 années d’errance médicale. Ces retards ont de lourdes conséquences sur la santé et la fertilité. Nous faisons également face à un véritable désert médical. Il faut ainsi compter au minimum 6 mois pour espérer un rendez-vous avec un-e spécialiste. Cette maladie est en outre peu enseignée : elle représente aujourd’hui 3 lignes dans les livres de médecine. Il m’est ainsi arrivé d’expliquer mes douleurs à mon médecin généraliste et d’obtenir un fou rire comme seule réponse. Était-il gêné par le tabou des règles ou est-ce qu’il essayait de cacher son ignorance derrière ce fou rire ?

L’endométriose n’est pas prise au sérieux par la médecine, et il n’existe aucun véritable remède. On doit se contenter de soulager les crises. Progressivement j’ai donc pris des antidouleurs de plus en plus forts. Aujourd’hui pour que les douleurs restent supportables, il me faut des médicaments sous ordonnances, et donc une ordonnance valide. Comme toutes les femmes atteintes d’endométriose, je vis dans la crainte permanente d’être démunies, sans ordonnance, en pleine crise. Je suis passée maîtresse dans l’art de supplier les pharmaciens.

Je vis dans un monde où des médecins sont en mesure d’augmenter la poitrine des femmes, de diminuer la taille de leurs fesses, ou d’aspirer leur cellulite, mais où très peu de moyens sont déployés pour la recherche d’un remède pour faire face aux souffrances menstruelles.

Je suis devenue féministe dans l’espoir qu’une prise de conscience s’opère aussi bien chez les femmes, afin qu’elles prennent conscience que la douleur ne doit pas faire partie de leur quotidien et qu’elles doivent se faire entendre ; qu’au sein du corps médical pour que les maladies qui touchent les femmes soient considérées. Il me semble incompréhensible qu’à notre époque le monde ne soit adapté qu’à la moitié de la population, et que les femmes vivent dans un monde d’hommes où elles sont invisibles, ignorées et maltraitées.

ST

Palmarès du concours
Catégorie « formats originaux »
1 – Caillou dans la chaussure, Anouk
2 – Comme une évidence, d’Ebène
3 – Quelques riens, Csil

Catégorie « textes »
1 – L’histoire d’un cheminement, Susy Garette
2 – Rester en vie, Ju
3 – Paye ton neutre, Feuillue

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2 commentaires sur « Pourquoi je suis devenuE féministe : Douleurs invisibles »

  1. Article tout à fait éclairant. J’avais entendu parler de cette maladie sans la comprendre. Une amie très chère m’en a fait prendre conscience.
    Il faut en effet que le corps de la femme soit respecté et que la médecine s’empare du sujet.

  2. Une femme malade est toujours suspecte j’ai l’impression : elle minaude, elle feint, exagère. Joue la comédie.
    Une maladie féminine est toujours plus ou moins niée. Sans parler des traitements et de leurs effets secondaires retors…

    Moi-même étant plus jeune je trouvais ça normal d’avoir mal pendant mes règles. Bien sûr j’étais agacée quand on ne me croyait pas à l’école, qu’on me riait au nez quand j’appelais le secrétariat pour dire que non, décidément, je ne pourrai pas encore venir aujourd’hui.

    Maintenant j’ai de plus en plus mal. Mais il existe depuis des associations pour nous soutenir et nous aiguiller, c’est déjà ça. Je positive peut-être car j’ai une forme très soft de la maladie. Mais je sais pour bien d’autres raisons que si elle empirait je me retrouverais seule, démunie, à devoir gérer indifférence et violences…

    De quoi devenir féministe si toutefois on ne l’était pas déjà, en effet !

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