Pourquoi je suis devenuE féministe : Hommage à un allié

Lancé en avril 2020, pendant le confinement en France, notre concours « Pourquoi je suis devenuE féministe » a remporté un beau succès, avec 35 participations. Voici l’une d’entre elles.

TW : VIOL

Pablo.

Pendant le confinement j’ai participé au concours organisé par Les Ourses à Plumes «Pourquoi je suis devenuE féministe ».

Avant d’écrire, j’en ai discuté avec mon cousin. Pablo était enthousiaste, il aurait voulu que je raconte, comme je le fais avec lui, une situation où je me suis retrouvée victime.

Mon cousin s’était renseigné sur le féminisme, éduqué seul. Il s’était forgé ses propres opinions. Il s’impliquait en tant qu’homme passeur d’idées féministes. Il était mon allié.

Pablo n’est plus là. Il est décédé début juillet. Un de ses chiens est tombé dans un puits d’eau volcanique au Mexique où il vivait, il a voulu le sauver.

Je vais écrire ce qu’il me poussait à raconter. Ensuite j’utiliserai ses mots pour décrire nos conversations.

A 22 ans, j’ai fréquenté un homme d’une trentaine d’année, il était riche. Il venait me chercher avec sa belle voiture, pour m’amener dans des grands restaurants. Ça me plaisait qu’il cherche à m’impressionner.

Le deuxième soir, il a garé sa voiture en bas de l’immeuble où je vivais avec mes parents et a commencé à me déshabiller. J’ai dit non à deux reprises, pas ici. Pourtant il a fini par enfoncer son sexe en moi, poussant au fond de mon vagin le tampon que je portais.

Deux jours après ce tampon réapparaîtra. J’ignorais qu’il était resté là, ça me dégoûte. Je découvre comme je m’étais détachée de mon corps et comme lui, en avait disposé.

Ensuite j’ai délibérément oublié. Ne pas y revenir. Ne pas poser les mots. Il m’a fallu #MeToo et son miroir de milliers de témoignages pour le discerner.

Avec cette histoire intime, je cherche à mettre en évidence comme les comportements sexistes sont admis. J’avais assimilé qu’en échange d’invitations aux restaurants, il faudrait que j’accepte une relation sexuelle. Quand il a passé outre mon consentement, j’ai cédé. Je n’ai pas consenti. J’étais disciplinée à le laisser faire, le laisser disposer de mon corps.

Pour que ça change, qu’on change, il faut en parler. Les violences sexistes reposent sur des mécanismes structurels, pour les femmes raconter l’intime, c’est politique.

Mon cousin était le seul homme avec qui je pouvais le faire sereinement. Lorsque j’ai évoqué cette histoire avec des proches, mon attitude les a décontenancés, ils s’attendaient à ce que je sois en colère, blessée, je ne l’étais pas, ils ont été incapables d’entendre mon propos.

Ils m’ont prescrit les réactions qu’ils estiment appropriées : poursuite judiciaire ou suivi psychologique.
Certains ne comprennent pas pourquoi je leur raconte ça, à eux. Ils se pensent victimes de mon discours, accusés en tant qu’homme. Je les assimilerai à des agresseurs. La solidarité masculine passe par se considérer comme victime oui mais du patriarcat, pas des féministes. Dans « Mais pas moi » on entend « Tais-toi ». *

Ces réactions sont une autre forme de violence.
Alors que je dénonce une situation bien réelle, je dois épargner l’ego de la personne en face, choisir mes mots avec précision. C’est consternant et récurrent.

Pablo faisait partie d’un groupe de discussion d’hommes pour repenser la masculinité. Pour lui la plupart des hommes se complaisent dans un rôle de victimisation. La régularité avec laquelle les hommes ramènent la conversation sur eux le révoltait, ce que le patriarcat leur fait à eux. Ramener le sujet à l’individu ce qui permet de ne pas réfléchir à la société, où pourtant réside le gros problème. Il ne s’agit pas là d’une problématique individuelle du genre, mais d’une construction sociale à démolir. Qu’un homme se victimise individuellement, en considérant sa souffrance due au féminisme supérieure à celle des victimes est toxique.

Pablo trouvait légitime qu’un homme se sente visé lorsqu’une femme raconte la violence sexiste qu’elle subit mais pour lui ce sentiment de culpabilité pourrait permettre à tous les hommes de se rendent compte des privilèges masculins dont ils disposent. La meilleure aide à apporter aux féministes pour un homme, à part fermer sa gueule, c’est gérer le sentiment de culpabilité au lieu de se réfugier dans le déni.

Les privilèges masculins facilitent la vie des hommes sans qu’ils en aient nécessairement conscience, sans qu’ils l’aient demandé. Ce n’est ni bien ni mal en soi, l’important est de s’en apercevoir. C’est l’opportunité d’une prise de conscience afin de changer tous de comportement. Quand on comprend, on voit aussi les possibilités infinies pour notre société.

Pablo était content d’avoir suffisamment saisi les concepts pour pouvoir les expliquer mais il déplorait qu’il faille l’intervention d’un homme pour qu’un homme comprenne.

J’en ai assez d’être compréhensive quand ils ne le sont pas. Leur ignorance me paraît souvent délibérée. Je suis lassée d’avoir encore à mettre en évidence le sexiste de nos sociétés, il est grand temps que la conversation passe à « Que peut-on faire maintenant ? ».

[Copié-collé de Pablo dans des conversations ou des commentaires sur les réseaux sociaux.]

Céline Calvès

Pablo

Palmarès du concours
Catégorie « formats originaux »
1 – Caillou dans la chaussure, Anouk
2 – Comme une évidence, d’Ebène
3 – Quelques riens, Csil

Catégorie « textes »
1 – L’histoire d’un cheminement, Susy Garette
2 – Rester en vie, Ju
3 – Paye ton neutre, Feuillue

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