Slalom : SURVIVRE ET GAGNER

Avec Slalom, la réalisatrice Charlène Favier plonge au cœur des codes du film sportif et nous livre un premier long-métrage coup de poing et porteur d’espoir.

Copyright Charlie Bus Production

Filmer les glissements : l’héritage de #MeToo

Lyz est une adolescente comme les autres : elle a 15 ans, oscille entre le confiance en elle et l’ambition farouche, se questionne sur la sexualité et entretient des rapports fluctuants avec sa mère, dont elle commence à se détacher. Mais c’est aussi une skieuse prometteuse, qui vient enfin d’intégrer le cursus sport-études de ses rêves, dans une école nichée au creux des montagnes enneigées. Entre doute et détermination, elle s’accroche pour rattraper ses camarades de classe et surtout pour impressionner son entraîneur, Fred (Jérémie Renier, glaçant), un adepte du tough love loin d’être tendre avec ses protégé-e-s. « Tu m’emmerdes », n’hésite-t-il pas à persifler à l’oreille de Lyz lorsque ses performances ne le satisfont pas. Cette dernière développe rapidement une fascination pour ce coach jeune, blond, sûr de lui, seul adulte dont l’opinion compte réellement dans son monde et dont dépend désormais toute son estime d’elle-même.

A la façon de Whiplash il y a sept ans, la réalisatrice Charlène Favier s’attache à explorer les liens complexes d’admiration et de maltraitance qui peuvent se nouer entre un professeur et son élève, sous couvert de viser l’excellence. Alors que Lyz enchaîne les victoires, elle s’attire rapidement les faveurs de Fred, qui lui offre l’amour et l’attention que ses parents, absents et distraits, ne lui fournissent pas. Mais à l’image des flancs enneigés que la jeune fille dévale à toute vitesse, cette relation privilégiée et galvanisante se transforme rapidement en une pente glissante, qui entraîne Lyz bien loin de la sécurité à laquelle elle aspirait. 

Porté par le jeu désarmant de justesse de la lumineuse Noée Abita, entre candeur et désarroi, Slalom est un film qui traite de l’abus d’un adulte à l’encontre d’une mineure qui lui avait accordé sa pleine et radieuse confiance. Le spectateur-trice ne peut qu’assister, impuissant-e, à la longue descente aux enfers de Lyz, qui se renferme progressivement sur elle-même à mesure que l’étreinte de Fred se resserre. Quatre ans après #MeToo, alors que la parole s’est libérée dans de nombreux domaines, le premier long-métrage de Charlène Favier apporte avec tact sa pierre à l’édifice des cris de rage et d’impuissance des victimes, qui lèvent le voile sur les traumatismes et les violences sexuelles qu’elles ont subi, souvent en silence, mais surtout silenciées. « T’as parlé à quelqu’un ? » demande abruptement Fred à Lyz lors de l’un de leurs derniers tête à tête, climax nerveux du film.

Alors que ses personnages s’enfoncent progressivement dans une lumière d’un rouge vif sanglant quasi-surréaliste, qui matérialise avec brutalisme la violence étouffée par ailleurs, Slalom aborde aussi avec intelligence et finesse la question du consentement, sans qu’il en soit pourtant jamais question ouvertement. Charlène Favier se contente de filmer les crispations, la stupeur, l’hébétement et l’impuissance de son héroïne, lors de scènes si douloureuses à visionner que l’on ne peut que s’étonner que certain-e-s parviennent à y lire une quelconque ambiguïté amoureuse. Une jeune fille de 15 ans peut-elle consentir librement face à un adulte qu’elle idolâtre ? Comment se défaire de l’emprise de la seule figure parentale que l’on a ? Comment survivre à un viol ?

Un film sportif féminin à rebours des codes

Si ces questions sont bien évidemment au cœur du film, ce dernier n’y apporte pourtant pas de réponse. [attention, spoiler !] Malgré le désir du spectateur-trice de voir un-e adulte enfin tendre la main à Lyz et l’aider à sortir du cauchemar qu’elle traverse, on n’assistera finalement jamais à une révélation au grand jour de ce qui se trame dans les vestiaires. Malgré la sollicitude et les soupçons d’une enseignante, d’une amie et même de sa mère, Lyz portera son secret seule jusqu’au bout. Pour autant, Slalom n’est pas un film sur le renoncement. La réalisatrice s’attache au contraire à dessiner le chemin d’une libération toute autre, qui se joue sur les pistes. Car Slalom est aussi et avant tout un film qui traite de sport. Loin d’être une simple toile de fond interchangeable, le ski, que Lyz pratique avec passion et sérieux, occupe ici un rôle narratif et dramatique crucial. C’est par son biais que se traduit dans un premier temps la tension qui sous-tend le film, et si ce dernier traite des violences que son héroïne subit, il a aussi à cœur de brosser le parcours d’une sportive d’envergure.

Portrait de l’ascension fulgurante mais fragile d’une athlète dans la tourmente, Slalom s’inscrit ainsi dans la lignée de drame sportifs au féminin tels que Million Dollar Baby, Girlfight ou plus récemment I, Tonya ; on y retrouve le schéma narratif de la jeune prodige qui s’initie à une discipline dans laquelle elle excelle et qui la propulse au rang de célébrité. L’incertitude de la victoire reste l’un des enjeux narratifs les plus importants du film, tandis que la dernière compétition internationale constitue l’horizon final de l’histoire, tout comme les Jeux Olympiques étaient celui du monde de Tonya et le combat de boxe à Las Vegas celui du monde de Maggie. La jeune star sera-t-elle capable de remporter la victoire malgré les problèmes qui l’accablent et sa santé mentale de plus en plus précaire ?

Si Charlène Favier exploite le scénario classique du film sur les sportives, Slalom prend malgré tout un virage inattendu. I, Tonya et Million Dollar Baby mettent en scène des athlètes qui, par malchance et fatalisme, finissent par se brûler les ailes ; la tension repose sur le décalage entre l’optimisme de l’héroïne, persuadée qu’elle peut gagner, et les signes de plus en plus évidents de sa défaite imminente -parfois annoncée dès le début- au rythme du classique « trop beau pour être vrai ». Ainsi, c’est le cœur lourd que l’on assiste au moment où le mental des personnages principaux se fissure et où leur corps lâche. Le succès, brume dorée, n’aura finalement été qu’un mirage, une promesse touchée du bout des doigts mais toujours hors de la portée de ces sportives hors normes, tout comme la possibilité d’une vie épanouie et heureuse.

Slalom semble lui aussi écrit pour mal finir ; alors que les succès jusque-là évidents de Lyz et la pression qu’elle subit semblent annoncer un revirement brutal lors de sa dernière course, le spectateur-trice s’attend, non sans chagrin, à voir cette dernière compétition traduire enfin la violence et le drame que Lyz refoule depuis le début. Pourtant, aucune blessure ni défaite ne viennent interrompre le parcours de la jeune fille, qui remporte finalement la course qu’elle avait le plus de chance de perdre. Si sa victoire n’est pas éclatante et ne résout pas ses problèmes personnels, dont Lyz est bien consciente en déchaussant ses skis, elle a néanmoins le mérite de la préserver sur le plan professionnel et d’ébaucher un avenir qui, peut-être, sera plus radieux que le présent. Plus important encore, ce dénouement illustre en quoi Slalom refuse de sacrifier son l’héroïne pour servir ses ressorts dramatiques et créer du rebondissement.

Dans un univers cinématographique où les figures féminines du sport sont rares, le succès de Lyz vient déjouer les arcs narratifs souvent tragiques des personnages féminins de son envergure ; son « non » final, à la fois ferme et horrifié, ne s’adresse ainsi peut être pas qu’à Fred, mais aussi aux spectateurs-trices, qui s’attendaient à la voir souffrir encore plus, elle qui vient pourtant d’endurer une horreur indicible, au nom d’une loi scénaristique qui veut qu’un malheur ne vienne jamais seul. « Non », répond Lyz, je ne vous offrirai pas l’effondrement de ma carrière en spectacle. Avec ce portrait de championne humain et volontairement complexe, Charlène Favier, affirme ainsi haut et fort que, même dans la tourmente, une femme peut continuer de gagner. Ça ne referme pas toutes les blessures, mais ça fait quand même du bien.

Lena Haque

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