Riposte féministe, quand l’éphémère laisse une trace indélébile

Risposte féministe, un film documentaire sur les collages, sortira en salles le 9 novembre 2022. Rencontre avec ses co-réalisateur-rice-s, Marie Perennès et Simon Depardon.

Photos © Palmeraie et désert – France 2 cinéma
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“Le sexisme est partout, nous aussi.” Peut-être avez-vous déjà croisé ce genre de slogans sur les murs de votre ville. Depuis 2019, des centaines de colleur-euse-s s’organisent pour se réapproprier les rues et faire entendre leurs revendications. Il n’est plus question de se taire, la riposte féministe est en marche. 

Riposte féministe, c’est d’ailleurs le titre qu’ont donné Marie Perennès, historienne de la photographie, et Simon Depardon, cadreur et producteur au film documentaire qu’iels ont co-réalisé. En salles le 9 novembre 2022, cette production, diffusée pour la première fois au Festival de Cannes en mai 2022, part à la rencontre de différents groupes de collages aux quatre coins de la France. Nous nous sommes entretenu-e-s avec elleux.

Quand l’idée de ce film documentaire naît en 2020, quel est votre projet ?

Simon Depardon : Avec Marie, on s’est lancé-e-s dans la co-réalisation de ce film à la suite d’un collage que l’on avait aperçu en bas de chez nous et qui nous avait beaucoup marqué. On a décidé de donner un visage à cette lutte en rencontrant une cinquantaine de militant-e-s féministes à travers la France. Et c’était une très belle aventure.

Marie Perrenès : Oui, ce film est né autant d’un engagement personnel que d’une volonté de raconter par l’image, des nouveaux récits contemporains du militantisme. Il y avait quelque chose d’éphémère dans ce mode d’action que sont les collages.  On a essayé de pérenniser cette parole. Elle s’affiche déjà sur les murs certes mais à travers Riposte Féministe on donne une voix à ces personnes qui militent dans l’ombre et on croit vraiment que la somme des ces voix forme un récit collectif. On voulait en garder une trace. On croit beaucoup dans le fait que chacun de nous doit, de son côté, semer des petites graines pour construire quelque chose de nouveau et permettre à d’autres de se saisir de ces sujets. C’est ce qu’on a voulu faire à travers le film.

Vous avez choisi de laisser parler les images et les différent-e-s protagonistes plutôt qu’ajouter une voix off. Pourquoi ?

M.P. : On a fait ce choix car les documentaires que l’on aime voir, nous, au cinéma, n’ont justement pas de voix off. Esthétiquement, on trouvait que cela correspondait mieux à la salle de cinéma. Et puis, cela nous parlait plus, quand on met une voix off ou quand on fait une interview face caméra, on impose au public une morale, on lui explique, finalement, ce qu’il faudrait et ne faudrait pas penser. Nous avions à cœur de plutôt filmer des conversations, des pensées féministes en construction. Le but était de rentrer pleinement dans leurs différents univers sans imposer un message moralisateur.

Justement, le film est selon moi assez détaché de tout mouvement en tant que tel, de toute personnalité publique. Était-ce une volonté de votre part ? 

M.P. : Au delà des dissensions qui peuvent exister au sein des mouvements féministes, notamment autour de Marguerite Stern, on voulait montrer cette force et cette joie qu’il y a à militer ensemble et s’inscrire en faux avec toute cette médiatisation qui se focalise sur les tensions alors que l’on parle de violences faites aux femmes, de féminicides et pour nous c’est ça le propos sur lequel on voulait se concentrer. Notre film n’est ni une histoire du mouvement ni un film exhaustif sur le féminisme contemporain et les jeunes mouvements féministes. Il faudrait qu’il y en ait plein d’autres pour pouvoir retracer toutes les mouvances et parler de tous les sujets. Il y a énormément de choses qui ont été abordées durant les tournages,et que l’on n’a pas monté. On s’est concentré-e-s sur la parole, la réappropriation de l’espace public et les féminicides. 

Là où on pourrait s’attendre à voir un film plein de colère et de tristesse, nous avons plutôt eu l’impression de voir des moments de vie, des discussions avec de la bienveillance, des rires même parfois… bien que l’on n’oublie pas le sujet difficile que sont les violences faites aux femmes. De ce point de vue-là, comment se sont passés les tournages ? 

S.D. : On a voulu tourner en été pour avoir cette lumière joyeuse, en terrasse, on a voulu des rires car c’est exactement ce que l’on a vécu lorsque l’on a rencontré les différent-e-s protagonistes du film pour les repérages et les tournages. On a vraiment eu cette sensation de bienveillance et d’inclusion. Le film montre donc des moments de vie, oui. Peut-être même des moments de grâce. 

Photos © Palmeraie et désert – France 2 cinéma

Cela fait maintenant plusieurs semaines que vous traversez la France à la rencontre de votre public. Quel accueil est globalement réservé au film ?

M.P. : Je crois que l’on a beaucoup de chance d’avoir déjà fait un premier tour de France à la rencontre des militant-e-s et d’en faire maintenant un second pour la promotion du film. On se rend compte que les gens ont besoin d’un espace de parole. Le féminisme aujourd’hui est médiatiquement et politiquement un sujet extrêmement présent qui fait appel à toutes les générations. Les gens ont vraiment envie de discuter. Nous sommes fièr-e-s de pouvoir offrir ce film comme un outil pour débattre et peut-être se déconstruire sur certaines choses. 

On a fait des séances avec des personnes de générations différentes C’est important. On dit souvent qu’entre le féminisme des années 1970 et celui d’aujourd’hui, il ne s’est rien passé. Là, il y a vraiment cette idée de relais, cette communication forte. On a fait aussi des projections à des scolaires et là on se rend compte de toute l’utilité et la nécessité d’en parler. On a eu plein de jeunes garçons qui nous ont dit “merci, je ne savais pas que mes copines vivaient tout ça” ou “je me demande ce que je pourrais faire pour aider”. C’est un truc que l’on dit peut-être pas assez souvent : le féminisme c’est un sujet qui concerne tout le monde. Nous, certes on a pris le parti de donner la parole à des femmes et des personnes issues de minorités de genre principalement, car on pense qu’on ne leur donne pas assez, mais on s’adresse à toustes. Chacun-e à son échelle peut être un-e bon-ne allié-e. 

Vous évoquez la jeunesse. Mis à part à Compiègnes où apparaît la sénatrice et vice-présidente du Sénat, Laurence Rossignol, tou-te-s celleux qui apparaissent à l’écran sont globalement assez jeunes. Pourquoi avoir choisi de mettre en valeur cette génération ?

S.D. : Cela représente aussi un peu nos rencontres. Iels avaient grosso modo entre 18 et 25 ans. Et ça nous a bluffé. Nous on est né-e-s au début des années 1990 et on n’avait pas conscience, avant le film, de la politisation de la génération juste après nous. Alors on s’est permis de se dire qu’on allait peut-être permettre de faire le pont entre cette Gen Z qui est ultra-politisée et qui trouve d’autres moyens de s’engager – peut-être pas par le vote mais par des actions directes comme les collages ou les manifestations – et des générations plus âgées. On avait notre productrice Claudine Nougaret qui, elle, est issue d’une autre générations de féministes et on s’est dit c’est intéressant on est né-e-s à la fin du XXème siècle et on pourrait faire le lien. Cela nous satisfaisait aussi car il y a une certaine joie aux premiers militantismes et une pensée en construction qui pouvait justement faire appel à des archives de 1968. On a donc beaucoup réfléchi aux générations et fait le choix de se concentrer sur celle qui arrive car elle nous donne beaucoup d’espoir. Et on est très heureux-se-s de ce choix.

Pour conclure, quels sont vos espoirs pour la sortie officielle de votre film en salles le 9 novembre 2022 ?

S.D. : Nous, on a déjà gagné. On est très heureux que les gens soient là et en parlent. Hier on était à Vitry, un lundi soir. On a appris que c’est un territoire qui est plus marqué que d’autres par les féminicides. Et les gens se mobilisent pour venir parler avec nous, un lundi soir. A nos yeux, le contrat est déjà rempli. On espère que ça va pouvoir se voir dans pleins d’endroits mais on a tellement appris au contact des gens formidables et d’associations qui se battent tous les jours. Au fond, peu importe l’engrenage médiatique, le nombre d’entrées… Ce qui est important c’est que l’on a vu qu’il y avait une vraie nécessité de parler de ces sujets, et pas que dans les grandes villes. Il fallait faire ce film.

Un commentaire sur « Riposte féministe, quand l’éphémère laisse une trace indélébile »

  1. Un article intéressant. Néanmoins, tout n’est pas rose dans ce film. Pour aller plus loin, je conseille d’aller lire les stories à la une “Ripostefem” sur le compte Instagram @pxtain_en_petard. C’est intéressant que les réalisateurs ne parlent pas de ce problème lorsqu’ils ont été interrogé sur l’accueil fait au documentaire.
    Le mouvement des collages est très fort et important, et c’est dommage que de tels procédés aient été utilisé pour le documenter.

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