3 questions à Marie-Amélie Massias, créatrice du site Le Corps des Femmes

Avec plus d’1,8 million de visites, le site/blog participatif Le Corps des femmes répondait manifestement à une attente. Nous avons rencontré sa créatrice, Marie-Amélie Massias.

Capturecorps

Peux-tu décrire la démarche de ton site en quelques mots ?

Le corps des femmes est né d’une découverte, celui d’un site similaire : The shape of a mother. Un site participatif qui invite les mères à se raconter, tandis qu’elles envoient également une photo de leur corps.

J’avais envie d’explorer le même type de démarche, mais en oubliant l’aspect maternel de l’affaire, je voulais que toutes les femmes puissent se raconter, sans avoir ce focus sur la maternité.

Il m’apparaissait important de redéfinir les contours protéiformes que peuvent revêtir le corps de la femme, corps assumé, corps haï, corps marqué d’une histoire qu’on déteste ou qu’on adore.

Il y a quelque chose, par ailleurs, qui a tendance à me préoccuper, c’est non seulement le culte de la beauté, mais aussi celui de la réussite qui passe inexorablement par l’adage du « Il faut s’aimer », comme si toutes, nous devrions avoir un rapport d’amour à notre personnalité et à notre corps, comme si toutes nous serions les propres panneaux publicitaires de notre histoire.

Je défends l’idée que non, nous ne sommes pas obligé-e-s de nous aimer et qu’à mon sens, en lieu et place du sacrosaint amour de soi, il est important d’apposer la connaissance de soi qui me semble bien plus pertinente.

Lasse du tout photoshopé, d’une société normalisée qui donne à voir des stéréotypes, qui retouche la moindre ridule, le moindre bourrelet, c’est en 2011 que j’ai décidé de lancer Le Corps des Femmes en redoutant que ça ne prenne pas, en ayant peur que les Françaises soient pudiques ou que ces questions ne les intéressent pas. Très rapidement j’ai reçu des dizaines de témoignages, avec photos à l’appui, certaines étant très crues, d’autres beaucoup plus discrètes.

Il est question non seulement de parler du corps des femmes à travers ces photos, mais aussi de les écouter, de les lire et d’accepter tout un corps : celui du texte et de ses maladresses.

J’ai pris en effet le parti de garder le texte comme on me l’envoie : découpé en paragraphe ou non, avec des fautes ou non, avec des erreurs de frappe ou non.

C’est envisager une personnalité frontalement, de façon brute, sans fard ni artifice.

Il n’y a alors aucune consigne particulière, sauf celle d’y adjoindre une photo d’une partie du corps de celle qui rédige le message. La photo sera explicite ou non, mais il faut impérativement qu’elle soit authentique et qu’elle ne se cantonne pas au rôle d’une image d’illustration prise à la volée sur un moteur de recherche.

 

Comment expliques-tu le succès du site, alors que les photos et les textes sont souvent très durs ?

Ce site est né à une période où, il me semble, mon ras-le-bol de l’image fabriquée, lissée, sans cesse publicitaire autour du corps de la femme était partagé par de nombreuses personnes.

Ce site intrigue, il fait un peu office d’OVNI dans un espace comme Internet où les « jolies » photos et les « jolies » histoires qu’on se raconte sur Pinterest, Instagram, Twitter, Facebook, sont massivement relayées.

C’est un espèce de contrepied qui semble faire du bien aux femmes.

Et puis, il y a dans Le Corps des Femmes une infinie liberté dans laquelle chacune peut se retrouver. Libre à cette femme d’aimer et de partager son rapport à son corps, libre à une autre de le détester.

Enfin, ce thème qui parait simplissime est à la croisée des chemins de beaucoup d’autres thèmes plus larges. Au fur et à mesure que j’y insérais des témoignages, je rajoutais des catégories qui à elles seules mériteraient presque un autre site sur le corps des femmes : viol, suicide,  prostitution, addiction, éducation…

 

Tu as essayé de lancer un site similaire pour les hommes, et ça n’a pas marché. A ton avis, pourquoi ?

En effet, j’avais également lancé le corps des hommes qui n’a absolument pas eu le même écho et que j’ai fermé au bout d’un an pour des affaires de nom de domaine.

Pour cette question, je ne sais pas si j’aurais la réponse un jour.

Il me semble qu’on en revient encore à cet éternel thème du corps de la femme exploité, utilisé (dans les médias, la publicité, au cinéma…), qui alimente même les débats politiques (questions sur la prostitution, sur le voile, sur l’IVG…) qui fait que de facto les hommes n’ont pas le même rapport à leur corps puisqu’il me semble que les revendications ne se jouent pas sur le même terrain.

Sans cesse, le corps de la femme est un enjeu capitaliste, politique, social, sans cesse les femmes doivent être vigilantes et revendiquer leur liberté.

 

Question bonus : Y a-t-il une photo qui t’a particulièrement marquée ?

Certainement pas. Ce serait hiérarchiser les participations et je m’y refuse. Ces photos et textes  font non seulement sens quand on les découvre unes à unes, mais elles forment un tout, un objet en soi, un autre corps : celui de la diversité des vécus, des récits et du rapport qu’on entretient à son enveloppe corporelle.