Grève dans l’Education Nationale : lutte de femmes?

Une « réforme » qui pèse sur des travailleuses

La réforme du collège portée par N. Vallaud-Belkacem est rejetée par une très large majorité des personnels de l’Education Nationale. La mobilisation à son encontre est, c’est assez rare pour le signaler, soutenue par 60%  des personnes interrogées (sondage Odoxa pour Les Echos, Radio Classique et FTI Consulting).

Or, parce que les supérieurs et les responsables syndicaux sont majoritairement des hommes, on oublie souvent la dimension « grève de femmes » de cette mobilisation. En effet, les personnels enseignants de l’Education nationale sont très majoritairement des femmes (82,2% dans le primaire, 58,2% pour le second degré – chiffres INSEE, 2014). Ce sont donc bien des femmes en lutte pour leurs conditions de travail.

L’interdisciplinarité à moyens constants : un piège pour les femmes

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Ainsi, l’interdisciplinarité, qui dans l’absolu pourrait être une bonne chose, est appliquée à moyens constants, ce qui signifie sans aucun financement supplémentaire. Ce sont les heures prévues pour des cours qui seraient réduites afin de dégager des heures interdisciplinaires sans coût supplémentaire pour l’institution.

Concrètement, les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) se traduiront par plus d’heures de concertation et par une augmentation du nombre de classes à suivre par enseignant-e. Des modifications qui n’ont rien d’anecdotique lorsqu’on tient compte de la double journée de travail des femmes. Plus d’heures de concertation, c’est des heures supplémentaires dans l’établissement; une augmentation du nombre de classes, c’est plus de cours à préparer, plus de copies à corriger…D’autant que selon le rapport Trajectoires  et  rapports  de  genre  dans  l’enseignement  du  second  degré du SNES (septembre 2014), les femmes ont tendance à s’investir davantage dans les projets collectifs des établissements. Bref encore et toujours du travail invisible et chronophage.

Des attaques contre des disciplines très féminisées

Si l’on a beaucoup entendu de critiques sur la dimension élitiste des langues anciennes et des « classes bilingues », les menaces sur les langues, anciennes ou vivantes, impactent plus fortement les femmes. En effet, 83,2% des enseignant-e-s de langues sont des femmes, ainsi que 79% des professeur-e-s de lettres (Source : Repères et références statistiques – édition 2014). Postes partagés, à cheval sur plusieurs établissements…les conditions de travail se dégradent De manière générale, la réforme s’attaque aux disciplines associées aux débouchés professionnels féminins : les sciences dites « dures » ou « exactes » sont relativement épargnées. L’enseignement de l’Histoire-Géographie, qui maintient 51% d’enseignantes femmes dans ses rangs et constitue un enjeu idéologique central, est une fois de plus profondément modifié.

Le renforcement d’une hiérarchie masculine

57% des personnels de direction de l’Education Nationale sont des hommes, ainsi que 58,7% des inspecteur/trices. Or avec la réforme, le choix des répartitions d’horaires, d’attributions d’emploi du temps, la modulation par discipline et par année, seront plus que jamais laissés entre les mains des chefs d’établissements. Loin d’une décision collégiale de la communauté éducative, c’est bien une approche hiérarchique et verticale qui prédomine. Dans ces circonstances, et alors que les phénomènes d’entraides entre hommes au sein des professions féminisées – dits « escalators de verre » – commence à être bien connus, c’est bien les femmes qui feront en premier les frais des décisions arbitraires de la direction. Sans compter bien sûr tous les problèmes de harcèlement moral et sexuel dont elles sont toujours les premières victimes.

Et les élèves? Vers un renforcement des inégalités sociales et de genre

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Si le ministère introduit timidement le sujet  « les femmes au cœur de sociétés qui changent » dans le programme d’Histoire, ce n’est qu’en thème optionnel (autant dire, statistiquement très peu traité vu la lourdeur des programmes). Plus grave, l’individualisation des parcours, en marche depuis plusieurs années mais qui connaîtrait une accélération avec cette réforme, induit une différenciation qui ne ferait que renforcer les inégalités sociales et de genre. Le recours à des options et à des spécialisations précoces engendre en effet une autocensure et, sous la pression des pairs particulièrement forte au collège, amène les jeunes filles à des choix genrés bien trop précoces. A l’arrivée en Seconde, 42,2% des lycéennes choisissent une option à profil lettres, langues, arts, et 52% une option à profil scientifique ou technologique contre respectivement 21,7% et 71,5% pour les lycéens. Et dans les options à profil scientifique ou technique, les filles sont plus nombreuses en santé et social (7,7% contre 1,5% des garçons) (Filles et garçons sur le chemin de l’égalité, de l’école à l’enseignement supérieur, 2014).

Le prisme du genre, du côté des travailleuses comme du côté des élèves, apporte un angle particulier à l’analyse de cette réforme. Reste à savoir si ce type d’analyse rencontrera un large écho – même majoritaires dans la société et dans ces métiers, les femmes continuent à être largement envisagées comme  une « minorité politique ».