Avec son premier long-métrage Papicha, sélectionné à Cannes, récompensé au festival d’Angoulême et actuellement en lice pour les Oscars, Mounia Meddour livre un témoignage poignant sur les années sombres de l’Algérie. Véritable hommage à cette génération sacrifiée, ce film met à l’honneur les Algériennes, principales victimes de la guerre civile des années 1990.

Nedjma, jeune étudiante passionnée de mode dans les années 1990 à Alger, se heurte à une montée de l’islamisme qui plonge progressivement le pays dans « la décennie noire ». Bien décidée à ne pas se soumettre au conservatisme religieux et à la propagande des terroristes dont les « papichas » – ces jolies filles libérées en argot algérien – sont les premières visées, Nedjma se lance dans la confection d’une ligne de robes à partir du Haïk, un vêtement traditionnel algérien, en vue d’un défilé clandestin à la Cité U.
Une résistance de l’intérieur
Loin d’être un film politico-historique qui chercherait à retranscrire le climat instable dans lequel se trouve le gouvernement algérien face aux attaques des groupes islamistes pendant les années 1990, Papicha est un film de l’intérieur, qui s’attache à la vie algérienne à ce moment là. La réalisatrice pose sa caméra sur la jeunesse algéroise, embrassant son insouciance et sa vitalité pour en dresser le portrait de femmes déterminées à rester libres. Surtout d’une : Nedjma. Omniprésente dans les séquences, tout le récit se tisse en fait depuis sa perspective, nous découvrons alors Alger à travers ses déplacements, le discours islamiste à travers ses altercations, les autres étudiantes à travers leurs discussions : toute l’action nous est montrée à travers le regard de Nedjma et son expérience personnelle de la situation algéroise. Avec une succession de plans rapprochés et une caméra mobile qui en la suivant au plus proche, épouse chacun de ses mouvements, Mounia Meddour prend le parti d’une mise en scène très immersive, ce qui apporte un côté viscéral à la résistance de la jeune femme. Face à l’injustice de cette guerre qu’elle refuse de voir mais qui menace ses droits, sa rage de vivre n’apparaît que douloureusement plus intense.
Partagée entre le désespoir et le refus de l’abnégation, l’héroïne étouffe un cri que les silences du film chargent en intensité, nous prenant en otage de la violation de sa liberté. Ce n’est qu’à travers la couture que Nedjma trouve le moyen de lutter : son détournement du haïk en robe de soirée devient alors un acte politique d’insoumission. Loin d’être superficielles, ses créations viennent symboliquement rappeler la fragilité du droit des femmes à disposer de leur corps et plus précisément l’importance du choix pour les musulmanes à porter ou non le voile.

De l’importance de la sororité
Avec Papicha Mounia Meddour met l’accent sur la sororité et ça fait du bien. Ce casting à majorité féminine présente des personnages tous différents et travaillés. Malgré une focalisation sur Nedjma, la réalisatrice – aussi scénariste du film, évite l’écueil des personnages secondaires comme simples faire-valoir de l’héroïne et présente avec ingéniosité des personnalités distinctes et complexes. La meilleure amie Wassila, exubérante mais d’une fragilité émouvante interroge par exemple, à travers son histoire d’amour toxique avec un jeune homme conservateur, l’impact de la montée islamiste sur les relations amoureuses et les contraintes auxquelles se heurte l’émancipation féminine dans les pays arabes.
Nedjma, Wassila, Samira, Kahina, toutes solaires et combatives, témoignent à plusieurs reprises de l’importance du soutien et de l’entraide entre femmes. Leur résistance vient de leur sororité. Lorsque Nedjma perd espoir après le saccage, ce sont les autres étudiantes qui l’encouragent à ne pas se laisser abattre et persévérer dans son projet de défilé. La chaleur de cette sororité universitaire vient ainsi contraster l’atmosphère anxiogène extérieure : bien que parfois excessivement dichotomique, cette opposition profite à l’ensemble. La sororité apporte en effet une certaine bouffée d’oxygène face à l’obscurantisme croissant et permet de rendre compte de l’ambivalence de la situation algérienne à cette époque. A travers cette bande de copines insouciantes et rebelles la réalisatrice rend un bel hommage à ces femmes qui ont osé vivre pour résister.

Un message d’espoir à la nouvelle génération algérienne
Dans son film, Mounia Meddour lance un clin d’oeil aux jeunes Algériennes d’aujourd’hui qui descendent dans la rue manifester : à la fois à travers son portrait de femmes mues par l’envie de vivre libre, qui résonne symboliquement à un niveau intemporel mais surtout à travers le bébé à naître de l’une des filles qui apparaît comme le symbole de cette nouvelle génération de résistantes à venir. Ce bébé des années 1990 établit un lien entre ce passé qui a mis à mal la liberté des femmes et ce présent qui les voit reprendre possession de l’espace public.
Déterminée à prendre son destin en main, cette nouvelle génération de « papichas » mène aujourd’hui un double combat pour la démocratie et les droits des femmes. Elles militent notamment pour une abrogation du Code de la famille qui fait d’elles des mineures à vie et exigent son remplacement par des lois civiles égalitaires. Egalité juridique, égalité salariale, la libération de l’Algérie passera par celle des femmes ou ne passera pas.
Vendu! J’ai très envie de le voir.
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