Nos cheveux sont-ils un marqueur de nos identités de genre et préférences sexuelles et romantiques ? Comment naviguons-nous entre stéréotypes, désirs d’appartenance et revendications politiques ? Nos coiffures changent-elles radicalement avant / après nos comings-out ? Pour amorcer des réponses, nous avons récolté une centaine de témoignages et interviewé Vic, qui gère la page facebook Queer Chevelu et propose des coupes de cheveux aux personnes queers, mais pas que.
Qui sont nos répondant·es ?
Les 121 répondant·es au questionnaire en ligne que nous avons lancé fin 2019 nous donnent des pistes sur le rapport aux cheveux qu’entretiennent les personnes LGBTI/queer. Il faut préciser que l’écrasante majorité des personnes ayant répondu sont blanches, assignées femmes à la naissance (afab), ont entre 18 et 25 ans et sont franciliennes. Plus de la moitié utilisent le terme « queer » pour se définir. Puis les répondant·es se répartissent dans les catégories : femme cisgenre, personne transgenre, lesbienne, non-binaire, bisexuel·le ou pansexuel·e. Ces proportions s’expliquent par le partage de ce questionnaire sur la page Facebook Queer Chevelu de Vic, qui propose des coupes de cheveux à prix libre lors d’événements communautaires notamment. Sa clientèle est donc similaire et Vic explique : « Je vois beaucoup de personnes afab, sûrement par rapport à qui je suis moi, et moins de personnes aux cheveux longs parce que ça peut prendre plus de temps de se dire qu’on va aller se faire couper les cheveux. Les coupes courtes demandent plus de régularité, d’entretien. »

Donc sans surprise, 66% répondent avoir les cheveux courts, rasés ou tondus (voir graphique). Seules 18 personnes déclarent avoir les cheveux colorés. Vic propose cette explication à ce petit nombre : « C’est un investissement, il faut le faire régulièrement, acheter des produits, aller chez des gens pour le faire, c’est donc cher et ça demande de l’entretien et du temps ! Je vois aussi plein de gens qui en ont envie mais qui ont peur, car c’est stéréotypé, à leur taf ça peut être mal vu. » C’est cette attention ou non aux stéréotypes sur l’apparence des personnes LGBTQI+ que l’on cherche à analyser.

Mes cheveux : ma visibilité ?
E.* témoigne : « Il a été très difficile pour moi d’être reconnue en tant que queer en partie à cause de ma coupe de cheveux, considérée comme trop « féminine ». Du coup, personne ne me reconnaissait en tant que gouine ! Et après, j’ai coloré mes cheveux et tout allait mieux. C’était un peu étrange de me sentir acceptée dans ma propre communauté à cause ou grâce à une coupe de cheveux ».
Elle n’est pas la seule à se faire cette réflexion : plusieurs répondantes aux cheveux longs trouvent qu’il est difficile d’être perçue comme lesbienne avec leur coupe. M.S. confirme et nuance : « Je pense qu’il faut aussi distinguer les stéréotypes au sein de la communauté [LGBTQI+] et dans la société en général. Par exemple, une meuf qui a les cheveux courts, même avec une coupe qui pour la communauté fait pas particulièrement masculine ou queer, risque de se voir étiquetée lesbienne par la société ». En réalité, la totalité des répondant·es expriment leurs tiraillements entre volonté d’être perçu·es comme LGBTQI+ par leur propre communauté, mais aussi par la société, malgré ou aux dépens de l’homophobie qui peut en découler. Nombreuxses sont celleux qui par leurs cheveux sont vu·es d’une manière qui ne correspond pas à leur identification. Par exemple, B. qui a les cheveux très courts sur les côtés et la nuque et plus longs sur le dessus, explique : « Dans la rue, j’ai l’impression d’être immédiatement identifiæ comme lesbienne, ce qui ne me plaît pas particulièrement car ça ne correspond pas à qui je suis et invisibilise encore une fois mon identité non-binaire. »
56% des participant·es pensent que leurs cheveux leur permettent d’être visible en tant que LGBTQI+ dans la communauté, tandis que seul·es 34% pensent qu’ils leur permettent d’être visible dans la société en général. Avons-nous des codes capillaires communautaires et indéchiffrables aux yeux du reste de la société ? Il est clair que pour nous, les cheveux sont un outil de reconnaissance et cela peut expliquer le malaise ressenti par D. En effet, 74% disent que les cheveux d’un·e inconnu·e leur servent d’indice pour savoir si oui ou non cette personne fait partie de la communauté LGBTQI+. T. raconte : « Quand j’avais les cheveux courts […] c’était beaucoup plus facile de rencontrer des meufs out, je repérais, j’étais repérée, même si j’étais aussi du coup catégorisée et assignée à certains rôles ». De quoi apporter une certaine pression si notre objectif est d’être repérable !
C’est quoi une coupe queer ?
Les cheveux courts, rasés ou avec undercut (le fait de se raser une partie du crâne, plus ou moins visible selon la longueur du reste des cheveux) arrivent en première position de ce que les répondant·es rangent dans les coupes stéréotypiques. Pourtant, moins de la moitié (46%) considèrent avoir une coupe stéréotypique, bien que 66% des répondant·es aient les cheveux courts, rasés ou tondus.
Vic, qui a fait des centaines de coupes de long à court mais pas seulement, précise : « certaines personnes demandent des coupes courtes mais qui ne sont pas stéréotypiquement associées, pour elles, à des coupes queer. Ou alors beaucoup de personnes transmasculines ne veulent parfois pas de coupes stéréotypiquement queer, notamment en début de transition parce que pour eux le plus important va être leur passing donc ils demandent plus une coupe stéréotypiquement masculine que queer ». Pour iel, une coupe courte n’est donc en soi pas nécessairement queer, même si « une coupe classique, tout dépend de qui la porte mais ça peut déjà sortir de la norme ». Dans les critères de Vic, une coupe stéréotypiquement queer c’est donc « une coupe plus originale avec des contrastes forts entre les degrés de rasage : bol, sidecut, undercut, crête… ».

Est-ce qu’on change de coupe quand on sort du placard ?
Pour une bonne partie des répondant·es, le fait de réaliser ou de comprendre leur identification à la communauté LGBTQI+ n’a pas entraîné de changement capillaire immédiat. Beaucoup disent que ce n’était pas sur le coup, mais plutôt un processus fait d’aléas, voire que ce n’est pas arrivé du tout.
G. explique : « J’ai coupé mes cheveux et rasé une partie de ma tête lorsque je me suis assumé·e en tant que personne non-binaire. J’avais conscience d’être queer bien plus tôt mais je ne l’assumais pas et la modification de ma coupe de cheveux est intervenue au moment où je sentais que je commençais à m’affirmer. C’est un élément important dans l’acceptation et l’expression de mon identité ». Pour d’autres, un changement de coupe peut aussi entraîner une remise en question de leur identité, comme cela a été le cas pour C. : « Je n’ai pas changé de coupe lorsque j’ai réalisé ma bisexualité, mais le fait d’avoir des coupes progressivement de plus en plus courtes a contribué à mon exploration de l’androgynie et d’une identité non-binaire. »
De son côté, M. remarque qu’il y a eu deux étapes, selon que son coming-out concerne son orientation sexuelle ou son identité de genre : « Pour moi c’était vraiment en deux temps, j’ai eu une période où je m’identifiais « seulement » comme pan et queer et où j’étais super-fem, […] et quand j’ai transitionné socialement FtX [Femme vers X] j’ai tout coupé/tondu ». Une transition de genre serait alors plus susceptible d’entraîner des changements capillaires, comme l’a également expérimenté H. : « Quand j’ai voulu assumer une identité de genre dissidente, j’ai tout coupé, pour gagner en visibilité. Je relaisse pousser depuis que je passe suffisamment/ trop au masculin, pour équilibrer. »
L’importance du passing, ou l’impact du gain en visibilité sur la décision de changer d’apparence a donc un certain poids, mais Vic n’irait pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’une pression. En effet, lorsque des personnes lesbiennes, bi/pansexuelles et/ou non-binaires viennent lae voir pour une coupe courte ou queer, « les personnes sont flippées, ça prend des mois, des années ou une vie de réflexion sur ça, à penser que « ça va pas m’aller… » Même si ce n’est pas si long, les gens ont l’impression forte que ça va changer le regard qu’on porte sur elleux, et celui qu’elleux portent sur elleux-mêmes. Certain·es veulent effectivement avoir l’air plus queer, c’est important pour elleux pour être visibles aux yeux d’autres personnes de la communauté. J’ai plein de personnes super jeunes, qui viennent de s’installer sur Paris et qui voudraient avoir l’air plus queer pour rencontrer des gens, mais aussi pour se montrer, se sentir comme elles sont, à savoir pas forcément conformes aux normes de genre et qui ont envie de faire cette expérience corporelle ».
Parmi les personnes qui ont envie de changer d’apparence pour refléter davantage leur identité LGBTQI+, il y a celles qui reçoivent une pression d’un autre type. C’est le cas de C., mais ce n’est pas la seule : « Je n’ai rien changé à mes cheveux, mais je voudrais bien. J’ai envie de tester les cheveux courts ou crâne rasé mais mon copain ne veut pas. Il a peur de me trouver moins belle sans cheveux longs. […] Pour moi se raser le crâne serait un acte symbolique fort et pourrait m’aider à me sentir plus « queer ». »
Nos cheveux ne sont pas que le miroir de notre identité LGBTQI+
Lorsque à la question « J’accorde de l’importance à l’apparence de mes cheveux », 89% répondent « plutôt oui que non » ou « tout à fait », les raisons de cette attention peuvent être plus variées que simplement chercher à s’éloigner ou correspondre à des stéréotypes. Certain·es, comme R., expliquent : « mon rapport à mes cheveux est chez moi plutôt lié à ma politisation féministe antiraciste, un refus des normes de beauté sexistes et racistes, et peu, voire pas du tout à ma bisexualité. En tant que meuf arabe, j’ai fait le choix de laisser pousser mes cheveux frisés naturels et longs, ce qui n’était pas le cas avant puisque j’en avais honte et que je les défrisais ». D’autres adoptent des coupes non conformes dans une volonté de réappropriation de leur propre corps, comme H. : « la tonte était vraiment une façon de me reconquérir en quelque sorte, de m’affirmer et de me soustraire aux regards qui pèsent ». Ou alors c’est pour s’éloigner des normes de beauté féminines, tel·le T. : « je ne pense pas aujourd’hui à faire de coupe plus « radicale » ou me colorer les cheveux, parce que je recherche aussi des coupes de cheveux faciles d’entretien, pour me donner le droit de moins prendre « soin » de mon apparence, de me défaire de ces contraintes esthétiques ». Ou bien encore dans un processus d’acceptation de soi comme N. : « J’ai toujours eu un rapport difficile à mes cheveux et quand je les ai coupés ça a été une transformation énorme autant physiquement que mentalement. Une révolution, une nouvelle naissance. À partir de ce jour-là je suis sortie de la recherche de validation constante vis-à-vis des mecs cis, je me suis sentie libre, légère et je me suis beaucoup plus imposée. Ça m’a aidée à assumer d’autres choix. »
Cette liberté dans le choix de notre apparence, c’est finalement ce que l’on souhaite à toustes, et on vous laisse méditer sur ces belles affirmations d’empowerment de deux témoignant·es :
«Plus on me dit que je fais « cliché » plus je trouve important de m’affirmer et d’affirmer mon identité queer. On a le droit d’exister et de le montrer, c’est un enjeu politique.»
«Plus j’avance, plus je m’en fous d’être »moche » aux yeux de la société.»
*Les initiales des prénoms ont été modifiées.
Photographie de couverture ©Gaëlle Matata : Website, Instagram
Cet article a été publié dans le deuxième numéro de notre revue papier féministe, publié en décembre 2019. Si vous souhaitez l'acheter, c'est encore possible ici.