Après des années de lobbying, la loi contre la violence domestique au Liban a été adoptée le 1er avril 2014. Elle offre de nouvelles mesures de protection et d’accompagnement. Entre création d’établissements pour accueillir les victimes et améliorations des recours en justice, la loi prévoit également la mise en place d’une unité spécialisée dans les violences familiales au sein de la police libanaise. Pourtant, cette loi symbolise une victoire en demi-teinte pour les femmes.
Dès sa promulgation, les critiques ont fusé, mettant en exergue plusieurs lacunes. L’association Kafa est l’une de ces voix. Fondée en 2005, l’ONG combat la violence à l’encontre des femmes au Liban. Elle dispense des conseils juridiques et des services directs aux femmes victimes de violences, mais également aux enfants.
« En général, les femmes annulent la plainte »
« En 2007, nous avons commencé à travailler sur un projet de loi pour protéger les femmes contre la violence domestique », explique Maya, militante de l’association militante et séculariste. « Nous avons évalué les obstacles qu’une femme rencontre lorsqu’elle veut porter plainte. Après avoir identifié ces obstacles, il a fallu essayer de résoudre le problème avec une loi qui clarifie la protection pour ces femmes victimes de violence domestique », ajoute la responsable de la communication de Kafa. Au premier rang, il était nécessaire de définir la place et le rôle de la justice – police et juge confondus – à travers des compensations financières, des traitements médicaux, des ordres de restrictions à l’encontre de la personne violente …
« Avant, si une femme voulait porter plainte, elle pouvait avec le code pénal », expose la jeune femme. « En général, elles abandonnent les charges. Ce n’est pas facile… Ce qu’il manquait, c’était une protection tangible. Si elle se rend au commissariat de police et s’ils sont gentils avec elle, ils vont faire signer un papier à l’agresseur dans lequel il s’engage à ne plus la blesser. Même s’ils veulent aider, ils ne savent pas quoi faire, la femme rentre toujours chez elle. La loi comble ce vide ». Ce constat affligeant traduit le poids de la sphère privée et familiale au Liban, et le peu de latitude pour certaines femmes.
Le poids des autorités religieuses
Après des années de travail de terrain, c’est en 2009 que le projet est envoyé au gouvernement libanais. Ce dernier l’approuve l’année suivante et l’envoie à son tour au Parlement, où une commission étudie la loi. Un processus qui durera quatre ans, de 2010 à 2014. « Sur ces quatre ans, il a fallu plus d’un an et demi pour que la loi soit étudiée, et il y a eu des changements négatifs. C’est à ce moment que notre mobilisation a été forte. Nous étions au courant de toutes leurs discussions, dont certaines étaient vraiment sexistes », se rappelle la membre de Kafa. Un combat d’influence s’est engagé dans un pays où les religions ont une grande influence sur la politique et la société libanaise. « Parmi les politiques de ce comité, il n’y avait qu’une seule femme », détaille Maya, « elle n’était pas nécessairement féministe. On s’est retrouvé avec deux camps : l’un nous était favorable, tandis que l’autre était plus concerné par l’opinion des autorités religieuses. La femme et la famille sont des sujets très liés à la religion au Liban ».
Le Grand mufti du Liban, Mohammad Rachid Kabbania a critiqué à plusieurs reprises le texte. D’après lui, la loi constitue une intrusion dans la sphère privée et ruinerait la famille. « Ce genre de déclaration a eu une influence sur les discussions de la classe politique », commente Maya. Les instances religieuses ont un poids considérable dans ces problématiques, comme la garde des enfants. « Il y a 15 cours religieuses au Liban. Dans une religion, un enfant peut rester avec sa mère jusqu’à 12 ans, tandis que ça peut être 2 ans pour une autre. Ils n’ont pas nécessairement une protection. En général, les juges sont compréhensifs et responsables, mais on ne sait jamais », expose la jeune femme.
« Ce qui est criminalisé, c’est la preuve du viol, pas le viol en soi »
« Nous avons fait beaucoup de lobbying », se souvient la féministe, « en 2012, nous avons pu réécrire certains articles mais pas tous. Sur certains points, nous voulions que la loi concerne spécifiquement les femmes, mais cela a été transformé en une loi concernant les violences « familiales » et non les violences familiales à l’encontre des femmes. » Un aspect de la loi reste à réfléchir. Il concerne le viol dans le cadre de violences domestiques.
Pour Maya, « ce qui est criminalisé, c’est la preuve du viol, pas le viol en soi. Cela devrait être un crime ! Ils condamnent les violences qui accompagnent l’acte mais pas le viol lui-même… » Dans L’Orient-Le Jour daté du 27 août 2014, la journaliste Nada Merhi établissait un premier bilan contrasté de la loi contre la violence domestique. Les procédures restent complexes. La confusion règne au sein de la population, tandis que certains restent de farouches opposants à cette loi, encore insuffisante.
Kafa : luttes et chantiers pour la protection des femmes
Fondée en 2005, l’ONG Kafa (« assez » en arabe) combat la violence à l’encontre des femmes au Liban. Elle dispense des conseils juridiques et des services directs aux femmes victimes de violences, mais également aux enfants. « Nous nous concentrons sur la violence familiale, le trafic et l’exploitation », décrit Maya Ammar, responsable de la communication de l’association. « Nous essayons aussi de changer les mentalités, les concepts et visions autour de nous, comme le patriarcat légal, notamment en travaillant avec des hommes et des jeunes garçons« , explique la jeune femme. Kafa, c’est un panel d’outils pour aider les femmes au Liban, victimes de violences. L’association a ouvert des centres d’écoute et de conseils à Beyrouth et dans la Bekaa [Est du Liban] pour les femmes victimes de violences. En parallèle, Kafa a développé des programmes de protection de l’enfance, « dont un spécifiquement basé sur les violences de genre », précise Maya. Depuis des années, l’association féministe est en première ligne et réclame une meilleure protection légale des femmes dans la société libanaise.