En même temps que les amendements portant le mannequinat et les photos retouchées (voir article détaillé), les député on voté un amendement visant à interdire les sites pro-ana (anorexie). Bien qu’il fasse référence à « l’incitation à la maigreur excessive », ce sont bien les sites dits « pro-ana » qui sont visés. Prétendant contribuer à la lutte contre l’anorexie mentale en protégeant les « personnes fragiles » des sites pro-ana, ces amendements sont bien loin de ces objectifs et se tournent au contraire, contre les malades.
Des communautés de soutien diversifiées
Sans rechercher l’exhaustivité, il serait déjà bon d’en savoir plus sur ces communautés représentées par des blogs, des sites et des forums tenus par les premier-e-s concerné-e-s, mais aussi présentes dans les réseaux sociaux. Il est déjà problématique de se restreindre à l’anorexie mentale, étant donné que les troubles de comportement alimentaires (TCA) sont en réalité polymorphes. Nombreuses sont les anorexiques qui alternent avec des phases de boulimie (désigné sous le terme « mia » pour « bulimia », boulimie en anglais), mais d’autres TCA (comme l’orthorexie) peuvent aussi s’en mêler.
Ces communautés sont plus diversifiées que laissent penser les préjugés qui laisseraient entendre qu’elles défendent les TCA comme étant des modes de vie, alors que ce n’est pas du tout l’opinion majoritaire. Même les personnes se considérant comme pro-ana ou pro-mia ne définissent pas toutes ces termes de la même manière. Très loin de faire du prosélytisme, la plupart ont conscience de leur maladie, et tentent de vivre avec (il ne suffit pas de savoir qu’on a des TCA pour y mettre fin, loin de là). Leur but est avant tout de témoigner, d’exprimer leur mal-être, mais aussi de trouver du soutien et de s’informer.

Le soutien mutuel est une composante importante des communautés ana/mia. En effet, beaucoup de personnes souffrant des TCA sont assez facilement isolées (par des difficultés sociales qui peuvent être à l’origine de leur maladie, mais aussi celles engendrées par les TCA eux-mêmes), et se retrouve souvent face à une incompréhension de leur maladie (elles peuvent souvent être vues comme capricieuses, superficielles ou manipulatrices, alors qu’en réalité la situation les dépasse) ce qui rend très difficile les échanges sur cette dernière (et encore plus sur leur alimentation). Ces espaces sur Internet sont souvent le seul moyen de le faire. On y découvre d’ailleurs une bienveillance et une empathie qui peut manquer dans d’autres milieux, notamment médicaux.
Néanmoins, il ne s’agit pas de dire que ces sites sont tous anodins. On peut ainsi, dans certains sites ana, trouver des conseils pour gérer la faim et maigrir d’avantage, des modèles à suivre (thinspiration), ou parfois des objectifs extrêmes (comme les fameux « thigh gap« ), qui peuvent mener à des compétitions malsaines.
Mais il faut déjà savoir qu’on ne tombe pas sur ces sites par hasard (d’autant plus que la politique de censure ne date pas d’hier). Les personnes qui les visitent les recherchaient, et les méthodes pour maigrir peuvent être facilement trouvées ailleurs, y compris dans les sites de santé ou de nutrition grand public (sans même parler des nombreux régimes largement diffusés et pourtant potentiellement dangereux pour un certain nombre).
D’ailleurs, les TCA sont des maladies. On ne devient pas anorexique en se rendant sur un site pro-ana. Quant aux malades, il a été montré qu’ils/elles refusent rarement de guérir. Au contraire, la majorité sont suivi-e-s sur le plan médical. Par ailleurs, il y a aussi souvent une volonté de s’informer sur les TCA, et on peut donc aussi trouver de la documentation, ainsi que des réflexions sur ces dernières, sans occulter leurs dangers.
Si le phénomène réel de personnification des maladies sous les noms de Ana et de Mia peut paraître dérangeant, il s’agit avant tout de l’expression de ces maladies et d’une certaine manière de leur fonctionnement.
Enfin, il existe souvent des formes d’autorégulation dans les communautés, où, par exemple, on prend soin de s’assurer à ce que personne n’aille trop loin, on aide une personne à rechercher une aide médicale si elle est en danger.
Un amendement contre les malades et leur parole…
Dans ce contexte, l’amendement prend une tournure répressive lamentable puisqu’il s’attaque en fait aux premier-e-s concerné-e-s, pouvant aller jusqu’à les mettre en prison pour leur maladie.
» ARTICLE ADDITIONNEL, APRÈS L’ARTICLE 5 QUATER, insérer l’article suivant:
I. – La section 1 du chapitre III du titre II du livre II du code pénal est complétée par un article 223‑2‑1 ainsi rédigé :
Art. 223‑2‑1. – Le fait de provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive en encourageant des restrictions alimentaires prolongées ayant pour effet de l’exposer à un danger de mort ou de compromettre directement sa santé est puni d’un an d’emprisonnement et de 10 000 € d’amende. » ;
II – Le livre II bis de la troisième partie du code de la santé publique est complété par un titre II ainsi rédigé :
Titre II Lutte contre la maigreur excessive
Art. L. 3233. – Le fait de provoquer directement une personne à rechercher une maigreur excessive est réprimé par l’article 223‑3 du code pénal. » «
Cette approche permet de donner bonne conscience aux politiques, qui se soucient peu de ses conséquences désastreuses, ces derniers ignorant les réalités de ces maladies, et du fait que l’isolement en est le pire traitement, ainsi que les effets contre-productifs d’une telle censure.
L’idée de fond de certain-e-s porteu-r-se-s du texte suppose de s’attaquer aussi aux témoignages. On retrouve donc aussi une politique qui consiste à refuser que les personnes souffrant de TCA puissent s’exprimer, dans une idée plus globale de délégitimation de la parole des malades.
… pour mieux ignorer les problèmes des TCA
Mais si cette mesure a été mise en place, c’est avant tout pour mieux ignorer les vrais problèmes concernant les TCA. En effet, leur gestion médicale est calamiteuse. Par exemple, le traitement de l’anorexie mentale se cantonne trop souvent à la gestion du poids des malades, sans vraiment se préoccuper du mal-être psychique qui se trouve derrière, laissant toute la place à des « rechutes », parfois immédiates.

Les hôpitaux psychiatriques généralistes sont souvent incompétents, utilisant des méthodes violentes et totalement inadaptées (isolement, chantage…). S’il existe des centres spécialisés, où cela se passerait généralement un peu mieux, ils restent rares et sont saturés.
Finalement, les communautés ana/mia viennent aussi se substituer à ces trop nombreuses failles du système, apportant l’aide qu’elles peuvent aux personnes pouvant difficilement obtenir un soutien médical, par exemple parce qu’elles n’ont pas perdu assez de poids.
Ils auront beau être « soucieux de combattre ce fléau », aucune mesure n’a été proposée d’un point de vue médical, un comble pour une réforme du système de santé ! Malheureusement, il s’agit d’un symbole parmi tant d’autres du délaissement du service public de santé, sacrifié dans la politique d’austérité.
Pour aller plus loin... Un projet de recherche a porté sur les communautés ana/mia et il a publié un rapport intéressant. Il est difficile de comprendre les TCA quand on ne les a pas vécus. Néanmoins, lire des témoignages à ce sujet peut apporter un éclairage. On peut en trouver beaucoup sur le site de l’association Enfine. Voici aussi quelques-uns qui ont été publiés dans des médias : un sur Madmoizelle, un sur Rue89, et une réaction à un article sur les ana/mia.