Quel accès à la maternité pour les femmes handicapées ?

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© Charlotte

La loi de 2005, qui régit toute la politique du handicap en France, met en avant cinq piliers que sont le droit à compensation, l’emploi, la scolarisation, l’accessibilité des lieux publics, et la mise en place des MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées), mais il est important de noter qu’aucun cadre légal n’est créé autour de la question de la parentalité des personnes handicapées.

Béatrice Idiard-Chamois, sage-femme à l’Institut Mutualiste Montsouris, en situation de handicap dû à la maladie génétique de Marfan (1), dénonce cette situation : « c’est la société qui est très paradoxale ! il y a des aides pour les personnes handicapées parce qu’on les dit incapables de faire les choses, mais il n’y a pas d’aide à la parentalité parce que parallèlement à ça, on va leur dire « bah non, ne faites pas d’enfants, etc., alors que vous avez besoin d’aide ! » »

(Dessin réalisé par Charlotte.)

Selon elle, la société « cautionne le fait de garder les personnes handicapées dans une situation infantilisante en ne donnant aucun cadre légal à la parentalité pour les empêcher d’y accéder. » La société, bien qu’ayant promu à travers la loi de 2005 la pleine et entière citoyenneté des personnes handicapées, continue de les considérer comme des êtres mineurs, et cela se justifie par le fait qu’elles aient besoin d’aide extérieure et ne soient pas jugées comme autonomes.

La maternité des femmes handicapées : une question restée dans l’oubli

La situation des personnes handicapées permet de mettre au jour un profond questionnement sur les notions d’autonomie et d’entraide, rappelant que ces notions, non loin d’être stigmatisantes, font partie de la condition humaine. Ce refus de considérer les personnes handicapées comme des sujets est un point très sensible dans les liens entre handicap, femmes et maternité.

Les femmes handicapées subissent encore plus de discriminations que les hommes handicapés car elles cumulent deux oppressions spécifiques. Peut se rajouter à ces deux oppressions une multitude d’autres comme la race, la classe, l’orientation sexuelle… qui redessinent à chaque fois les contours de ces situations vécues.

La question de l’accès à la maternité est très longtemps restée dans l’oubli, et cela fait seulement quelques années que certains chercheurs, médecins, soignants… l’étudient. Nous avons donc très peu de données, mais les témoignages que l’on peut trouver augmentent petit à petit, leurs possibilités d’existences étant aussi souvent liées à une connaissance scientifique de plus en plus précises sur des handicaps de plus en plus complexes.

À travers ces témoignages, plusieurs sentiments récurrents apparaissent comme ceux de l’estime de soi, de l’accès problématique à la féminité, des préjugés sociaux qui empêchent les rencontres amoureuses, et freinent le désir d’enfant.

On balance entre la culpabilité parce qu’il nous manque la prestance, la force, la rapidité, l’efficacité, et le sentiment d’être comme les autres mères

Comme l’explique Esther(2), qui a une agénésie congénitale qui l’a fait marcher avec deux prothèses au niveau des genoux : « il ne faut pas écouter les gens qui ont des idées négatives. Avoir des enfants n’est pas insurmontable pour une mère handicapées. »

Ou comme le dit Hélène (2), atteinte de polio : « être une maman handicapée dans la société, n’est pas très rassurant. On balance entre la culpabilité parce qu’il nous manque la prestance, la force, la rapidité, l’efficacité, et le sentiment d’être comme les autres mères. »

La culpabilité de devenir mère

La culpabilité est aussi une notion très présente dans les témoignages de ces femmes qui veulent ou sont devenues mères. Cette culpabilité se rapportant à la peur de transmettre leur handicap à l’enfant. Cela est nourri, bien sûr, par la vision négative de la société sur le handicap qui est considéré comme une tare, une dégénérescence, une incapacité… images que beaucoup de femmes handicapées ont intériorisées, et qui expliquent qu’elles ne veulent pas transmettre ce « fardeau ».

Cela est visible dans le témoignage d’Hélène qui explique cette culpabilité par le fait de ne pas posséder les caractéristiques rattachées socialement à une bonne mère. Ces caractéristiques se rapportent toutes à la performance corporelle qui doit se faire dans la quantité (rapidité) et la qualité (prestance). La faiblesse et la vulnérabilité sont souvent rattachées au handicap, comme le souligne Hélène quand elle dit qu’il lui manque « la force », ce qui rapproche plus la femme en situation de handicap d’un statut d’enfant que de parent. Pour la société, les personnes handicapées constamment infantilisées peuvent, en effet, difficilement devenir des êtres protecteurs pour leur enfant, et ceci est encore plus frappant pour les femmes handicapées puisque les femmes restent, en général, les pourvoyeuses de soins aux personnes considérées comme les plus fragiles tels que les enfants.

Cela semble plutôt la traduction d’une mise à la marge provoquée par un effacement total des besoins de ces femmes. Elles ne trouvent que peu de cabinets gynécologiques ou des maternités accessibles, que peu de médecins prêts à les écouter et à entendre leurs spécificités, et que peu de matériel de puériculture adapté à leurs handicaps.

Certains hôpitaux essayent donc de répondre petit à petit à ses demandes en se fournissant en matériel de consultation adapté, telles des tables de gynécologie pouvant accueillir des patientes n’ayant que très peu de force musculaire comme dans certaines maladies neuromusculaires, ou ayant une forte spasticité comme chez les infirmes moteurs cérébraux. Pour le suivi de grossesse, il s’agit de mettre en place des protocoles adaptés à chaque femme selon leurs difficultés, qu’elles soient respiratoires, cardiaques, rénales… De plus en plus d’alternatives permettent de pallier à certaines difficultés corporelles, mais encore faut-il que les médecins acceptent de les mettre en place.

Un rejet médical

Face aux demandes de grossesse des femmes handicapées, beaucoup trop de médecins répondent encore : « un enfant ? Pourquoi faire dans votre état ? », raconte Béatrice Idiard-Chamois. Une cardiologue lui a même dit  qu’ »il est hors de question que je fasse une grossesse parce que l’enfant risque d’être atteint et de coûter cher à la sécurité sociale ! »

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(Dessin réalisé par Selma.)  ©

Les professionnels de santé anticipent même les demandes, comme le montre le témoignage que Lydie Raer, une jeune femme atteinte d’ostéogénèse imparfaite (3), fait sur son blog en citant un médecin consulté : « Vous savez, votre maladie est héréditaire ! Il faut absolument que vous vous protégez afin de ne pas avoir d’enfant handicapé ! » Elle ajoute en commentaire : « Sérieusement, bien que la question de la grossesse ne se pose pas à moi pour l’instant, j’estime qu’un professionnel de santé n’a pas à tenir de tels paroles à un patient, propos qui s’apparentent purement et simplement à de l’eugénisme. »

Une autre jeune femme atteinte d’une maladie neuromusculaire, l’amyotrophie spinale, fait ce témoignage : « mon pneumo (enfin, un réanimateur) hautain, austère avec qui je ne me suis jamais sentie à l’aise, car il ne me prenait jamais au sérieux, et doutait toujours de ce que je pouvais lui dire… Quand il a appris que je voulais être enceinte ça a été l’apothéose, il a été cassant, même méchant. »

Certaines femmes handicapées de ma génération
ont été stérilisées de force

Pourtant, des femmes en situation de handicap ont réussi à avoir des enfants malgré les obstacles qui se sont dressés devant elles, et à gérer le quotidien par la suite. Certaines de ces femmes ont pu également trouver une aide auprès du service d’accompagnement à la parentalité pour les personnes handicapées (S AP P H) qui offre une ressource de matériel de puériculture adapté via son handipuéricultèque. S’est créé également des associations comme Handiparentalité, à l’initiative d’une jeune mère, atteinte également d’ostéogénèse imparfaite, souhaitant aider les autres femmes handicapées dans l’accès à la parentalité.

Elle témoigne d’ailleurs sur son parcours personnel : « J’ai dû sélectionner des médecins bienveillants. Certains m’ont fait des remarques du type : ‘vous ne savez pas ce que c’est que d’avoir un enfant’, ou encore ‘vous ferez forcément une fausse-couche’. J’ai eu de la chance. Certaines femmes handicapées de ma génération ont été stérilisées de force ».

Handicaps mentaux et maternité : le prochain tabou à lever

Si les mentalités changent peu à peu, et qu’il est aujourd’hui possible de trouver des centres d’aide, aussi bien médicaux pour le suivi de la grossesse que pour soutenir ensuite les mères dans la gestion du quotidien avec l’enfant, beaucoup de femmes handicapées sont encore confrontées à de nombreux rejets. Cela se voit notamment lorsqu’on entre dans le domaine du handicap mental où les désirs et les consentements des personnes sont sans cesse remis en cause.

Béatrice Idiard-Chamois, qui a tenu absolument à ce que sa consultation de gynécologie soit ouverte à toutes les patientes sans distinction de handicaps, reconnaît elle-même que, en ce qui concerne la parentalité, elle ne peut gérer actuellement qu’un accompagnement pour les femmes handicapées moteur et sensoriel. « Les assistantes sociales rendraient mon travail trop difficile en ce qui concerne les femmes handicapées mentales », admet-elle. Ce refus organisé socialement de la maternité aux femmes handicapées mentales, s’est traduit par de nombreuses affaires de stérilisations forcées, et ce encore récemment, dans lesquelles les témoignages des femmes stérilisées sont d’une violence extrême.

Toutes ces histoires renvoient à l’image que la société se fait d’une bonne mère, des valeurs que cette société veut transmettre et de qui elle juge capable d’élever ceux qui la formeront plus tard. Pourtant, si l’on prenait le temps de reconsidérer le handicap, il serait possible de s’apercevoir qu’il est une opportunité pour un monde meilleur, prenant plus en considération les différences de chacun-e, mettant en exergue la solidarité et le partage, et que les femmes handicapées souhaitant devenir mères y ont toute leur place. Elles sont capables de transmission, de soins, d’éducation, et tout cela s’inscrivant dans un réseau qu’il est important de développer aussi bien pour les femmes handicapées que pour les femmes valides.

Charlotte

Notes

(1) C’est une maladie qui atteint l’ensemble des organes du corps humain, avec des degrés très variables dans ses manifestations cliniques. Les organes les plus touchés sont : l’œil, le squelette et le système cardio-vasculaire.

(2) D. Siegrist, Oser être mère : Maternité et handicap moteur, Doin Editions, mars 2003, Collection APHP.

(3) Cette maladie se caractérise par une extrême fragilité des os, signe le plus typique. Cependant, tous les tissus contenant du collagène sont aussi touchés (os, peau, tendon).

Publié par

Psychologue et docteure en philosophie, je suis militante crip (handie, queer, féministe). Mes sites : https://charlottepuiseux.weebly.com/ et https://charlottepuiseux.com/