Les migrants sont (aussi) des migrantes

Les femmes dans les migrations : pour sortir de l’infantilisation

La représentation classique du migrant dans les médias français est celle de l’homme seul, bien qu’appartenant à une communauté migratoire, venant tenter sa chance de l’autre côté de la mer pour, à terme, envoyer de l’argent au pays et/ou faire venir sa famille. Dans cette lecture, les femmes sont présentées comme passives, attendant les mandats et luttant localement pour leur survie, renvoyées exclusivement à leur condition de compagne et de mère.

Lorsque des femmes migrantes sont évoquées, c’est le plus souvent dans le cadre de la traite prostitutionnelle. Là encore, elles sont présentées comme essentiellement des victimes à sauver et silenciée. On l’a vu dans les débats sur la pénalisation des clients de la prostitution, dans lesquels les prostituées ont été considérées par une large partie du courant dit « abolitionniste » comme trop aliénées pour pouvoir s’exprimer sur leur propre condition. Pourtant, des luttes existent et des organisations collectives émergent, comme celle des Roses d’Acier à Belleville, qui rassemble les travailleuses du sexe chinoise.

Les femmes migrantes n’existent donc dans le discours médiatique et politique que dans des marges, hors des parcours migratoires masculins, et dans une posture de victime et de dépendance.

Les femmes migrantes : nombreuses et fortes

Selon l’Organisation des Nations Unies, depuis 2008 la majorité de la population migrante aujourd’hui est composée de femmes (52%). Cela signifie que les femmes voyagent, dans des conditions aussi dures que celles des hommes, travaillent en Europe, envoient de l’argent au pays… Les migrantes sont présentes et actives.

En France, outre le regroupement familial, près de 40% des réfugié-e-s sont des femmes, et 57% des migrantes originaires d’Afrique centrale ou du Golfe de Guinée (Cote d’Ivoire, Cameroun, république Démocratique du Congo) partent seules. Au total, 42% des femmes arrivent sans leur conjoint (Source : rapport L’égalité pour les femmes migrantes, Ministère des droits des femmes, 2014). La dynamique semble bien être celle de femmes « pionnières » ou célibataires (Enquête Trajectoires et Origines, Ined-Insee, 2008),

Mais cette réalité se heurte aux politiques découlant des discours mentionnés plus haut. Parce qu’elles sont vues comme moins nombreuses, mais aussi moins dangereuses dans leurs errances que les hommes, moins de places en centres d’accueil leurs sont proposées. Nombreuses sont celles qui continuent à dormir dehors, même lorsqu’elles ont des enfants. Au centre Jules Ferry de Calais, 116 femmes et enfants sont hébergés… et 57 sont sur liste d’attente.

Des violences et des obstacles spécifiques

Davantage que les hommes, les femmes voyagent avec des enfants, voir même enceintes. Ayant des charges supplémentaires, elles sont plus exposées à la nécessité de recourir à l’aide d’autres personnes – aide rarement gratuite. La prostitution féminine est endémique sur et autour les camps de migrant-e-s, auprès des passeurs, des populations locales, mais aussi des migrants eux-mêmes. Les viols et violences physiques le sont aussi.

Lorsqu’elles viennent dans le cadre du regroupement familial, les migrantes sont toujours exposées aux violences, conjugales cette fois. Avec le couperet de l’expulsion, le divorce n’est pas une option pour nombre d’entre elles. Les restrictions de l’accès au titre de séjour aggravent cette situation.

D’autre part, parce qu’elles se trouvent à l’intersection de multiples oppressions et discriminations, les femmes migrantes ont aussi plus de mal à trouver du travail, et quand elles en trouvent, il est, comme partout, moins bien payé que celui des hommes. Lorsqu’elles sont sans-papiers, elles travaillent comme les hommes, au noir, mais conformément à la division sexuelle du travail, elles se retrouvent dans les services à la personnes, les soins aux enfants, aux personnes âgées, aux ménages…des tâches usantes, sous-payées, aux horaires découpés, sans possibilité d’organisation collective ni d’évolution professionnelle.

De plus, la différence d’accès à l’éducation dans de nombreux pays se traduit par un taux d’analphabétisme plus élevé chez les femmes (en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud et de l’Ouest environ la moitié des femmes sont alphabétisées contre entre deux tiers et trois quarts des hommes). Et les cours dispensés par les associations tiennent rarement compte de leurs difficultés spécifiques: ainsi peu de cours acceptent la présence d’enfants. Certaines associations communautaires ou centres sociaux tentent de mettre en place des haltes garderies pendant les cours mais cela reste faible.

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Samedi 5 septembre à 17h à Paris, Place de la République :
Rassemblement Le NéoColonialisme Tue.
L’évènement facebook ici.

Un angle mort raciste et sexiste

L’invisibilisation des femmes migrantes découle de plusieurs dynamiques. Mais il est important de revenir sur l’appropriation des corps et la silenciation dont font l’objet les femmes non-blanches dans le monde et en France en particulier. Elsa Dorlin a démontré dans La Matrice de la race comment s’articulent les politiques sexistes et racistes, et comment le colonialisme et après lui le néo-colonialisme et l’impérialisme se sont emparés du corps des femmes non-blanches. Ils en ont fait un objet du discours raciste et patriarcal qui légitime les politiques nationales et internationales aujourd’hui comme hier.

La question n’est pas de savoir si les femmes migrantes existent, ni si elles s’organisent : c’est de savoir si leurs voix et leurs existences sont entendues et reconnues.

Quelques associations et collectifs qui travaillent spécifiquement sur la question des femmes migrantes :
FFMed (Fonds pour les Femmes en Méditerranée)
Femmes migrantes Debout
Collectif ADFEM (Actions et droits des femmes exilées et migrantes)
Femmes de la Terre
RAJFIRE (Réseau pour l’autonomie des femmes immigrées et réfugiées)