« Vous vous appelez Claire, vous avez quarante-huit ans, vous êtes professeur, divorcée. Pour surveiller Jo, votre amant volage, vous créez un faux profil Facebook : vous devenez une jeune femme brune de vingt-quatre ans, célibataire, et cette photo où vous êtes si belle n’est pas la vôtre, hélas. C’est pourtant de ce double fictif que Christophe – pseudo KissChris – va tomber amoureux. En un vertigineux jeu de miroirs entre réel et virtuel, Camille Laurens raconte les dangereuses liaisons d’une femme qui ne veut pas renoncer au désir. »
Voilà les termes utilisés par Gallimard pour former le résumé du dernier ouvrage de Camille Laurens, paru le 1e janvier 2016. Lu à l’occasion du Jury pour le Prix du roman étudiant France Culture-Télérama, j’ai été à la fois surprise et ravie de constater que non seulement plusieurs auteures avaient été nommées, mais aussi que l’un des romans était un écrit résolument féministe.
Un personnage fragilisé par la vision que les hommes ont d’elle

Dans la première partie du roman, on découvre le personnage de Claire, qui semble parler à un psychologue – on devine que derrière ses paroles se cache un événement difficile qu’elle ne parvient pas à assumer. Le fait de raconter son histoire « banale », celle d’une femme qui après son divorce retombe dans les bras d’un homme ayant tout d’un pervers narcissique, puis dans une histoire sans lendemain, si bien qu’elle tombe en dépression, est rapidement prétexte pour Camille Laurens de dénoncer la manière dont les femmes sont traitées dans la société, notamment celles ayant dépassé la cinquantaine.
Ainsi, sous le couvert d’un discours d’une femme malade, l’auteure émet plusieurs critiques envers la société patriarcale et masculine. Cette manière de les mettre dans la bouche d’une femme dont le psychisme paraît fragile pourrait être sujet à une critique – cherche-t-elle à se défendre de tout féminisme, se protège-t-elle des critiques ? Probablement un petit peu. Malgré tout, le fait que Claire ait souffert à cause des hommes, et que son mal-être vienne directement d’eux donne au contraire un accent de vérité et une force certaine à ses propos.
L’autofiction, un façon de renforcer sa critique
D’ailleurs, ce discours est renforcé par la deuxième partie du livre, où Camille Laurens paraît s’adonner à l’auto-fiction. Elle raconte ce qui serait une histoire vécue : elle tombe amoureuse d’un homme de 38 ans, celui-ci a l’air de l’aimer aussi. Ils couchent ensemble, elle retrouve une joie de vivre et une envie d’écrire qui avait disparu depuis son divorce. Pour lui faire plaisir, elle loue une maison isolée au bord de la mer (il est photographe, il a besoin de belles lumières). Sauf que dans la voiture, alors qu’elle commente une chanson, il comprend qu’elle a 52 ans. Dès lors, il se met dans une rage froide, l’ignore, lui fait du mal. Puis l’abandonne. Dans cette maison, sans nourriture, ni voiture. Elle est retrouvée par les propriétaires deux semaines plus tard, déshydratée et dans un état de dépression sévère.
« La différence, c’est que tous les hommes ont un avenir. Toujours. Un à-venir. UN avenir sans nous. Les hommes meurent plus jeunes. Peut-être. Mais ils vivent plus longtemps. J’ai lu que sur les sites de rencontres, la frontière entre quarante-neuf et cinquante ans est pour les femmes le gouffre où elles s’abîment. À quarante-neuf ans, elles ont en moyenne quarante visites par semaine, à cinquante ans elles n’en ont plus que trois. Et pourtant, rien n’a changé, elles sont les mêmes, avec un an de plus. »
Le jeu avec la réalité, qui renforce encore plus cette dénonciation de la société où les femmes qui ne sont ni jeunes, ni belles, ni désirables, est encore plus perturbant lorsqu’elle laisse entendre que toute la première partie du roman est une adaptation de l’histoire d’une femme rencontrée dans l’hôpital psychiatrique où elle sera internée une fois retrouvée.
Comme si, dans les livres mais aussi dans la vie, les femmes sont sujettes aux même maux, causés par des hommes sûrs de leurs pouvoirs, de leur ascendance et de leurs jugements.
Dans son œuvre, elle dénonce non seulement le fait que les hommes puissent avoir un tel pouvoir sur les femmes, mais aussi la société qui veut mettre de côté toutes celles ne répondant pas aux « bons critères » : être douce, affable, pas trop intelligente, bonne mère, mais surtout « baisable ». Elle fait une apologie du désir, force de vie que la société arrache à toutes celles qui selon elle ne devraient pas pouvoir le posséder.
Comme si le désir et la vie ne pouvaient appartenir qu’à une seule catégorie de la société.
La conclusion : un message de colère, et d’espoir
La fin du livre est d’ailleurs poignante et révoltante – avec les dernières lignes, on comprend toute sa colère envers les hommes, mais aussi sa foi envers la société. Il s’agit du dialogue du mari de Claire, qui souhaite divorcer d’elle pour refaire sa vie avec une femme d’une vingtaine d’années. Il argue que sa femme ne souffre certainement pas, mais ne fait que de la comédie dans le but de se venger du fait qu’il soit parti – en plus, le fait qu’elle souhaite rester internée est bien une preuve qu’elle abandonne ses enfants, n’est ce pas ? Autant la laisser vivre (ou mourir ?) là où elle veut mais qu’on le laisse tranquille… La justice n’a pas le droit de la protéger, contre lui.
Pour conclure, je conseille vivement ce livre : facile d’accès, avec ses 134 pages, il ne fait pas trop peur. L’écriture est riche, fluide, et parvient à nous happer d’une telle manière que l’on revit avec les protagonistes toute leur souffrance.