« Jusqu’au dernier moment, on essaie de nous faire changer d’avis ! », se souvient Charlotte, qui s’est fait stériliser à 30 ans. « L’infirmière finissait de me préparer sur la table d’opération, en s’étonnant que je ne veuille pas d’enfant du tout. « On ne sait pas de quoi la vie sera faite… » m’avait-elle dit pour essayer de me convaincre à renoncer », raconte la jeune femme. Excédée par le parcours de combattante qu’a été l’obtention de sa stérilisation, Charlotte a fondé en 2010 une association, le MLSV (Mouvement pour la stérilisation volontaire). Son objectif est de répondre aux questions des intéressées et les aider à obtenir des adresses de gynécologues « safe« .
Un sujet encore tabou même chez les féministes
La première difficulté était d’ »informer le grand public que la stérilisation volontaire est un moyen de contraception, et non une mutilation. Même chez les féministes c’est difficile à faire entendre », constate Fabrice, un ami de Charlotte qui s’est investi dans l’association. Il l’a accompagnée lors des interventions et a été considéré comme son mari par le personnel soignant.
L’association, composée d’environ 8 personnes, a dû cesser son activité fin 2014, faute de bénévoles, mais aussi de soutien des autres organisations féministes. « Nous avons sollicité certains centres du Planning familial pour faire de l’information ensemble, mais cela n’a rien donné. La stérilisation volontaire reste un sujet sensible, qui met mal à l’aise, car elle est perçue comme une contraception de confort », regrette Charlotte. Ainsi, le MLSV était la seule association française à s’emparer du sujet, même si l’on peut mentionner aussi le mouvement Childfree et un groupe sur la vasectomie.
Un choix
« La meilleure contraception c’est celle que l’on choisit ». Pour Charlotte, ce slogan féministe avait tout son sens quand elle a fait son choix. Si elle ne souhaitait pas avoir d’enfant, la stérilisation était la méthode la plus sûre et la plus « logique » selon elle. Lorsqu’elle a voulu franchir le pas en en parlant à sa gynécologue, elle s’est heurtée à « beaucoup de mépris. Quand je lui ai dit que je voulais arrêter la pilule, elle a réagi en me demandant si c’était pour « un projet bébé »… Puis quand je lui ai parlé de stérilisation, elle m’a pour la première fois parlé de mettre un stérilet… Mais pourquoi se faire poser un stérilet tous les cinq ans alors que l’on peut faire une opération qui règle le problème en une fois ? Pour les médecins, cela semble incohérent de ne pas vouloir faire d’enfant, ils pensent que c’est un caprice ou bien un acte dépressif. Une autre gynécologue consultée ensuite m’a dit que cela serait dommage si je voulais faire un cadeau à un homme plus tard… »

Emy, 32 ans, avait aussi beaucoup mûri sa décision avant de se lancer : « Je n’arrivais pas à prendre la pilule de manière assez régulière, ce n’était pas un moyen de contraception adapté pour moi. J’avais pris la décision de vouloir quelque chose de définitif, depuis une quinzaine d’années je savais que je ne voulais pas d’enfant », explique-t-elle.
Si la loi laisse une marge de manœuvre aux médecins qui refusent de stériliser les femmes qui le demandent, elle les oblige cependant à les orienter vers un confrère qui l’accepte. Mais la réalité est toute autre. « Lorsque j’en ai parlé à ma gynéco habituelle, elle a eu l’air choquée : « oh là là, mais vous êtes jeune, mais c’est radical vous vous rendez compte ?! » ». Infantilisées, les femmes qui veulent avoir recours à la stérilisation ont beaucoup de mal à trouver un médecin compréhensif.
Essure, la méthode jugée la moins invasive
Charlotte est un cas à part, car elle a dû avoir recours aux deux méthodes. Tout d’abord, la méthode dite Essure (le nom du laboratoire qui fabrique les implants), où de petits implants sont introduits par voie naturelle dans les trompes. « Ce n’est pas invasif, on peut avoir une simple anesthésie locale et au bout de trois mois les trompes sont bouchées », explique Charlotte.
[mise à jour : la méthode est actuellement remise en question suite à plusieurs effets secondaires constatés chez les patientes]
Mais pour elle, cas rare, l’opération ne s’est pas bien passée… « Il y a eu un problème avec un implant, en retirant l’inserteur qui s’est retrouvé bloqué. En tirant dessus il était possible qu’il y ait eu des éclats dans l’utérus ou même que l’implant soit cassé et donc la stérilisation à refaire », raconte Charlotte. Trois mois après, le verdict tombe : il faut recommencer l’opération. « J’ai hésité à refaire une deuxième opération. Pas à cause de la chirurgie, mais pour toute la démarche à refaire, recommencer à affirmer à tout le monde que je ne voulais pas d’enfants », se souvient-elle.
Mais la jeune femme ne se décourage pas, et subit une ligature des trompes. « On pose des clips sur les trompes. Ce n’est pas une mutilation, car on n’enlève rien. Cette opération est plus lourde, car il est nécessaire d’ouvrir, on s’en remet plus difficilement, je suis restée deux nuits à l’hôpital », détaille Charlotte.
Via le MLSV, Emy a eu l’adresse d’un chirurgien à Sarcelles, qui était fiable. « La première fois que j’y suis allée, en 2012, un décret venait d’être passé pour que la méthode Essure, la moins risquée et la plus efficace, devienne payante pour les femmes de moins de 40 ans. Je n’avais pas les moyens de payer l’opération de 2.000 euros », se rappelle Emy. Elle se met alors à économiser, avant de reprendre rendez-vous début 2013 une fois le décret supprimé. « L’anesthésiste ne comprenait pas ma décision, car il me trouvait trop jeune pour renoncer aux enfants », se souvient-elle. Pour Emy, l’opération s’est bien passée. « J’ai eu un peu mal pendant les mois qui ont suivi, mais c’est vite passé. Maintenant, je fais seulement sonner parfois les portiques de sécurité à cause des implants », sourit-elle.
Arrêter d’être perçue comme une mère potentielle
« Ma stérilisation est un choix personnel, mais aussi politique. Cette méthode contraceptive est toujours envisagée comme un dernier recours, car les femmes sont toujours considérées comme des mères potentielles », dénonce Charlotte. Certains médecins renvoient ainsi vers des psychiatres ou demandent une lettre de motivation, surtout si la patiente est jeune. De plus, « il y a quatre mois de réflexion imposés avant l’opération. En France, même pour la chirurgie esthétique on ne donne pas autant de temps… », soupire Charlotte.

Parmi les femmes qui ont demandé la liste de médecins safe du MLSV, la plupart veulent avoir recours à la stérilisation, car elles sont convaincues de ne pas vouloir d’enfant, ou bien car elles supportent mal leur contraception actuelle. Mais, comme pour l’avortement, les médecins n’aiment pas se retrouver étiquetés « stérilisateurs », et parfois refusent de continuer à pratiquer ces opérations de peur que cela ne nuise à leur réputation.
Le regard des autres est dur à encaisser du côté des médecins, censés accompagner leurs patientes, mais aussi évidemment du côté des proches. « Mon ancienne meilleure amie de l’époque a accepté mon choix, mais ne le comprenait pas. Ma sœur, elle, a été très compréhensive et m’a beaucoup soutenu, même si sa première réaction a été : « Ah c’est moi qui vais devoir faire des enfants alors ! ». Mais mes parents ne sont pas au courant », énumère Emy. Pour elle, il est indispensable « d’être bien entourée » pour franchir ce pas.
Le MSV ayant été dissous en 2014, la liste de chirurgiens acceptant de pratiquer une stérilisation volontaire a été transmise au groupe féministe Gyn&co.
Sommaire du dossier :
Stérilisation volontaire : un sujet qui émerge
Stérilisation : « Une femme qui décide de ne pas vouloir des enfants, c’est toujours louche »
Stérilisation des trans : le témoignage de V