
La féminisation des titres et fonctions au sein d’un laboratoire de recherche
Depuis début septembre 2015 , je travaille au sein du laboratoire d’histoire de l’art de Paris-Sorbonne, Paris IV. Cela consiste entre autre à gérer les actualités du site, les pages personnelles des membres, et les parutions de leurs ouvrages – tous.tes sont en effet chercheur.euse.s.
Au début du mois de février était organisée la « rentrée des doctorants ». A cette occasion, avec l’aide d’une doctorante, nous avons décidé de faire entendre notre voix : agacées par le manque de représentation des femmes dans les titres et fonctions du Centre, nous voulions imposer l’écriture épicène. Pour cela, nous avons présenté non seulement les circulaires émanant de l’État, mais aussi le fichier explicatif présenté en novembre 2015 par Pascale Boistard, concernant cette écriture.
Dès le début de notre intervention, nous avons reçu de nombreuses critiques : notamment sur le fait qu’en linguistique, le masculin est concerné comme neutre, et qu’il est donc totalement inutile de commencer à féminiser le site. Mais aussi sur l’esthétique de l’écriture épicène, qui peut certes être déconcertante. Ces critiques émanaient d’ailleurs autant d’hommes que de femmes.
Nous avons donc longuement discuté à ce propos : comment mettre en forme les titres et fonctions, et le corps des articles, de telle manière que tout le monde l’accepte ? L’écriture épicène telle qu’utilisée par exemple dans cet article a été refusée quasiment à l’unanimité, par contre, doubler les mots a été accepté. Nous parlerons donc désormais dans le site et sur les réseaux sociaux de « doctorants et doctorantes », pour ne prendre qu’un exemple. C’est certes une gymnastique mentale, mais elle a été défendue de manière assez virulente mêmes par des membres masculins du conseil. Ensuite, il a été décidé que les titres seraient doublés, et laissés à la discrétion des personnes concernées : si une femme ayant le poste de doctorante souhaitait conservait le titre de « doctorant » elle en aura le droit.
J’étais assez fière du résultat, malgré les concessions : les petits pas sont aussi importants que les bonds, pour avancer.
La question épineuse du terme « maîtresse de conférence »
J’ai été chargée de la féminisation des titres sur le site. Certains mots n’ont soulevé aucune question : « doctorante », « ingénieure », « professeure »… Puis je suis arrivée à « maître de conférence ». Devait-il se transformer en « maîtresse de conférence » ? Le mot « maîtresse » a plusieurs connotations dans la langue française, et rappelle tout aussi bien l’enseignante en école primaire, que l’amante d’un mari. Je me suis donc demandé si les six femmes concernées allaient désormais choisir ce terme. Par acquis de conscience, je leur ai envoyé un mail.
Pour une fois, les réponses ont été rapides ! En moins de deux heures, elles m’avaient toutes répondu… Par la négative. Non, elles garderaient le titre de « maître de conférences ». Elles ont avancé divers arguments : notamment, comme je le pensais, que cela renvoyait trop à la maîtresse d’école. Mais aussi sur le fait que le mot n’était pas esthétique, associé au terme de « conférences ». Et enfin, qu’il n’était pas assez… Dominateur.
Que conclure de cette expérience ?
Finalement, que tirer comme enseignement de cette expérience personnelle ? Tout d’abord, quelque chose de positif : les dirigeant.e.s du Centre ont pris conscience du manque de représentation des femmes sur le site internet, et au sein du laboratoire, et ont décidé d’agir en conséquence de manière presque unanime. Ensuite, quelque chose de plus difficile à accepter : en 2016, les femmes qui ont obtenu un poste élevé au sein de l’université ressentent encore le besoin de masculiniser leur titre pour appuyer leur autorité dans le domaine. Sous-représentées au sein des universités françaises (voir cet article de Libération datant de 2011, mais toujours d’actualité), elles ne parviennent pas elles-mêmes, lorsque l’occasion leur est donnée, de se revendiquer en tant que femme et universitaire. Préférant rester sous un masque masculin.
Bien évidemment, on ne pourra pas doubler tous les titres du site internet, et laisser de côté celui de « maître de conférence ». Il faut encore réfléchir sur la manière de féminiser la fonction : comme l’explique Pascale Boistard elle-même, le suffixe « -esse » n’est que peu usité en français, et il suffit parfois de féminiser le pronom pour marquer le genre de la personne occupant la fonction. On parle ainsi d’une maire, et non d’une mairesse.
Tout cela est encore à réfléchir, mais une chose est certaine : même au sein de l’université, parangon de la culture française, les femmes ne parviennent pas à se revendiquer en tant que telle. Femmes, chercheuses, et professeures.