
Le film La saison des femmes de Leena Yadav est l’aboutissement d’une quête à travers l’Inde pour recueillir les multiples témoignages de femmes dont la réalisatrice s’est inspirée pour son film. Sous forme d’une chronique indienne du quotidien d’un minuscule village au Nord de l’Inde qui mélange intelligemment la modernité d’un cinéma bollywoodien à l’essence des rites traditionnels qui rythme la vie des personnages.
La réalisatrice indienne, Leena Yadav, présente mardi 19 avril 2016 à l’avant-première parisienne, use des charmes des couleurs locales pour nous faire vivre le drame quotidien de quatre femmes en prise aux traditions patriarcales qui les musellent. Sur l’affiche française, on peut remettre en question la formule très générale « quatre femmes prennent enfin le pouvoir » qui prête à confusion et ne correspond pas réellement aux propos du film. Non, ce n’est pas tout à fait ça. Le pouvoir s’y trouve décliné sous plusieurs formes. La nuance est plus fine. Le pouvoir qu’elles prennent – ou plutôt qu’elles reprennent – c’est le pouvoir d’être enfin elles-mêmes, libérées de toutes normes et archétypes que de nombreux systèmes imposent. C’est d’émancipation dont il est question. C’est le pouvoir de se posséder soi-même, d’agir selon sa propre volonté, d’être donc maître de son corps et de son esprit. Car dans le film, ces femmes quittent le pouvoir pour s’en libérer.
Toutes les femmes en une quaternité
Quatre femmes donc, toutes en proie à des situations qui bouleversent leur quotidien et leur manière de percevoir le monde qui les entourent et auxquels elles sont habituées. Quatre femmes dont le destin semblent tout tracé jusqu’à ce qu’elles prennent conscience de ce qu’elles sont. On pourrait dire trois, mais la quatrième, bien qu’encore une enfant, est aussi une femme, ou du moins est en passe de le devenir plus vite que prévu, lorsqu’elle est mariée à 15 ans au jeune Gulab, 17 ans, fils de Rani, veuve de 32 ans qui tente tant bien que mal de respecter les traditions. Rani, tente d’oublier sa lourde solitude en mariant son fils selon les coutumes du village, et rêve de redevenir une femme en vivant à travers le mariage de ce dernier. Lajjo, souriante et pleine de vie, pourtant soumise aux coups de son mari alcoolique car son ventre reste irrémédiablement vide. Et la stérilité d’une femme est condamnable.
Bijili, la prostituée, reine de Sabbat, qui se sert de ses charmes pour dominer les hommes et asseoir une forme de pouvoir sexuel, elle incarne la femme objet qui dépend financièrement des hommes et dont la présence publique n’est plus la bienvenue hors du show. Et la jeune Janaki, un peu à l’écart, amoureuse d’un jeune homme de son village au destin précoce puisqu’elle se voit mariée à 15 ans avec Gulab, un adolescent plein de haine qui n’a pas fini de grandir, perdu entre volonté de modernité et respect scrupuleux des traditions dont l’alcoolisme et la violence n’adoucissent pas l’humeur, ni notre empathie. Bien que distinctes, les intrigues se mêlent et se croisent en permanence menant toutes au désir commun de se libérer de ses chaînes. Chacune des ses figures féminines se débattant pour mener au mieux sa vie, dans un idéal ancestral auquel plus aucune ne semble croire.

Un système traditionnel ambivalent
Le film pointe du doigt un système rétrograde, incapable de comprendre sa propre schizophrénie. Avec subversion La saison des femmes montre le décalage qu’il existe entre la vision fantasmée des déesses féminines et le traitement des femmes au sein des maisons du village puisqu’avec une ironie amère on dépeint la fête rendue en l’honneur d’une divinité de la féminité portée aux nues. Une scène très dure à avaler après avoir aperçu le traitement des femmes au sein du village. Autant les déesses sont encensées, autant les femmes semblent rabaissées à des rôles archaïques. De la même manière la troupe de danseu-se-r-s itinérante fait partie d’une tradition depuis longtemps implantée en Inde. Tout y est dépeint, le clivage entre modernité et tradition, et la grande difficulté qu’a la pensée moderne pour y trouver sa place. Et la tradition machiste laisse place à une modernité qui l’est tout autant, gage d’images peu valorisante pour la femme, comme la télévision, seule ouverture sur le monde dans le film et pose la question de la représentation de la femme à travers ce prisme qui risque apparemment même de détrôner Bijili, la danseuse tant désirée par les hommes.
L’émancipation par la sexualité, le plaisir, la déculpabilisation. Gracieuses, colorées, délicates, touchantes et rebelles, des héroïnes du film se dégagent un profond sentiment d’exaltation. Entre pudeur, désir et respect, les héroïnes s’effleurent, s’étreignent, dans un besoin vital de corps à corps, comme pour se sentir encore vivantes, regardées, aimées, désirées. Mais la liberté de la femme passe aussi avant tout dans le film par l’accès au travail. Par cet autre statut social elles peuvent elles-mêmes utiliser leurs corps comme un instrument de travail en faveur de leur indépendance et sont ainsi libérées de toute forme de domination.
Leur propre salaire est en quelque sorte une première forme de liberté, d’où la haine scabreuse du mari de Lajjo lorsqu’elle lui annonce avoir reçu une prime pour avoir été reconnue meilleure ouvrière. Qu’elles brodent ou qu’elles dansent ces femmes atteignent leur indépendance en se détachant des figures paternelles autoritaires qui les encadrent et les soumettent de manière rétrograde. Pourtant une fois encore c’est un homme – certes aidé par sa femme cultivée et éduquée, et donc jugée dangereuse par la plupart des autres hommes du villae – qui domine la fabrique…

Un monde fait de femmes et de goujats
On peut le dire : les hommes n’ont pas le beau rôle dans cette fresque, hormis une ou deux figures. Seul Kishan, homme délicat à l’écoute et ouvert au changement, laisse une image positive de la masculinité, car même Rajesh, danseur éperdument tombé sous les charmes de la danseuse Bijili, baisse dans notre estime après avoir fait sa demande qui se trouve être bien éloignée des attentes d’amour et de liberté de Bijili.
Et pour tirer un peu sur la corde, en faisant un peu de gymnastique quasi onomastique, est-ce un hasard si dans le nom de cet état indien « Gujarat », on retrouve en français innocemment un terme qui se rapproche très fortement de « goujat ». Un hasard de traduction ? Un adjectif qui pourrait en effet qualifier la majorité des hommes présents dans le film. Et on retiendra cependant cette belle et sage formule : « Avant d’être un homme, apprends déjà à être humain ». Cette phrase sortie tout droit de la bouche de Rani à l’encontre de son fils qui l’écœure, ébranle notre vision des genres. Car en effet, avant d’être femme ou homme, nous sommes tou-te-s issu-e-s à l’origine de la même chair. Des figures humaines qui se débattent avec un objectif commun : vivre.