Dissolution de 8 mars pour TouTES : la fin d’une étape

C’est ce mercredi 14 septembre 2016 que l’information a été publiée sur la page Facebook du collectif :

« Après 4 années d’existence, pleines d’actions, de prises de positions, de cortèges et manifs féministes belles et vivantes, le collectif 8 mars pour tou.te.s a voté sa dissolution.
Un mouvement féministe large et dynamique est maintenant visible. Et nous sommes très fier.e.s d’avoir participé à cette émergence.
Nombre d’entre nous militent dans le collectif depuis sa première année de création : nous y avons grandi et nous nous y sommes formé.e.s ensemble. Aujourd’hui, les envies, analyses et priorités politiques de chacun.e divergent trop, nous divisent et nous empêchent d’envisager un avenir commun dans ce collectif.
Notre dissolution ne remet bien évidemment pas en cause l’organisation de la manif de Belleville pour le 8 mars 2017, qui pour rappel était chaque année organisée par un collectif d’individu.e.s bien plus large que le collectif 8 mars pour tou.te.s en lui-même.
Il ne tient qu’à vous tou.te.s de relancer la machine pour qu’une manif soit organisée le 8 mars 2017 !
Pour soutenir les membres du collectif qui sont inculpées dans le procès pour diffamation que nous a intenté Frédérique Calandra, la maire du 20e, n’hésitez pas à suivre les actualités du collectif de soutien qui s’est monté suite à la réunion publique « Légitime défonce » de mars dernier, et à nous soutenir financièrement pour payer les frais d’avocat.
Le Collectif 8 Mars Pour TouTEs dispose de 291€ à ce jour : 100€ seront versés à l’avocat pour finir de payer la première partie des frais de justice (1 200€ sur 5 000€) et 191 € seront versés au pot commun de la manifestation féministe du 8 mars 2017.
Nous continuerons à lutter, à militer, à danser !
A bientôt, dans la rue, dans les luttes, ou ailleurs !
Les militant.e.s du Collectif 8 Mars Pour TouTEs
Paris, 10 septembre 2016. »

Le collectif 8 mars pour touTEs a vu le jour avec un appel au 8 mars 2012 « pour touTEs » dans des circonstances pour le moins dramatiques : l’islamophobie croissante des organisations dirigeant le mouvement féministe « historique » ainsi que le soutien de ce dernier au projet de loi de pénalisation des clients de la prostitution. Ce projet de loi ayant pour effet direct de mettre en danger les travailleuses du sexe, le mouvement féministe se divise alors encore plus profondément, selon des lignes qui suivent, à de rares exceptions près, la délimitation entre anti-voile et pro-liberté de le porter ou non.

C’est, après des années d’affrontements souvent violents verbalement, voire physiquement (certaines « féministes » allant jusqu’à chercher à exclure les femmes portant le voile des cortèges féministes), la création d’un collectif qui se veut d’abord un cadre inter-organisations (les premiers signataires du premier appel sont Acceptess, Act Up-Paris, ANA (Avec Nos AinéEs), Aides, Arap Rubis, Autres Regards, Cabiria, Collectif Droits & Prostitution, Collectif Tirésias, Etudions Gayment, Fédération Syndicale Etudiante (FSE), Fédération Total Respect – Tjenbé Rèd (Fédération de lutte contre les racismes, les homophobies et le sida), Frisse, Grisélidis, Les Amis du Bus des Femmes, Mouvement Français Planning Familial (Confédération Nationale), NPA, STRASS (Syndicat du TRavail Sexuel), STS (Strasbourg Transgenre), TumulTueuses) et qui évolue rapidement vers un collectif d’individuEs, pour permettre aux femmes stigmatisées par les courants traditionnels de participer aux manifestations du 8 mars.

Manifestation du 8 mars 2015 – Crédits Ourses à plumes ©

Dans cette perspective, le collectif 8MPT a été déterminant dans la progression d’un féminisme non excluant en France et en particulier en région parisienne. Les nombreuses initiatives qu’il lance (AG féministes, manifs, marches de nuit, cortège féministe au 1er mai, Pride de nuit, action contre les jouets racistes et sexistes, réunions publiques, débats…) lui permettent de se positionner en véritable pôle alternatif au CNDF, cadre qui réunit notamment les opposantes au port du voile et les « abolitionnistes » (il s’agit souvent des mêmes personnes et organisations).

Le Collectif féministe pour l’égalité, qui défend l’abrogation de l’interdiction du voile à l’école, à la manifestation du 8 mars 2015 à Belleville – Crédits Ourses à plumes ©

Sans sectarisme, 8MPT n’hésite pas à cosigner des appels ou à participer à des initiatives féministes sur des bases larges, avec des organisations féministes aux analyses divergentes. Et cela même si son positionnement « pro-voile » et « pro-prostitution », comme aiment à le caricaturer ses adversaires, le fait souvent exclure de facto des initiatives larges tenues par les organisations traditionnelles. Son travail de jonction se traduit aussi par la préoccupation constante d’intégrer les problématiques notamment LGBTIQ et antiracistes.

Le succès de la manif alternative du 8 mars

Bien que ne bénéficiant pas des mêmes ressources institutionnelles et financières que leurs adversaires, les militantEs de 8MPT parviennent à organiser, deux années de suite (2014 et 2015), une manifestation du 8 mars alternative à celle du CNDF. Un succès puisque la deuxième année voit davantage de participantEs à la marche dite de Belleville qu’à celle de République. Une marche plus jeune, moins blanche, où les populations minorisées politiquement (femmes portant le voile, femmes noires, travailleuses du sexe, personnes trans…) trouvent toute leur place, à l’inverse de ce qui se passait jusqu’ici dans les cortèges féministes.

Le collectif « Roses d’acier » qui réunit des travailleuses du sexe et prostituées chinoises de Belleville, à la manifestation lancée par 8MPT le 8 mars 2015 – Crédits Ourses à plumes ©

En 2016, le collectif organise sa manifestation le 6 mars, en l’enrichissant de rencontres et de débats, alors que le CDNF conserve la date du 8. Cette fin de confrontation directe n’aura que peu d’incidence ; les cortèges de Belleville restent massivement plus importants que celui de Châtelet. Même sans mise en concurrence directe, la rupture est consommée entre les deux courants du féminisme contemporain.

C’est que 8MPT, s’il a été précurseur et un outil important, a été rejoint par de nombreuses autres organisations, associations, collectifs féministes, dont une large partie a été créé ces dernières années. On doit en effet mettre au crédit de 8MPT et des personnes qui l’ont construit et/ou qui ont participé à son succès, la réconciliation de nombreuses femmes et personnes trans avec le mouvement féministe, qui s’enfonçait pour une large part dans l’exclusion, le racisme et le substitutisme. Les cadres proposés, comme les AG féministes, ont permis de construire de nouveaux féminismes, et aux personnes concernées de reprendre en main leur auto-émancipation.

L’association lesbienne, bie, trans FièrEs, créé en 2013, à la manifestation du 8 mars 2015 de Belleville- Crédits Ourses à plumes ©

La reconstruction actuelle du mouvement féministe, son ébullition notamment dans la jeunesse et du côté des personnes à l’intersection des oppressions (racistes, homophobes, transphobes, de classe…) ne découle bien sûr pas uniquement du travail de 8 Mars pour touTEs. Le collectif a été au moins autant une force qu’un signe de son époque : le renouvellement générationnel qu’il incarne se manifeste aussi par la dynamique artistique, médiatique, par de nouvelles pratiques militantes, par la multiplication des cadres. Les tentatives actuelles de les coordonner constituera sans aucun doute l’enjeu majeur pour la prochaine étape du mouvement féministe non-excluant en France.