Une interdiction qui interroge en Iran : pourquoi les femmes ne peuvent-elles pas chanter devant un public mixte ? Comment réussir dans ce contexte à organiser réconcilier les institutions et les voix féminines en quête de productions scéniques ? Ce sont à ces questions que Ayat et Sara Najafi ont tenté de répondre dans « No land’s song », en mettant en scène le combat mené par quelques femmes pour monter un spectacle allant à l’encontre des lois. Un parcours de combattantes, pour retrouver tout un pan de la culture iranienne jusque-là oubliée !
En tournant No land’s song, Ayat, réalisateur, et Sara Najafi, jeune compositrice et féministe convaincue, replacent au cœur du débat la délicate posture de la femme dans certaines sociétés actuelles. Ils décident donc de relever le défi en levant le voile sur une montagne administrative et culturelle, une de ces montagnes, devenue gigantesque, par la force des choses, qu’elle est réputée infranchissable en Iran au risque d’y perdre tout bon sens : organiser un concert de femmes solistes pour un public mixte. Rien, ne paraît pourtant bien compliqué, à première vue depuis nos rives occidentales, dans l’élaboration d’un tel projet. Pourtant, la tâche devient très vite lourde et ingrate lorsqu’il s’agit de faire entendre raison aux sourdes oreilles politiques et culturelles de Téhéran. Alors ainsi, aussi simplement que cela a été imposé, on peut aisément faire tomber dans l’oubli toute une partie d’une culture ?

Une révolution rétrograde pour les voix féminines ?
Dans ce beau documentaire, Ayat et Sara Najafi, dévoilent donc leur long combat pour essayer de comprendre cette forme d’obscurantisme qui plane sur le pays. Et, pour mieux en décortiquer la mécanique, lancent une idée quasi révolutionnaire dans ce contexte et qui, à Téhéran, semble alors insurmontable face à l’accumulation d’obstacles qu’il génère : organiser un concert devant une salle mixte avec l’aide de trois chanteuses françaises, Elise Caron, Jeanne Cherhal et Emel Mathlouthiet. Car, la musique est une forme de résistance, et reste certainement la meilleure façon de faire entendre sa voix. “Avec ‘No land’s song’, je voulais parler de la place des femmes dans la musique iranienne” dit la musicienne.

En Iran, après la révolution de 1979, les autorités iraniennes ont interdit aux femmes solistes de chanter face à un public… masculin, et celles-ci ne peuvent donc seulement se produire que devant un auditoire exclusivement féminin. L’élection de Rohani au pouvoir en 2013 n’a pas fait bouger les choses, malgré les espoirs de changements à l’intérieur du pays qui vont à l’encontre d’un trop fort conservatisme. Et aussi étrange que cela puisse paraître la situation est apparemment même pire depuis la révolution islamique. Qu’est-ce que ce recul signifie donc ? Pourquoi empêcher les femmes de s’exprimer publiquement sur scène ? Sont-elles si dangereuses qu’ils faut d’office, et en toute légitimité, les faire taire ? Est-ce donc ça le progrès ?
Retrouver sa voix pour retrouver ses marques
Sara Najafi doit donc ruser pour obtenir l’autorisation dont elle a besoin et user de plusieurs stratagèmes pour déjouer les hautes autorités. Elle fait alors appel à des femmes venant de l’étranger, un bon argument d’autorité, plus difficile à rejeter par le ministère. Plus difficile pour un pays de perdre la face à l’International. La jeune femme fait tout son possible pour faire contourner ces lois misogynes. Et son frère de la suivre avec sa caméra dans cette aventure à la conquête d’une scène lyrique envolée.

C’est donc grâce au soutien des trois chanteuses – deux françaises, Jeanne Cherhal et Elise Caron, et une tunisienne, très engagée par ailleurs lors du printemps arabe, Emel Mathlouti – que la compositrice expose l’idée d’un concert marquant le début d’un éveil de conscience au sein de la population iranienne. Il est touchant et beau de voir cette lutte déterminée, pleine d’espoir, de force et de beauté, se livrer sous nos yeux jusqu’à la victoire. Un sobre moment de partage qui souligne encore plus le côté grotesque de cette tyrannie musicale : un concert qui ne concernera au final qu’une centaine de paires d’oreilles. D’autant plus désarmante, est l’inquiétude du gouvernement face à cet événement qui paraît bien inoffensif et qui demande pourtant un investissement, une patience et un courage redoutables.
La musique et le chant féminin : symboles de résistance
Symbole de résistance, ce film propose de dénoncer une des absurdités de notre monde : pourquoi donc une femme ne pourrait-elle pas chanter devant un public masculin alors qu’en 1924, la célèbre chanteuse Qamar avait bien réussi à se produire en concert devant des hommes, et comble de tout, sans voile ? L’organe vocal d’une femme étant trop sensuelle aux oreilles des hommes, ces derniers seraient susceptibles de changer leur humeur naturelle, ce qui ne serait pas bon et les écarterait d’une humeur neutre.
L’excitation et l’émotion produites par le chant seraient-donc la cause d’un tel interdit ? Encore une fois il est question d’effacer ce permanent pouvoir paternaliste, réducteur et régressif, que les hommes tentent d’exercer sur les femmes. Il est drôle et terrible à la fois de voir la jeune femme infantilisée par un membre des ayatollahs sous prétexte que la femme possède un pouvoir qui dérange les hommes. Ces femmes, ces succubes ancestrales berçant et hypnotisants de leurs charmes les êtres faibles jusqu’à les pousser à la déraison. Telles, jadis, les sirènes de l’Odyssée attirant les marins dans les tréfonds des océans par leurs voix sensuelles.

Là se retrouve donc encore l’idée de l’absurdité d’une telle loi dont personne ne connaît la raison de son existence : « comment chanter sans la voix des femmes » dit l’une des protagonistes, « c’est comme si l’on interdisait la peinture rouge ». Et ce rouge, couleur de la passion et du combat, flamboie et nous saute aux yeux dès le premier coup d’œil : le rouge vif jeté sur l’affiche. Son omniprésence montre bien son importance au regard de l’art visuel, comme le chant féminin l’est à la musique. Des femmes touchantes, prêtes à reconquérir leurs droits, aux voix suaves et à la sonorité exotique des charmes d‘Orient qui émeuvent par leur volonté de se battre face à la (fausse) simplicité grotesque d’un tel combat qui semble une lutte titanesque pour obtenir ce que nous avons l’habitude de vivre au quotidien sans jamais ne nous être jamais vraiment posé la question.