On a vu dans les parties précédentes, au fur et à mesure, des réponses aux stratégies les plus courantes, et aux arguments les plus répandus. Revenons dans cette dernière partie sur quelques grandes lignes de conduite dans l’accompagnement d’une victime.
Avant tout, l’humilité.
Formez-vous. Lisez des ressources comme le bon guide “Soutenir unE survivantE d’agression sexuelle” ou les brochures ressources du site Mémoire traumatique et victimologie.
Appuyez-vous sur les associations spécialisées et formées (voir les contacts en fin d’article).
Connaissez vos limites ; faites-vous, vous-mêmes, accompagner si besoin.
N’oubliez pas : ce n’est pas à propos de vous. Ce n’est pas votre histoire, quand bien même cela peut réactiver des choses chez vous. Ce n’est pas votre vie qui est en jeu, c’est celle de la victime : écoutez-la, respectez ses choix même s’ils ne vous plaisent pas.
Ne donnez pas de leçons, ne soyez ni dans l’injonction ni dans la morale. Tenez-vous en aux faits, et à la volonté de la victime.
Contrecarrer les stratégies d’isolement
Il s’agit essentiellement de contrer les dynamiques mises en place par l’agresseur.
Cela implique d’entourer la victime, de la valoriser pour ce qu’elle a le courage de faire et de dire. Cela ne signifie pas vous épuiser à la tâche : il importe d’étendre assez vite le soutien moral de la victime à un groupe assez large de personnes. Pour se relayer, pour ne pas prendre le contrôle sur la stratégie, pour discuter entre vous plutôt que de vous défouler devant la victime.
Isoler l’agresseur
Toujours avec l’accord de la victime, il s’agit de bien préparer le terrain. Prendre contact avec un maximum de personnes en amont pour que lorsque la victime rendra les faits publics, elle ne soit pas isolée, mais qu’au contraire l’agresseur n’ait pas trop de monde sur qui s’appuyer.
Attention aux temporalités. Quel que soit le degré de confiance que vous pouvez avoir envers les personnes que vous mettez dans la confidence, dites-vous toujours qu’il y a des fortes chances pour que l’une informe, directement ou indirectement, l’agresseur des faits qui lui sont reprochés. Et qu’il commencera immédiatement à diffuser sa version, en profitant du fait que la victime n’aura pas encore rendu son récit public.
Un autre outil pour isoler l’agresseur est l’outing. Il s’agit de le dénoncer publiquement comme tel. Là encore, pas d’illusion : il recevra du soutien tout de même, parfois de parfaits inconnus, parfois de proches communs d’avec la victime. L’outing ne correspond pas, dans nos milieux, à un réel ostracisme : on n’a jamais vu une personne outée se faire réellement et immédiatement isoler, exclure des espaces etc. Cela permet néanmoins de protéger un tant soit peu la victime en réduisant ses risques de rencontrer par hasard l’agresseur.
L’outing est un outil à manier avec précaution; une fois l’accusation sortie, tout le monde se range d’un côté ou de l’autre – et majoritairement du côté de l’agresseur, parce que la culture du viol et le patriarcat. Il faut donc être solide, clair sur le récit, sur les demandes, avant d’y procéder.
Lié à cette notion de dénoncer publiquement l’agresseur, et de façon spécifique au milieu militant, il y a le fait de se mettre en lien avec les autres organisations auxquelles appartient ou que pourrait rejoindre l’agresseur, pour les alerter. Cela permet aussi de resserrer les liens entre féministes des organisations, de se concerter sur les procédures etc, c’est toujours utile. L’établissement d’une liste noire s’est souvent révélé utile, par exemple quand des violeurs exclus d’une organisation tentaient d’en rejoindre une autre, souvent dans une autre zone géographique.
Serrer les rangs
On l’a vu, les attaques menées par l’agresseur et son entourage sont multiformes et servent à silencier et à décourager la victime… et son entourage.
Une règle d’or : don’t feed the troll. Il est inutile de s’épuiser à tenter de répondre à tout. Il faut s’en tenir aux faits, s’y enraciner, et garder les yeux sur la route : l’objectif de la victime (que ce soit l’exclusion ou tout autre forme de justice ou de réparation).
La création d’un vrai collectif autour de la victime est, on l’a vu, déterminant. Face aux inerties et à la culture du viol de notre milieu, il peut arriver que ce collectif devienne au final le dernier outil pour que la victime obtienne justice, si elle le souhaite. Oui, on parle de représailles directes. Cela reste une option, et un recours politique.
Préparer le terrain
Ce document a donné des pistes pour combattre les stratégies des agresseurs en milieu militant, à partir du moment où les faits sont dénoncés. Un important travail à réaliser se situe cependant en amont de ces dénonciations. On l’a vu, les débats qui éclatent suite aux dénonciations se font souvent dans des climats tendus, voire violents. Ces climats ne favorisent pas une prise de décision rationnelle et juste politiquement. Pour permettre à l’expression féministe de soutien à la victime de s’exprimer pleinement en ces périodes, il faut avoir préparé le terrain en amont.
Les manières de le faire sont diverses et se complètent, et il appartient aux militant-e-s de chaque organisation de créer les siennes, en accord avec la culture et la structure son organisation. On peut appuyer néanmoins sur deux points qui paraissent primordiaux.
La formation tout d’abord, on le sait, ne doit pas être laissée au hasard. Les formations générales sur le féminisme sont bien entendu importantes, et une attention particulière peut être apportée aux formations sur le consentement et sur l’écoute des victimes. Sans trop miser sur le fait de faire prendre conscience à de potentiels agresseurs de la gravité d’une agression sexuelle ou d’un viol, on peut penser que ce sont toutes les personnes qui seraient tentées de soutenir l’agresseur en cas de dénonciation qui pourraient être touchées.
Le fait d’écrire et de voter une procédure claire sur l’attitude et les agissements de l’organisation en cas de dénonciation de ce type d’acte est également important. Les débats pour l’adoption d’un tel texte pourront être difficiles, mais ils seront toujours plus apaisés que dans le cas où il y a eu une dénonciation récente. Cette procédure peut prendre des formes diverses en fonction des organisations. Il est cependant primordial qu’au centre de celle-ci résident le respect du principe d’écoute de la victime ainsi que la traque des stratégies de défense des agresseurs présentées dans ce document. C’est en ayant couché tout cela sur papier en amont que l’organisation pourra se saisir de la dénonciation en résistant autant que possible à ces stratégies.
Pour faciliter la tâche, quelques points sur lesquels il sera pertinent de réfléchir lors de la rédaction de la procédure :
- Une fois que la victime a dénoncé l’agression sexuelle, quid dans l’immédiat du militant accusé ? Suspension immédiate, maintien, séparation des espaces…Clairement la seule option réellement féministe, adoptée par de nombreuses organisations, est la suspension immédiate le temps de la procédure.
- Quel soutien et quel accompagnement pour la victime ? Qui l’assure, selon quelles modalités ?
- Quelles mesures de protection pour la victime et son entourage (à estimer dans le temps long et non seulement les premières semaines) ? Anonymat, protection physique, proposition de déménagement…
- Quel mode de fonctionnement par la suite ? Désignation d’une commission (non-mixte ?) pour recueillir la parole de la victime, d’éventuel.le.s témoins, d’éventuelles autres victimes ? Recueil du récit du militant accusé ?
- Quelles décisions possibles ? Une exclusion ? Définitive ? Temporaire ? Si temporaire : quand et à quelles conditions peut-il revenir ?
- Qui prend in fine la décision ? Un bureau politique ? L’ensemble des militant.e.s de l’organisation ? Seulement les femmes de l’organisation ?
- Quels rapports de l’organisation avec la justice ?
- Quel soutien financier concernant d’éventuelles suites judiciaires ?
Précisons enfin qu’à la fois les formations et la mise en place d’une procédure participent également à instaurer un cadre un peu plus sécurisant pour les potentielles victimes, et peut les aider à sortir du silence.
AVFT – Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail www.avft.org
CFCV – Collectif féministe contre le viol. Permanence téléphonique : 0 800 05 95 95 VIOLS–FEMMES–INFORMATIONS » Numéro vert, gratuit en France, DOM et TOM, depuis un poste fixe du lundi au vendredi, de 10h à 19h (heures Paris) www.cfcv.asso.fr
FNSF – Fédération nationale solidarité femmes. Service national d’écoute téléphonique : 3919 – Violences Femmes Info (jusqu’à 50 000 appels traités par an). www.solidaritefemmes.asso.fr
MFPF – Mouvement français pour le planning familial : www.planning-familial.org