On a lu pour vous le manifeste « AFROFEM » du collectif afroféministe Mwasi. Un ouvrage dense qui explique la nécessité de l’afroféminisme en France et la manière dont ce mouvement doit s’organiser.
Ce livre est « un outil militant destiné à nos sistas tout d’abord, dans l’espoir de faire croître le mouvement Afro en France. » Ce manifeste, est difficile à synthétiser, mais nous avons dégagé certains points qui nous paraissent importants :
1# La nécessité d’une lutte afroféministe construite par les concernées : la création de Mwasi
Le collectif afroféministe Mwasi est né en 2014. Le manifeste revient sur le contexte de sa création, mais aussi sur la nécessité de s’organiser en non-mixité (en genre et en race). « Mwasi est né de rencontres est d’un manque politique, celui d’un féminisme par et pour des femmes noires afrodescendantes d’ici et d’ailleurs ». Les luttes des femmes noires ont leurs spécificités (exotisation du corps, immigration, précarité, santé…). Le paternalisme et le racisme dans le monde militant conduisent à la création d’espaces non-mixites. « L’absence d’un espace féministe destiné aux femmes noires se fait ressentir […] il n’est pas seulement question d’insuffler une action politique, mais bien de créer un lieu de transmission et de partage des savoirs entre afrodescendantes afin de nourrir leurs réflexions ».
Sharone Omankoy, co-fondatrice de Mwasi, a « toujours estimé que la non-mixité du collectif était un outil essentiel pour notre émancipation : la réappropriation de notre parole, l’analyse de nos expériences, la transmission de notre puissance à d’autres sistas… Tout ça, je l’ai hérité du basket. »
En mai 2017, la polémique sur le festival Nyansapo qui programmait des rencontres en non-mixité a montré que « le débat sur la non-mixité est un prétexte vulgaire pour ne pas admettre que ce qui dérange c’est notre politique ».
Mwasi, s’inscrit « dans un afroféminisme de combat, qui vise au changement radical de la société par la lutte collective ».
2# Un afroféminisme anticapitaliste car anti-impérialiste
Pour Mwasi, l’afroféminisme est forcément lié à l’anticapitalisme. « Nous nous opposons à toute célébration de la féminisation ou « diversification des élites capitalistes » », affirme le manifeste. « Le racisme et le capitalisme organisent main dans la main notre exploitation, poussant une partie d’entre nous dans les économies criminalisées et vers la prison. »
Cette position anticapitaliste, est aussi liée à l’opposition à l’impérialisme, contre l’oppression des populations des pays colonisés. « C’est bien l’Etat qui organise le racisme en France, au profit de la bourgeoisie locale, et des intérêts impérialistes de la France. »
Ainsi, « construire des solidarités politiques effectives avec nos sistas dans les pays des Suds. C’est une réponse durable à l’instrumentalisation des questions féministes, queer et trans à des fins impérialistes racistes et au complexe du sauveur blanc. »
Être anticapitaliste, c’est aussi dénoncer la police d’Etat, raciste. « Nous considérons la police comme le bras armé de l’Etat et la justice comme l’appareil qui légitime une gestion raciste, patriarcale et classiste de la société. » Et de souligner également : « La police n’est pas seulement incompétente en ce qui concerne les crimes sexistes, homophobes ou transphobes, elle protège et sert les intérêts du patriarcat. » En alternative, Mwasi propose de « renforcer les luttes locales et l’organisation communautaire pour se passer de la police ».
Mwasi pointe du doigt également la limite du champ d’actions des organisations anti-racistes institutionnelles et la machine libérale de la dépolitisation des luttes féministes. « Investir le capitalisme ne résoudra pas le racisme, car le capitalisme ne peut survivre qu’avec une minorité bourgeoise vivant de la force de travail de la majorité. Le capitalisme se nourrit du racisme, il ne peut être la réponse. »
3# Intersectionnalité : la misogynoir
Mwasi fait également le point sur le concept d’intersectionnel, qui « n’est pas là pour les femmes blanches ». « L’intersectionnalité est un outil conceptuel, qui a été théorisé par Kimberlé Crenshaw. Elle a été la première à mettre un mot sur ce phénomène : «intersectionnalité», terme désignant le fait que l’on puisse subir à la fois racisme et sexisme, et que ces oppressions ne s’accumulent pas comme les couches d’un plat de lasagnes mais créent ensemble une forme particulière de racisme et de sexisme. Dans le cas des femmes noires, on parle de misogynoir avec la racialisation du sexisme que nous subissons. »
Pour Mwasi, « l’intersectionnalité est indissociable de la question raciale. Il s’agit de comprendre comment le racisme et le patriarcat interragissent entre eux, mais aussi comment ces systèmes interragissent avec la classe, l’hétérosexisme, etc. »
4# Un racisme omniprésent dans la société
« En France, la négrophobie se manifeste par les contrôles policiers, les peines de prison, les discriminations au travail, à l’école, au logement, mais aussi à travers la culture, les médias et la publicité. »
« Le contrôle des mots, de la définition même du racisme n’appartient pas aux personnes qui le subissent mais bien à celles qui en bénéficient », dénonce le collectif. N’en déplaise aux milieux militants d’extrême-gauche ou LGBT, le racisme est présent partout. Dans les milieux queer et trans, les « images de personnes queers racisées sont presque toujours caricaturales ». A noter également que « le racisme est encore aujourd’hui un des angles morts du syndicalisme français. »
De la même manière que les féministes interpellent avec le slogan « prolétaires de tous les pays qui lavent vos chaussettes ? », les afroféministes pourraient interroger sur le même mode les militants de la Fête de l’Huma, qui pensent assez peu aux conditions de travail des agent-e-s de nettoyage…
5# La flamboyance, un outil afroféministe
Un chapitre de l’ouvrage est consacré à « la flamboyance ». Son « enjeu n’est rien de moins que la création personnelle et collective d’une conscience noire émancipée et émancipatrice, d’une beauté créative, transgressive et d’un nouveau rapport au «prendre soin» dans un contexte de sororité politique. »
« Le collectif joue alors pleinement son rôle émancipateur dans l’acquisition et la diffusion de moyens pour prendre soin de soi en autonomie, dans la construction d’une image de soi positive et inclusive sur des bases saines. A la communauté d’intérêts comme base du combat politique répond une communauté d’intentions qui intègre et donne à voir toute l’étendue des créativités dans la flamboyance personnelle et collective, pour finalement, dans une communauté de soutien, donner à chacun-e les moyens de ses propres choix. »
Avec ce manifeste, et ses actions qui visibilisent et inspirent, l’objectif de Mwasi « est de renforcer le mouvement Afro en France dans l’autonomie, et pour cela, il nous faut des organisations politique Afro fortes, tant sur le plan de la pratique militante que sur le plan de la pensée. »
Un commentaire sur « 5 choses à retenir du manifeste « AFROFEM » de Mwasi »