Nous avons rencontré Anaïs Seghier, metteuse en scène de Erreur 404, pièce queer et féministe de la Compagnie La Sticomiss. Le spectacle aborde les rapports entre genre et Internet et sa première représentation aura lieu lors de la Queer Week de Paris le 22 mars 2019.
©Jean-Claude Kagan
Tu as commencé par être comédienne. Qu’est-ce qui t’a donné envie de passer à la mise en scène ?
« J’ai commencé à être comédienne au conservatoire, notamment à celui de Noisiel (en Ile-de-France), et j’y ai vu plusieurs de mes profs agir non pas comme des profs mais comme des metteur.ses en scène. Comme on était un gros groupe et que j’avais un peu peur de passer sur scène parce que je ne connaissais pas trop les gens et que certain.es étaient vraiment très très bons, j’étais plus dans l’observation. J’observais surtout une de mes profs que je trouvais être une bonne metteuse en scène. En parallèle, je me suis rendu compte que j’avais un regard très critique, parce qu’à chaque fois que je voyais une pièce j’avais envie de changer plein de trucs ! C’est comme ça que je me suis dit que j’avais envie de créer et vu que j’avais des idées de spectacle, je me suis lancée. »
Quelles sont les difficultés que tu rencontres en tant que jeune metteuse en scène ?
« En tant que jeune metteuse en scène, les difficultés sont surtout liées au fait que je suis à l’origine du projet donc que c’est principalement moi qui le porte. Ça veut dire envoyer des dossiers à des théâtres pour jouer – donc faire de la diffusion, mais aussi faire de la production pour avoir des subventions et chercher des résidences de création. Ça ça prend un temps fou et c’est un travail qui n’est pas celui d’une metteuse en scène mais qui est celui d’une jeune metteuse en scène qui n’a pas les moyens de payer un.e chargé.e de production et de diffusion ! »
Et en tant que femme dans le théâtre ?
« Et en tant que femme cisgenre alors… Quand on est comédienne, on est dans un milieu où il y a peu de pudeur. On te demande beaucoup de te mettre à nu, pas uniquement au sens littéral. Certaines méthodologies demandent aux acteurs.rices de mettre leurs faiblesses en avant et je trouve que ça peut être très dur en tant que femme. Car on vit parfois des trucs super glauques par ailleurs, et après on nous demande de nous servir de cette fragilité-là. Alors qu’en tant que personne je voudrais en faire une force plutôt ! Parfois on te demande aussi de faire des choses qu’on ne demanderait pas à des mecs. Par exemple on a demandé à des amies de se servir de leur viol pour leur personnage. Ou encore des profs mecs qui mettent tout le temps des mains au cul mais « c’est pas grave parce qu’on est dans le monde du théâtre et de toute façon tout le monde se touche ! ». Il faut vraiment repenser les notions de bienveillance et de consentement dans ce milieu.
Et en tant que femme metteuse en scène pour l’instant ça va mais c’est parce que je ne suis pas trop connue ! Les gens sont surtout surpris que je sois metteuse en scène, on s’attend souvent à ce que je sois actrice. »
Je ne veux pas imposer un point de vue aux gens mais montrer que le travail du sexe c’est un sujet plus complexe que ce qu’on croit.
Comment concilies-tu ton militantisme et tes spectacles ?
« Dans mon premier spectacle TW* je voulais parler des violences faites aux femmes. C’était un peu un fourre-tout avec tous les trucs dont j’avais envie de parler. Il y avait une partie sur le revenge porn au lycée, une sur le travail du sexe, mais ça parlait aussi de violences gynécologiques, de déconstruction féministe… Là Erreur 404 parle plus des stéréotypes de genre et d’orientation sexuelle sur internet. C’est un spectacle plutôt pédagogique. Je ne veux pas imposer un point de vue aux gens mais montrer par exemple que le travail du sexe c’est un sujet plus complexe que ce qu’on croit. J’aimerais bien aussi parler de lesbophobie et peut-être dans un prochain spectacle de collapsologie ! »
Aujourd’hui on a de la chance parce que c’est la mode du féminisme.
Est-ce compliqué de faire tourner un spectacle engagé politiquement ?
« Effectivement on parle de thèmes qui ne font pas du tout consensus comme le travail du sexe et la transidentité/non-binarité. Pour l’instant c’est dur de savoir si c’est ça qui nous empêche d’avoir des dates ou si c’est parce qu’on est une compagnie peu connue. Si ça se trouve on ne serait pas non plus diffusé.es avec une pièce consensuelle autour d’un couple hétéro et de leurs parents riches ! On a postulé pour un festival politique qui nous a directement dit non sans aucune explication. Alors que je sais que d’autres compagnies féministes ont été prises, mais dans leur dossier il n’était pas précisé à quel féminisme elles s’identifiaient alors que nous oui. Aujourd’hui on a de la chance parce que c’est la mode du féminisme. Mais quand on va voir au théâtre ce qui est appelé féminisme la plupart du temps c’est dirigé par des hommes. Pourquoi pas, le message peut être très bien mais de la part de théâtres qui ne programment que des hommes le reste du temps et qui même pour une pièce sur le féminisme prennent un homme, franchement ça me fait chier. Et les pièces féministes qui passent, c’est généralement assez conventionnel. »
Est-ce que tu trouves que le théâtre est accessible à toustes aujourd’hui ?
« Ça dépend où en France. A Paris je trouve que le théâtre est encore cher, mais pas beaucoup plus que le cinéma, or le cinéma est plus populaire que le théâtre. Je pense qu’il y a aussi un truc culturel : le théâtre c’est vu comme ringard parce qu’à l’école on nous apprend que c’est Corneille ou Molière. Et franchement ça ne donne pas vraiment envie à des ados de venir au théâtre !
Ce n’est pas possible d’aller dans un théâtre parisien et de voir qu’il n’y a que des vieux bourgeois blancs !
Avec la compagnie on a fait un atelier avec des 3èmes à Pierrefitte sur Seine. Pour elleux, aller au théâtre c’était nul mais faire du théâtre c’était cool ! Il faut que les artistes, et surtout les programmateur.ices, reconnectent avec le public. Ce n’est pas possible d’aller dans un théâtre parisien et de voir qu’il n’y a que des vieux bourgeois blancs ! Hors Paris, les théâtres ont peu ou pas de programmation par manque de financements. Le cinéma a tout raflé, alors que faire un film ça coûte tellement plus cher, sauf si tu mets du marbre dans ta pièce ! »
Ton spectacle actuel Erreur 404 va avoir sa première représentation lors de la Queer Week*. Quelle signification cela a pour toi ?
« Déjà, ça me fait super plaisir ! C’est assez fort parce que je ne suis pas dans le milieu queer depuis très longtemps. D’ailleurs pour moi « le milieu queer » c’est un truc hyper parisien, je ne connaissais pas avant d’arriver à Paris, et même sur place, pas avant d’y entrer en tant que lesbienne. C’est un petit milieu et c’est dur d’y accéder si tu ne connais pas les gens, les lieux, si t’as pas les références. J’ai fait mon coming-out il n’y a pas si longtemps alors c’est assez gratifiant de se dire qu’on est inclu.es et soutenu.es dans une communauté. »
Erratum : La représentation aura lieu au Clos Sauvage à Saint-Denis et non à Sciences Po.
© Nathanaël.le Glatigny x Queer Week