Les Ourses à plumes ont lancé pendant l’été 2019 un concours d’écriture d’articles sur le thème « Portraits d’afroféministes », pour pouvoir mettre davantage en valeur les personnes afroféministes, mais également inciter les écrivant-E-s à se lancer. Voici le texte qui est arrivé à la 2e place de ce concours.

Clem s’assoit pour répondre à mes questions dans une ambiance antillaise : le colombo mijote en arrière-plan et chatouille nos narines pendant que nous parlons de son parcours passionnant.
Clem, 24 ans, crée la chaîne Keyholes&Snapshots fin 2015, d’abord par envie de documenter son Erasmus en Suède. Là-bas, la question du racisme se pose peu jusqu’à l’arrivée de deux autres Françaises. Clem, qui expérimentait jusque-là le plaisir de ne pas voir sa nationalité questionnée, se retrouve face au racisme de ses compatriotes. Et ça la titille.
Clem est féministe dès le lycée, puis s’oriente vers l’afroféminisme à son entrée en école de commerce. « Si tu ressembles pas aux femmes de la brochure, t’es pas traitée pareil. […] On est toutes dans le même bateau, mais en tant que femme Noire, mon côté de la barque semble couler plus vite » Ce virage vers l’afroféminisme est courant en France, où il est plus aisé de discuter du sexisme que du racisme : « On nous dit que les hommes représentent le patriarcat, sans nuance, mais par exemple les femmes blanches ne l’aident-elle pas ? Quelle est la place des hommes et des femmes Noir.e.s dans tout ça ? Le peu de gens qui en parlent se font censurer. » Alors, quand on est victime à la fois de racisme et de sexisme, vers qui se tourner ?
Vers des gens comme Clem. Les vidéos « Voyager et être Noire » sont nées de la question que tous les Noirs à l’étranger ont déjà entendue : « Est-ce qu’ils aiment les Noirs, là-bas ? » La réponse est toujours complexe car le racisme est un phénomène insidieux. Mais divers incidents la questionnent et la touchent, jusqu’à ce qu’elle décide d’en parler. « J’ai fait un voyage « humanitaire » au Cambodge dans le cadre de mon école de commerce […] On était deux Noires dans le groupe. La police me demandait si j’avais mes papiers. Les moines n’ont pas le droit d’approcher les femmes, mais ils ont voulu faire des selfies avec nous. […] J’aurais aimé savoir. »
Femme, Noire, Française, Clem n’a aucune intention de courber l’échine. Elle tire son travail de ses tripes et aborde tous les sujets liés à l’identité Noire et au racisme : « Je fais mes vidéos pour la jeune fille que j’étais. Je me mets à la place des filles Noires qui passent la journée à se prendre des réflexions, qui se font silencier quand elles parlent. Ça retarde la formation d’une pensée afroféministe. Je veux que ces personnes tombent sur mon contenu et se disent que leur ressenti est légitime, que ces phénomènes sont reconnus, qu’on va en parler.» En tant que femme Noire, nos existences sont politiques. « On ne peut pas avoir de débat sur nos vies sans nous, » assène Clem.
Avoir une vie militante n’est pas facile. On est tentés de disséquer chaque évènement. « Être une femme Noire et ne pas accepter le statut quo, c’est une rébellion en soi et c’est fatigant, » confie Clem. « Il faut se laisser le temps de ressentir, de souffrir. Après, éventuellement, on agit. »
Pour autant, Clem ne se voit pas comme une activiste. « J’ai mené des actions concrètes, mais en conséquence de mon travail. Je n’ai pas commencé mes vidéos dans une démarche militante, je voulais déjà documenter ma vie. » Clem voit les réseaux sociaux comme une part importante du militantisme contemporain, des outils de communication stratégiques. « Dénigrer les réseaux sociaux, c’est une forme de pureté militante.» A ce propos, elle ajoute « Être militant, c’est avoir de l’empathie. […] Tu finis par avoir tellement de critères que tu défends plus personne. »
Clem est inclusive, à l’instar de son modèle, Marie Dasylva. La coach et son travail titanesque pour les racisés inspirent Clem. « Elle m’a aidée avec mon syndrome de l’imposteur » révèle t-elle.
Imposteure Clem n’est pas. Sa chaîne YouTube compte plus de 9000 abonnés. Elle a participé à plusieurs projets et conférences autour de l’afroféminisme et a notamment gagné un Pouce d’Or. Initié.e.s ou non, ses vidéos introspectives et recherchées vous attendent.
Ana Cazalis
Cet article a été publié dans le deuxième numéro de notre revue papier féministe, publié en décembre 2019. Si vous souhaitez l'acheter, c'est encore possible ici. A lire aussi, le texte lauréat du concours "Plus jamais Gloria sans Selemani". Et le texte arrivé à la 3e place : Je n'ai pas connu Audre.
2 commentaires sur « Portrait d'afroféministe : Clem »