Le journal de grossesse de Claire (1) : Septembre, Aménorrhée

Claire nous a envoyé le récit de plusieurs étapes de sa grossesse et son accouchement. L’occasion de lever certains tabous…

« Imaginez une ligne d’horizon ». Debout sur le tapis, en culotte, je laisse la sage-femme replacer mon bassin et tracer une ligne invisible entre mon nombril et le milieu de mon dos. De part et d’autre de mon ventre, assis sur des chaises, son regard et celui du futur père observent, solennels, ma rectitude.

« Tout au long de la grossesse, il faudra que cette ligne reste droite ». Ma mission est énoncée : maintenir le cap. Pas le droit de flancher. Trop en arrière, je coule, trop en avant, je perds les eaux. Me voilà donc enceinte, condamnée à sortir de la cyclothymie pour maintenir la constance jusqu’à l’explosion de
toutes les lignes, la fin de toutes les formes : l’accouchement (dont on se garde bien pour l’instant de me parler).

J’apprends une nouvelle unité de mesure : les SA. Semaines d’aménorrhée. Elles régulent et organisent la grossesse. De la date de l’accouchement jusqu’aux rendez-vous mensuels avec les sages-femmes, tout se calcule en SA. Comme si, de tout le processus de la grossesse ce qu’on devait retenir n’était pas la grosseur du ventre, l’ampleur du changement ou le taux d’hormones mais le nombre de semaines sans règles. Temporairement sorties du circuit des femmes, nous voilà encore une fois du côté des moins là où il aurait été facile (pour une fois) de nous trouver des plus. D’autant que les fameuses SA sont une mesure bien arbitraire. Ne tenant absolument pas compte de la réalité des cycles féminins, elles sont calculées en fonction d’un résultat de prise de sang et de la taille d’un embryon visible ou non sur l’échographie de datation.

Ainsi, moi qui ait toujours eues des règles à l’image de mes humeurs (chaotiques et irrégulières) il m’a été attribué un nombre de SA différent de 16 jours de mes dernières règles. Peu importe, parait-il. L’important c’est d’être inscrite quelque part dans le grand calendrier de celles qu’on définit désormais comme aménorrhées.

S’inscrire encore et toujours. A la maternité. A la Caf. A la sécu. Comme en bourse, on spécule, cochant une case qui ne correspond pas encore à un évènement mais à l’hypothèse de son happening. C’est encore rien mais ça change déjà tout. La Caf augmente mon quotient familiale me donnant soudain accès à une prime de précarité de 127 euros par mois. La sécu m’envoie ses félicitations et une invitation à aller voir gratuitement un dentiste.

Mon statut social et administratif changent, mon corps change quand dans le corps et le compte de mon compagnon il ne se passe rien. Pourtant nous sommes deux à devenir parents non ? Un sentiment d’injustice nous prend, chacun-e reprochant inconsciemment à l’autre ce qu’il/elle vit ou justement ne vit pas. Je résiste au changement. Ma gynéco m’engueule quand je lui annonce « qu’au fait je suis enceinte » mais que ce n’est pas pour ça que je la consulte. « Vous avez lu des trucs au moins ? » Oui plein. Just Kids de Patti Smith. C’était super. Et là j’ai commencé Le journal de la création de Nancy Houston.

Elle m’imprime en soupirant quatre pages de B-A-ba sur la grossesse. À « c comme constipation » je lis : « ne le prenez pas au tragique même si vous n’y allez que tous les 4 ou 5 jours ». J’hésite à éclater de rire ou à déchirer la feuille. Finalement je la range au milieu de toutes les autres, dans le classeur que la sage-femme nous a conseillé d’acheter lors de notre premier rendez-vous.

Cela fait quatre mois et demi que je suis enceinte ; j’ai désormais un ventre et un classeur mais toujours pas de réponses à la question qui me taraude depuis le début : Est-ce que ce qui m’arrive est de l’ordre de l’être ou de l’avoir ? J’interroge les mots, mais ils maintiennent la confusion. Etre enceinte. Avoir un bébé. Socialement, tout me porte à croire que l’évènement concerne mon identité. Mon statut administratif, ma place dans ma famille et même parfois la manière dont on s’adresse à moi ont évolué. Ainsi, je me suis trouvée surprise à plusieurs reprises à être appelée par mon prénom à des endroits où j’avais réussi ces dernières années à gagner un madame qui était venu sans rancune ni regrets remplacer le mademoiselle de mes années étudiantes. Un changement d’identité donc. Pourtant je m’applique fermement à n’être rien d’autre que moi et toujours moi. Un moi en question, et en expansion (le ventre, encore) mais un moi quand même.

Un avoir alors ? Un ajout dans mon corps, un +1 dans mes bras ?

Avant la première échographie, il me prenait parfois le soir des pensées angoissantes, des impressions aliennes d’une chose envahissant mon corps et se greffant à mon ventre. Un corps étranger. Inconnu. Ces questions ont longuement dansé dans ma tête. J’avais besoin de comprendre ce qui arrivait et à qui cela arrivait.

Si c’était du domaine de l’être alors ça n’impliquait que moi. Si c’était de l’ordre de l’avoir alors un partage était possible. L’enfant devenant le bien commun, si tant est qu’un être puisse aussi être un avoir. C’est finalement en écoutant une conférence de Catherine Dolto sur l’haptonomie que j’ai trouvé la formulation qui m’a apaisée. Dolto parle de l’enfant et de sa mère comme étant « co-vivants ». Ni dans l’être, ni dans l’appartenir mais simplement dans l’exister ensemble. C’est le mode de relation qui m’apparait le plus juste. C’est celui à partir duquel je peux construire du sens, dans l’intime, mais aussi me relier au global. Car au final, depuis mon nombril jusqu’au reste de l’humanité, ne sommes nous pas toutes et tous co-vivants, colocataires d’une même planète, sans hiérarchie ni appartenance, ni identitaires ni propriétaires, sans aucune mission si ce n’est celle d’apprendre à partager et à préserver ce giron commun, la bien nommée pachamama ?

Claire Dietrich

Lire la suite du journal de grossesse de Claire : Janvier, Disparition

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