Claire nous a envoyé le récit de plusieurs étapes de sa grossesse et son accouchement. L’occasion de lever certains tabous…

[texte dédié à la sage-femme qui m’a aidée à accoucher]
Laissez-moi vous parler de Chantal Dugnas.
Elle fait partie de ces fées qui se penchent sur les berceaux des enfants.
On les reconnaît car elles sont douces, petites, bienveillantes et qu’elles parlent une drôle de langue.
Le langue que parle Chantal s’appelle l’haptonomie.
C’est une langue étrange, composée de touchers, de présences et de silence. Au début, on n’y croit pas trop, on se dit que ce n’est pas un vrai langage. Comment une simple pression de la main avec une intention du coeur pourrait-elle vouloir dire quelque chose ? Et puis au fur et à mesure on remarque. Le ventre se détend, la chaleur s’installe. Il se passe des choses, on se sent bien, détendue. Le corps parle et le bébé répond. C’est peut-être un hasard ? Oui peut-être. N’empêche, ça fait du bien.
Avec la fée Chantal, on avait simplement prévu de faire de l’haptonomie.
Et puis quand le COVID est arrivé, et que le stress s’est emparé des maternités, on a réfléchit. Pas question d’accoucher seule, pas question d’accoucher masquée, il fallait une solution.
Chantal a accepté de nous suivre. Nous, les parents débutant-e-s, fraîchement arrivé-e-s dans le Jura, à peine préparé-e-s pour un premier bébé.
Après Chantal l’haptonome, nous avons découvert Chantal la sage-femme. On s’est assis-e-s tou-te-s les trois sur des ballons et des tapis, et on a regardé des poupons en tissus et des bassins en mousse. Certains mots étaient plus techniques mais c’était toujours la même langue, celle de la douceur. Toujours physiologiques, jamais médicales, les préparations de Chantal nous ont aidé-e-s à comprendre et à visualiser ce qui allait nous arriver.
La confiance s’est installée et nous avons décidé de tenter un accouchement à la maison. Quitte à être dans une bulle, autant que celle-ci soit la plus familière possible.
On a descendu le matelas, protégé les tapis, tamisé l’éclairage, préparé les tisanes et les bougies pour le Jour J.
Et quand l’imprévu est arrivé, Chantal ne nous a pas lâché.
Fissure de la poche des eaux sans contractions, c’est le scénario catastrophe qui mène normalement droit à la maternité et au déclenchement. Au lieu de ça, on s’est donné le temps de réfléchir. De mesurer les risques. Ecouter l’enfant, écouter les signes du corps (pas de température, liquide clair et peu abondant).
Et décider qu’on était suffisamment en confiance pour essayer de déclencher le travail naturellement. Faire descendre bébé un dimanche de l’Ascension c’était un beau challenge. Tisane de sauge, marche dans la forêt, massage à l’huile de clou de girofle, promenade en voiture, on a tout fait avant de se décider le soir pour un déclenchement mécanique.
Le décollement des membranes, j’avais lu dans un livre que ça faisait très mal, mais au chaud dans mon lit dans les bras de Samuel avec Chantal pour guide, je n’ai quasiment rien senti.
Une heure plus tard, les contractions commençaient et on a pu allumer les bougies et commencer à faire un gâteau.
Et quand le lendemain après-midi, après quasiment 24h de présence à notre domicile Chantal nous a annoncé que malgré tous nos efforts la phase active du travail n’était toujours pas entamée, elle a continué de nous soutenir.
« Et puis merde c’est 2020, si tu as besoin d’une péridurale, on te met une péridurale et puis c’est tout ». La fée physio était capable de remettre son travail en question pour mon bien-être.
Nous avons décidé de partir tous les trois à la maternité. Dans la voiture, j’étais soulagée. J’ai dit à Samuel que la douleur était trop dure à supporter que je ne me voyais pas y arriver. Samuel a compris même si nous étions tristes tou-te-s les deux de nous dire que notre enfant n’allait pas arriver comme nous le souhaitions : le plus naturellement possible.
Dans la discussion nous est alors venue une idée folle : si l’enfant n’arrivait pas, c’est qu’iel n’en avait peut-être pas encore envie. N’était-il pas possible alors d’arrêter le travail pour attendre qu’iel recommence naturellement, au moment voulu ? Sans vraiment y croire, j’espérais que l’hypothèse pourrait trouver une oreille bienveillante.
En arrivant sur le parking de la maternité, nous avons exposé notre plan à Chantal. Après tout le temps qu’elle nous avait déjà donné, elle aurait pu douter de ce plan biscornu, de nos capacités à mettre au monde un enfant, ou simplement comme tout-e humain-e en avoir marre de travailler et avoir envie de rentrer chez elle auprès de sa propre famille.
Au lieu de ça elle nous a écoutés et nous a simplement répondu que oui, c’était possible, que ça ne lui était arrivé que deux fois en sept ans mais qu’elle l’avait déjà fait. Avec Samuel, on bouillonnait. L’inespéré était peut-être en train d’arriver.
Chantal a mis cependant une condition : vérifier qu’il n’y avait plus de pertes de liquide amniotique afin de ne pas mettre en danger la grossesse.
Nous sommes allé-e-s en salle d’examen. Malgré la douleur des contractions (irrégulières mais fortes) je me concentrais sur ce test. Pourvu que ça marche. Le prélèvement était indolore et les résultats rapides : pas de liquide amniotique. J‘étais aux anges. En quelques minutes seulement, Chantal s’est activée pour nous trouver une chambre, imposant la présence de Samuel à mes côtés. Je me suis allongée dans un lit. Elle m’a fait une piqûre dans les fesses. Je n’ai pas posé de questions. A ce stade-là, j’étais au-delà de la douleur et comme une enfant, je me suis laissée faire, en totale confiance avec les personnes qui m’entouraient.
Alors que le produit commençait à agir, j’ai entendu Chantal expliquer à Samuel que le calmant allait ou bien arrêter le travail ou bien au contraire l’accélérer. Dans tous les cas, il me laisserait quelques heures de répit pour me reposer et reprendre des forces loin de la folle danse de la douleur.
Les voix sont devenues lointaines et les lumières noires. J’ai glissé dans le sommeil avec une joie immense. Tout est devenu doux et flottant. Je sentais le mouvement des contractions mais plus leur douleur. Ça me rendait tellement heureuse que je délirais à voix haute, racontant à un Sam effrayé que chaque contraction avait un nom et que j’entendais sa voix. J’ai dormi.
Claire Dietrich
Lire la suite du journal de grossesse de Claire : Fin de l’accouchement
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