Claire nous a envoyé le récit de plusieurs étapes de sa grossesse et son accouchement. L’occasion de lever certains tabous…

J’aimerais dire que cela fait 7 mois que je porte un bébé dans mon ventre, et que pour ça j’ai envie qu’on me dise bravo et qu’on me demande comment je vais.
J’aimerais dire que je me prépare à faire sortir de mon corps par mon sexe un humain d’environ 3 kilos et pour ça j’aimerais qu’on me dise bon courage et qu’on me demande comment je me sens.
J’aimerais dire que je me prépare à accueillir cet humain et à assumer que je l’ai désiré sans que lui-même ne se désire, au 21e siècle, alors que la réforme des retraites vient d’être votée, que j’ai lu le dernier rapport du GIEC et que nous sommes en plein épidémie de Covid 19 où les gens sont davantage préoccupé-e-s par l’achat de papier toilette que la propagation du virus. J’aimerais dire que cela me questionne, m’angoisse et m’empêche parfois de dormir.
J’aimerais pouvoir partager ces questions et ces peurs, sans qu’on les relègue à des angoisses de femme enceinte. J’aimerais dire que je ne suis pas une femme enceinte, et même pas une femme mais simplement un être humain avec un utérus qui abrite actuellement un autre être humain. Et que si c’est un fait indéniable et avéré, ce n’est pas une raison suffisante pour me ranger dans une catégorie et pour m’attribuer des symptômes propres à un genre et/ou à une condition.
Etre aimé-e, rassuré-e, logé-e et épanoui-e dans un travail ou sécurisé-e dans une relation affective n’est pas un besoin de femme, ni de femme enceinte.
J’aimerais tenir le pari que les besoins dont je parle sont universels et qu’on n’ose simplement pas les affirmer de peur de paraitre futil-e-s ou puéril-e-s.
S’interroger sur les conditions matérielles et émotionnelles de sa grossesse et anticiper les possibles angoisses qui découleront de la naissance n’est ni idiot ni HORMONAL.
J’aimerais qu’on arrête de considérer que les hormones sont comme la cocaïne, une substance externe qui se balade dans notre corps en modifiant notre comportement jusqu’à sa disparition.
Les hormones sont des composantes de notre corps au même titre que nos organes, nos fluides, nos pensées et nos émotions. Nous n’avons donc pas à nous en excuser.
Si ma grand-mère meurt, il ne me viendrait pas à l’idée de dire à quelqu’un-e « c’est rien, c’est juste la tristesse. »
De la même manière, je n’ai pas à m’excuser ni à dissocier de moi un possible accès de libido, de colère, ou de joie.
Pourquoi une subite envie de fraise (chose qui soit dit en passant n’a dans mon cas aucune vérité) serait-elle plus irrationnelle que le désir d’un homme pour une femme ?
Qui croit-on leurrer en affirmant qu’on est plus en contrôle du second que du premier ?
La construction du désir est un mélange complexe de besoins primitifs, de reproductions de schémas sociaux et de stimulations inconscientes face auquel nous sommes tout autant démuni-e-s et non-agissant-e-s.
Pourquoi continue-t-on alors à affirmer que les désirs et émotions des femmes en général, et encore plus des femmes enceintes sont l’effet des hormones . Laissez-moi rire.
Nous sommes tous des êtres dotés d’un corps, d’un cerveau reptilien et d’une programmation génétique et sociale qui nous dépasse tous les jours et à tous les instants.
Arrêtons de justifier nos comportements et de hiérarchiser nos affects en divisant les genres et en leur attribuant des forces et des faiblesses physiologiques. Je suis une montagne de faiblesses d’un 1 mètre 68. Actuellement mon corps comprend 68 kilos de doutes dont j’ignore combien sont propres à ma personne et combien correspondent à l’enfant que je porte. Ce que je sais c’est que quand bien même tout cela pèse un certain poids, je suis fière de le porter. Fière d’affirmer ces doutes et ces faiblesses. Fière de ne pas avoir de réponses.
Cela me conforte dans l’idée que c’est dans l’affirmation collective de nos craintes que les véritables échanges et discussions pourront naître. C’est dans l’obscurité des nuits que naissent les plus beaux feux.
Si cette nuit je ne dors pas, je n’en ferai pas une maladie. Je n’essayerai pas d’être discrète pour ne pas réveiller la personne à côté de moi. Je n’essayerais pas de penser à des remèdes, des positions miraculeuses de coussin, des exercices de respiration ou pire des applications de méditation. J’ouvrirai grands les paupières pour affronter mes doutes et mes questions. Et je penserai à toutes ces autres pupilles ouvertes, quelque part dans le noir.
Claire Dietrich
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