Rencontre avec la Féministerie

Créée en avril 2020 par Laura, Minh, Thalia et Aline, La Féministerie est une plateforme d’ateliers en ligne autour de problématiques rencontrées par les femmes et les minorités. Désireuses de parler de sujets qui les touchaient personnellement, les fondatrices du concept élargissent également les discussions en proposant des partenariats avec des personnes / collectifs concernées par d’autres sujets.

Charlotte : Pouvez-vous nous expliquer brièvement l’historique du projet, les liens qui vous unissent et qui vous ont poussé à monter ce projet ensemble ?

La Féministerie : Le projet de la Féministerie est parti d’une discussion entre deux d’entre nous, Minh et Laura. Mais il est surtout le fruit, ou plutôt le résultat d’un cheminement plus long, avec à l’origine plusieurs petits projets débutés en 2018. 

Début 2018, Laura crée un groupe de parole, réunissant des femmes autour de problématiques féministes pour s’informer et discuter de façon bienveillante : le Café Apéro Féministe (CAF). Les réunions se déroulent chez elle en petit groupe et de façon informelle. Thalia se lance dans le projet avec elle du fait de leur amitié mais aussi du fait de son intérêt très marqué. Puis, le Café Apéro Féministe rassemblant de plus en plus de femmes grâce à un bouche-à-oreille très efficace, l’idée est suggérée de faire un podcast de toutes ces conversations échangées. Laura crée alors le podcast appelé “Le Thé Féministe ».

Thalia, toujours active dans le CAF, invite son amie Minh à une des séances. Et c’est de là qu’elles développent ensemble l’idée d’agrandir le CAF, de bâtir un lieu aux activités similaires : plus grand, plus inclusif et surtout public.

En 2019, Minh et Laura commencent une série d’entretiens pour réaliser une étude de marché afin de lancer le projet. Laura rencontre Aline lors de l’un de ces entretiens, et développe avec elle une amitié forte. 

Les conditions sanitaires exceptionnelles dues au Covid 19 entrainent une révision du projet en une initiative digitale. En octobre, la plate-forme est lancée et dévoilée au grand public. 

La Féministerie c’est avant tout ça : une histoire de rencontres et d’amitiés. 

C : Pourquoi ce format : en ligne, payant, collaboratif ? 

La F : Le format en ligne est une conséquence de la situation très particulière de l’année 2020. Au final cela nous permet d’atteindre encore plus de monde et cela nous réjouit beaucoup. 

Nous avons choisi un format payant pour nos Ateliers car notre souhait est de rémunérer le travail militant. Suite au constat que le travail fourni par les acteurICEs du militantisme est dense, énergivore et très chronophage (indépendantEs, collectifs et associations sont souvent précaires), cela nous tenait à cœur de pouvoir leur donner une source de revenus ponctuelle ou récurrente pour tout ce travail merveilleux qui nous aide au quotidien.  

Notre volonté est de favoriser une déconstruction « accompagnée », en réunissant les concernéEs et non concernéEs au même endroit pour une meilleure compréhension mutuelle. Et de par notre expérience avec le CAF, nous sommes convaincues de l’efficacité d’un tel processus par l’échange bienveillant et l’écoute active. D’où le temps que nous consacrons dans nos Ateliers à créer de l’interaction pour créer un vrai format participatif.  

Le site de la Féministerie propose déjà un beau programme ! Dans la thématique « sexisme », un atelier sur les critères de beauté, sur le harcèlement de rue ou le post-partum. Une discussion sur le colorisme ou sur la charge raciale dans la catégorie « racisme ». Une introduction à la transidentité dans la section LGBTQIA+, mais également un atelier sur le coming-out et ses impacts, ou sur la socialisation genrée. La question de l’adoption est aussi représentée par une déconstruction de sa mythologie.

C : Pourquoi ces thématiques : sexisme, racisme, LGBTQIA+, grossophobie, islamophobie, bi-culture et adoption, validisme ? 

La F : Nous sommes non seulement concernées nous-mêmes (étant des femmes d’origine différentes, d’orientations différentes, d’identité de genre différentes) mais nous sommes aussi tout simplement des féministes, qui croyons en la nécessité de la convergence des luttes. Il nous paraît impossible de militer sans prendre en compte les oppressions et les réalités de toutes les personnes qui comme nous se sont vues oubliées à un moment ou un autre dans l’un des pans de leur identité. Les mécanismes d’oppression intersectionnels se ressemblent beaucoup : une fois qu’on comprend le fonctionnement de l’un, on se rend très vite compte de la façon dont il touche d’autres sphères. Nous souhaitons faire entendre et entendre toutes les paroles de concernéEs par une ou plusieurs oppressions pour les réunir et se déconstruire ensemble. Il n’y a que par ce chemin que nous réussirons à bâtir une société plus égalitaire.

La plateforme se construit peu à peu et souhaite proposer des interventions sur la grossophobie, l’islamophobie ou le validisme mais les intervenantes restent à trouver ou sont en cours de recrutement. Ainsi, un atelier sur « L’anti-validisme aux carrefour des luttes féministes et queer » vient d’être proposé par les Dévalideuses ; projet auquel j’ai pu participer.

C : Pourquoi un intérêt pour le validisme ? 

La F : Comme nous l’avons dit plus haut : nos cibles sont toutes les femmes et minorités, toutes les personnes sous le joug d’une oppression systémique et surtout celles et ceux qu’on entend trop peu. Les luttes invisibilisées par le militantisme mainstream exclusif sont nos chevaux de bataille. Cela nous paraissait évident qu’il fallait donner de la visibilité au validisme, surtout en tant que valides ! Nous souhaitons déconstruire certes mais surtout et avant tout nous déconstruire aussi, sur les oppressions que nous faisons subir ! Ce serait même anti-féministe que d’exclure l’anti-validisme de la lutte.  

C : Vos impressions après notre atelier sur le validisme ? Que vous a-t-il appris ? 

La F : Un apprentissage complet. Une grosse claque. Un sentiment de néant aussi : on a tout à apprendre et on a découvert beaucoup de choses, comme l’ampleur du validisme et son côté éminemment politique, notamment du fait du validisme d’État.

Mais bizarrement nous étions aussi très heureuses et impatientes presque d’assister à cet atelier : c’est réjouissant de se dire qu’en apprenant plus sur les mécanismes du validisme nous pouvons à l’avenir devenir de meilleures alliées pour les femmes et personnes handicapées en général. Pouvoir se débarrasser de ses biais validistes, progressivement, ça fait du bien. Et savoir que l’on va pouvoir aider à la libération de la parole handie c’est enthousiasmant !  Cela nous a aidé à prendre conscience que la différence entre valides et non-valides vient de la façon dont la société est construite. Une personne non-valide n’est pas non-valide forcément parce que malade, elle peut être en bonne santé et non-valide. Cela rejoint le point précédent, qui découle totalement de notre vision validiste des personnes handicapées. Un point particulièrement marquant et central dans notre déconstruction

Propos recueillis par Charlotte Puiseux

Publié par

Psychologue et docteure en philosophie, je suis militante crip (handie, queer, féministe). Mes sites : https://charlottepuiseux.weebly.com/ et https://charlottepuiseux.com/

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