Quand vivre c’est lutter : une expérience queer sur Internet

Il est important pour nous les queers d’occuper les espaces qu’offre Internet, mais nous devons ne pas y perdre de plumes et donc nous protéger.

© Wiquaya

Lorsque j’ai débuté le cyberactivisme, la première chose que j’ai faite c’est consulter Wikipédia. En tapant le mot « cyberactivisme » je tombe sur « cybermilitantisme ». C’est vrai qu’activisme et militantisme sont synonymes. Je clique. La définition qui s’offre à moi est alors :
“Désigne les différentes formes de militantismes pratiquées à l’aide d’Internet.”

Le militantisme, moi, ça me fait penser à mes débuts dans le féminisme, via Facebook. Des copines qui m’invitent sur des groupes de plus de 1000 personnes. Je ne pensais pas qu’on était autant. Moi qui me sentais si seul In Real Life (IRL)/ hors ligne.

Grâce à Internet, j’ai pu lire plein de témoignages de personnes qui ne subissent pas les mêmes oppressions que moi. Mais je me sentais aussi un peu accablé par toutes ces infos féministes dans mon fil d’actualité.

Une de mes façons de militer a été de promouvoir mon féminisme et donc ce que je pensais des rapports de domination qui sont omniprésents dans notre société française. Je l’ai fait tout d’abord sur Facebook avec des néophytes. Comme moi, iels apprenaient ce qu’englobait la notion de féminisme, découvraient la réalité de notre société. J’étais entouré de féministes de longue date, qui connaissaient le sujet, voire qui étaient un peu blasé-e-s à force de devoir se répéter. Je me suis rendu compte que ce que je faisais était important, certes, mais n’avait pas un grand rayon d’action.

Je prêchais des converti-e-s.

Contre les géants d’Internet

En parallèle, depuis 2008, je côtoie IRC (Internet Relay Chat). C’est un outil qui nous permet de discuter en ligne avec des personnes partout dans le monde. On y trouve principalement des geeks qui promeuvent l’utilisation du logiciel libre, qui exècrent Windows et Apple et qui t’expliquent que Linux c’est la vie. Je caricature bien sûr, tous les gens sur IRC ne sont pas ainsi, mais les salons de discussion que je côtoyais étaient principalement composés d’eux.

Après ma prise de conscience sur le féminisme, c’est sur IRC que j’ai continué à militer. Les années ont passé et le milieu libriste a toujours fait preuve d’un manque de féminisme flagrant. Il y avait des exceptions, on se réunissait pour échanger sur le sujet, pour se soutenir lors d’altercations.

Sur IRC, j’ai découvert plein de causes que je n’intégrais pas dans les luttes féministes, telles que la protection de la neutralité du net, la protection de la vie privée et l’importance de l’utilisation des logiciels libres et du libre, plus généralement. Je me suis rendu compte que cela servait toujours les mêmes populations : les gars cis hétéro blancs dyadiques (se dit d’une personne non-intersexe), et que les autres étaient un peu laissé-e-s pour compte.

J’étais des deux communautés : féministe de Facebook et libriste. Ces deux communautés qui bifurquent l’une de l’autre. Je voyais les féministes qui exposaient leur vie sur Facebook jusqu’à y dévoiler leur identité civile dessus, chose que j’ai faite, (quand ce n’était pas Facebook qui nous y obligeait) et je voyais les libristes ne pas prendre en compte le vécu d’une meuf harcelée sur le net, par exemple.

Utilité du cyberféminisme ?

Alors que les communautés hackers ont vu le jour dans les années 60, ce n’est qu’en 1991 qu’on entend parler de cyberféminisme. À l’époque je ne connaissais pas ce mot et je tombe sur cette définition de Wikipédia :
“Le mot cyberféminisme est utilisé pour décrire les activités d’une communauté féministe s’intéressant au cyberespace, à Internet et aux technologies numériques.”

Rapidement, je me suis intéressé à ce qui le composait. Par exemple, à Paris, il existait un hackerspace féministe : Le Reset. Un hackerspace plus généralement, c’est un lieu de rencontres entre des personnes ayant un intérêt commun souvent gravitant autour des thématiques de l’informatique, des technologies, des sciences et des arts. Le Reset proposait une charte de conduite permettant de prévenir les comportements oppressifs, mais aussi des ateliers s’adaptant à des publics subissant une ou plusieurs oppressions.

Avec tout ça, on pourrait croire qu’Internet est juste un microcosme détaché de notre vie faite de chair et d’os. On a l’impression que ça n’a pas de répercussions concrètes dans nos vies. Qu’on se retrouve en petit groupe de sympathisant-e-s d’Internet et qu’on code des trucs obscurs et secrets.

Ces dernières années, l’outil numérique s’est démocratisé et est désormais incontournable dans la communication et l’organisation politique. Je pense à son importance dans certaines luttes, notamment le printemps arabe avec Asmaa Mahfouz qui en 2011 a créé une vidéo sur Youtube pour appeler à la révolution contre le régime corrompu en place en Egypte. Une autre histoire du même acabit, une personne du nom de Khaled Said a diffusé sur Youtube une vidéo de deux policiers se servant dans une saisie de drogue. Il est retrouvé dans un cybercafé puis est assassiné quelques jours plus tard, à Alexandrie en 2010.

Après tout ça, je me disais qu’on nous offrait des outils qui touchent beaucoup de monde mais qui ne nous protègent pas des répercussions IRL. On oublie trop souvent qui crée ces outils, qui compose cette toile et qui émet les lois concernant nos données personnelles.

J’ai alors commencé à entendre parler de Facebook qui obligeait des personnes à mettre leur identité civile, moi y compris, sur leur profil, peu importe qu’on soit trans ou bien qu’on tente de se cacher d’un-e harceleu-r-euse. J’ai éprouvé la censure de Facebook avec une page exposant des œuvres d’artistes minorisé-e-s, en 2017. Par exemple, un corps mince en topless de dos était accepté mais pas un corps gros. Ou bien les tétons des uns et pas des autres. YouTube a déjà limité l’audience d’une vidéo sur les causes LGBTI+, tandis que Grindr a revendu les données personnelles (statut sérologique) de ses usag-er-ère-s à des entreprises, en 2018.

Les rapports de domination existent aussi sur Internet et celleux qui nous gouvernent peuvent à tout moment retourner toutes les informations qu’iels ont accumulées sur nous contre nous. Aujourd’hui c’est légal d’aimer la couleur bleue, alors il n’y a aucune répercussion à ce que je poste la photo de mes cheveux bleus. Mais qui me dit que plus tard, la couleur bleue ne sera pas prohibée ?

Ça ne vous est jamais arrivé de parler de collants dans vos mails sur Google et que quelques minutes plus tard, si vous n’avez pas de bloqueurs de publicités, une pub sur les collants s’affiche ? Moi si, et ça implique qu’on lit mes mails. Jamais je n’aurais accepté que mon facteur ou ma factrice ouvre le courrier que l’on m’envoie via La Poste, alors pourquoi accepterais-je que Google le fasse ?

Entre censure, collecte des données et autres

Pour moi le cyberféminisme c’est tout ça. C’est la protection de ses données quand on est queer ou LGBTI+. C’est la protection de sa vie privée quand on est féministe et/ou militant-e. Et je pense qu’il est important de s’en saisir pour se protéger nous-mêmes, dans un premier temps, mais aussi protéger les personnes avec qui on communique.

C’est là qu’arrive Wiquaya.org. J’ai créé ce site, en décembre 2020, pour nous faciliter l’expérience sur la toile. Pour réduire la probabilité d’y subir des violences : cyberharcèlement, revenge porn, outing forcé. Des violences qui concernent particulièrement les personnes queer. Avec toutes les galères que j’ai pu connaître – en tant que personne grosse, non-binaire, racisée, folle – ou que j’ai observées sur mon entourage, j’ai pensé qu’on manquait d’un lien simple et direct entre queers et outils de protection de la vie privée sur Internet.

Wiquaya signifie « se protéger » en arabe. Ce projet part de nos vécus, nos témoignages, nos difficultés mais aussi des astuces que chacun-e a développé de son côté. Comment bloquer les dickpics non désirées sur Twitter ? Comment réagir lorsqu’on subit une vague de harcèlement juste parce qu’on revendique une cause pour les droits humains ? Comment continuer à se protéger sur Internet malgré nos particularités queer ? Des réponses non exhaustives sous forme de fiches récapitulatives à prendre en main. Elles sont associées à des outils concrets et matériels tels que des références d’add-on pour son navigateur, des associations à contacter, des tutoriels pour garder une trace de commentaires haineux, etc.

Un crowdfunding est en cours pour soutenir le projet Wiquaya, tout est ici : https://www.helloasso.com/associations/wiquaya/collectes/premiere-annee-d-existence-de-wiquaya

Je vous rassure, je n’ai moi-même pas quitté les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, les géants du web). Je pense que nous avons besoin de visibilité, de rompre l’isolement, et d’avoir accès à un grand nombre d’informations médicales, sociales, techniques qu’on risque de galérer à trouver ailleurs. Donc, nous avons un besoin vital d’avoir accès à certains réseaux sociaux propriétaires (Facebook, Instagram et autres) car avec eux, on peut trouver des ressources communautaires qui sont si précieuses pour notre survie.

Se protéger revêt alors plusieurs sens. Se protéger à la suite d’une agression. Se protéger à titre préventif. Se protéger individuellement. Se protéger en tant que communauté/s.

On fréquente des endroits à risques et pour autant on ne souhaite pas ou on ne peut pas renoncer à le faire. Comment s’y retrouver pour naviguer sur ces plateformes qui à la fois nous offrent des ressources, et à la fois peuvent nous mettre en danger ?
C’est là la raison d’être de Wiquaya : redonner du pouvoir aux personnes queer/LGBTI.

Gheyme

Cet article a été publié dans le troisième numéro de notre revue papier féministe, publié en septembre 2021. Si vous souhaitez l'acheter, c'est encore possible ici.

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Ceci est le compte officiel du webzine Les Ourses à plumes.

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