Pendant encore quelques jours, vous pouvez participer au crowdfunding qui aidera au financement de ce livre de parentalité féministe Nos enfants, nous-mêmes, réédition d’un manuel paru en 1978. Rencontre avec une de ses autrices.
Vous avez la possibilité de participer, pour encore quelques jours, à la levée de fonds pour Nos enfants, nous-mêmes.
Nos enfants, nous-mêmes est un livre de parentalité féministe. C’est un projet mené par un collectif de huit femmes : Violaine, Anaïs, Lucie, Fatimata, Héloïse, Perrine, Goundo, Laetitia. A sa base, le recueil de témoignages des parents d’aujourd’hui.
En 1978, le collectif de Boston pour la Santé des Femmes publie Ourselves and our children, un ouvrage « écrit par les parents, pour les parents », en dehors des conseils malvenus, des injonctions, des stéréotypes de genre. Ce livre n’a jamais été réédité. Aujourd’hui, le collectif souhaite le réadapter à notre époque et à nos vécus. Il sera publié aux éditions Hors d’Atteinte en janvier 2024.
Nous avons eu le plaisir de rencontrer Héloïse, membre du collectif, et nous avons pu lui poser quelques questions.
Pouvez-vous nous parler de l’histoire de Nos enfants, nous-mêmes en repartant de sa naissance en 1978 aux Etats-Unis ?
Le collectif de Boston pour la santé des femmes publie en 1978 la suite de leur best-seller Ourselves and our bodies (Notre corps, nous-mêmes) : Ourselves and our children, traduit en 1980 par Nos enfants, nous-mêmes. Ce livre est devenu un classique de parentalité immédiat, car il est le premier manuel de parentalité qui donne la parole aux parents, qui est écrit à partir de témoignages de parents : c’ est un livre-ressource où puiser à différents moments de la vie, de parent ou d’enfant. En 1980, le livre est traduit en français chez Albin Michel. Nos enfants, nous-mêmes n’a depuis, jamais été réactualisé ou adapté.
Pourquoi avoir choisi, aujourd’hui, en 2021, de republier ce texte en le ré-adaptant ? Qu’est-ce qui a changé, depuis 1978, et au contraire, qu’est-ce qui n’a pas bougé ?
Il nous a semblé important de réactualiser Nos enfants, nous-mêmes pour l’ancrer dans les questionnements qu’impliquent les mutations immenses de la famille contemporaine. Éloignement et remise en question de la famille nucléaire et hétéronormative, familles recomposées, familles homoparentales, monoparentales, familles collectives, l’architecture des familles s’est diversifiée. Faire famille en 2021 n’est plus faire famille en 1978, tout simplement ! Le contexte social et politique également, d’individualité toute-puissante, d’isolement des familles, surtout des mères, mais aussi la crise écologique nous invitent à nous dire : il faut donner à la famille la place et l’intérêt qu’elle mérite, il faut aussi en faire le sujet politique qu’elle est.
Réadapter Nos enfants, nous-mêmes, c’est aussi poursuivre l’engagement et perpétuer le travail de transmission, d’une génération de femmes à l’autre, d’une époque à une autre, d’un collectif à l’autre : c’est écrire un livre-ressource, un manuel d’éducation populaire, sans jugement, loin des conseils et des injonctions.
Avec #MeTooInceste, avec les témoignages de victimes de pédocriminalité qui ont été médiatisés et récompensés de prix littéraires (Vanessa Springora, Camille Kouchner, Christine Angot…), avec les enquêtes sur la pédocriminalité dans l’Église, on voit, depuis un ou deux ans, une prise en compte grandissante des enfants, des violences qui leur sont faites, de la nécessité de les protéger. Est-ce que ce projet se place dans ce cadre-là aussi, et dans quelle mesure ?
Il est essentiel pour nous de laisser la parole aux parents, aux enfants qu’ils ont été, ainsi qu’aux enfants d’aujourd’hui. Les violences à l’intérieur de la famille sont un sujet extrêmement important et autour desquelles le tabou est omniprésent. Nos enfants, nous-mêmes sera un livre-ressource où puiser à différents moments de la vie : il nous importe donc de permettre à celleux qui le souhaitent d’y trouver des ressources, des aiguillages, mais aussi de lire les paroles de celleux qui ont été concerné-e-s par ces violences. Car ce n’est qu’en regardant cette réalité qu’on pourra déconstruire la famille lorsqu’elle oppresse et construire des familles où toustes sont libres.
“Ourselves and our children » est le titre original. Pourquoi avoir choisi de le traduire par “nos enfants, nous-mêmes”, qui j’imagine est une référence à Notre corps, nous-mêmes ? N’y a-t-il pas le risque de suggérer que les enfants sont un prolongement du corps des adultes ou quelque chose qui leur appartient ?
Notre collectif a tenu à s’inscrire dans la démarche de transmission et de partage qui est celle du collectif de Boston. Nous trouvons qu’il fait sens de garder la traduction du titre original, qui était en 1980 Nos enfants, nous-mêmes. Au-delà de cette référence, et loin de l’idée que l’enfant est un simple prolongement de l’adulte, le titre veut parler de l’amour, des liens, de l’ambivalence et des difficultés de la parentalité. De tendresse et de colère. Nos enfants, nous-mêmes évoque également l’importance du regard et du jugement. Regard de l’enfant sur le parent, du parent sur l’enfant, regard du parent sur les autres parents, des autres parents sur l’enfant, regard de la société, de la crèche, de l’école, des institutions, regard sur soi-même… La parentalité est une expérience individuelle, familiale, sociale. Une expérience transformative qui engage pour toute la vie. C’est une expérience irréversible et complexe, pour les enfants, comme pour nous, les parents. Nous avons voulu, avec la reprise de ce titre, souligner les va-et-vient, questionnements et enrichissements mutuels au sein de la famille.
Comment définiriez-vous la “parentalité féministe” ? Dans quelle mesure questionner la parentalité, et plus largement la famille, est une démarche féministe ?
Réécrire Nos enfants, nous-mêmes, c’est s’ancrer dans une histoire collective de luttes, c’est placer au centre l’écoute de l’expérience, du ressenti et de la parole des femmes et des mères, cet “angle mort du féminisme”. Les parents, mères, pères, toustes celleux qui prennent soin des enfants, sont légitimes à partager leur expérience, à l’interroger loin des injonctions au bonheur ou à l’épanouissement ultime, à critiquer les conditions dans lesquelles iels vivent leur parentalité, à s’affranchir de tout modèle ou à en proposer d’autres qui leur correspondent. La parentalité est un sujet de société qui ne doit pas être considéré uniquement comme du domaine de l’intime, du privé, de l’insignifiant, mais dont il faut au contraire s’emparer pour construire, activement, le monde de demain. Il est essentiel également, dans notre démarche féministe, de recueillir la parole multiple et diverse des “nous-mêmes” qui composent les familles, de façon horizontale : il s’agit de les donner à entendre et à lire, de les rechercher activement dans les cercles ou les lieux où cette parole est la moins accessible, et non de s’inscrire dans une démarche verticale où la vérité de celleux qui savent descendrait vers ceux et surtout celles qui ne savent pas. Les femmes doivent reprendre – et garder – la parole, et ça, c’est une démarche féministe.
Pourquoi avoir choisi la forme d’un recueil de témoignages plutôt qu’un ouvrage théorique ?
Ce qui nous anime n’est pas d’étudier la condition parentale qui serait envisagée comme objet de recherche mais de parler de ce que nous vivons et connaissons, de ce que nous retirons de notre vie quotidienne. La condition parentale est à la fois plus ingrate et plus gratifiante que ce que l’on nous en dit, que ce que l’on peut imaginer avant de la vivre : les parents ressentent des émotions, des sensations contraires. Pour les saisir, en saisir l’importance, il faut laisser les parents et les enfants parler, sans jugement, sans conseils. Le don de soi et le mouvement de décentrement, que constitue au fond la parentalité, doivent prendre, sans mièvrerie, toute leur place dans cet ouvrage, car ils sont au cœur de la condition parentale et de nos vies quotidiennes auprès de nos enfants. C’est cette balance continue, perpétuellement instable entre heurts, bonheurs et malheurs que nous pouvons partager avec d’autres parents, dans d’autres configurations de vie, d’autres structures familiales, d’autres expériences de l’être parent. Nous autrices, ne sommes pas des spécialistes de l’éducation des enfants. Mais nous sommes mères. Et nous n’écrivons pas depuis le haut d’une autorité mais depuis nos expériences et nos vécus. Nous écrivons un livre par les parents, pour les parents.
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