Mad Max : Fury Road : une course-poursuite écoféministe

« Mad Max : Fury Road » est un film d’action grand public, mais aussi un long métrage écoféministe célébrant la sororité. Paradoxal pour ce genre cinématographique ? Voici notre décryptage de l’œuvre de George Miller, sortie en 2015.

TW : violences.

© Warner Bros

Un préquel en préparation : l’occasion de reparler de ce film singulier

En avril 2021, nous avons appris la mise en route du projet de préquel intitulé Furiosa. Ce film se concentrera sur les origines de la fameuse Imperator de Mad Max : Fury Road (campée par Charlize Theron). En 2024, nous devrions donc en apprendre un peu plus sur le douloureux passé de cette héroïne. Mais revenons sur le quatrième opus de la saga de George Miller, sorti sur nos écrans en 2015. Sous ses apparences de simple blockbuster furieux, il est thématiquement bien plus complexe.

Comment ce film parvient-il à faire passer un message mêlant féminisme, écologie et antispécisme ?

La saga Mad Max : quel héritage féministe ?

Quand on pense à cette série de films, on pense tout d’abord à un outback australien apocalyptique, peuplé de mâles fous du volant et crasseux. Il est vrai que dans les deux premiers opus, il y a peu de femmes en vue. Dans le premier volet, il y a bien sûr la femme de Max. Cependant, si elle est prête à user de toute sa force pour sauver son bébé, elle n’en reste pas moins le modèle parfait de la femme au foyer. Ce n’est pas tellement un exemple de subversion de l’ordre patriarcal, donc. Dans le deuxième volet, il y a quelques femmes fortes et guerrières, mais elles restent en arrière-plan : ce sont les hommes qui sont aux commandes. D’ailleurs, les femmes sont régulièrement victimes de la violence de ces derniers. Elles sont battues, violées, tuées.

Aunty Entity, le premier personnage féminin « fort » de la saga. © Warner Bros

Par contre, dans le troisième, on voit des figures féminines et singulières émerger. Il y a, évidemment, la flamboyante et cruelle Entité (Aunty Entity en version originale), interprétée par Tina Turner et sa formidable coupe de cheveux. Elle est puissante, elle dirige la ville, elle pousse les hommes à se battre sous le Thunderdome. Pour la première fois, une femme est l’égale de Max.

Il y a aussi la jeune et tenace Savannah, qui mène avec un grand courage sa petite troupe d’enfants perdus dans ce désert inhospitalier. Les spectateurices ont donc affaire à un féminisme en filigrane, qui n’est pas au centre du récit. Tout change avec Mad Max : Fury Road.

Toustes prisonnier-ère-s du patriarcat

Avec Mad Max : Fury Road, George Miller cherche à actualiser sa saga. Nouveau casting, nouvelle cinématographie, nouvelles thématiques. La place de la femme dans la société est activement remise en question depuis les cinq dernières décennies, mais le féminisme est devenu plus médiatique ces dernières années. Le réalisateur a donc décidé d’en faire l’un de ses points de focus de sa nouvelle œuvre. Il nous dévoile un patriarcat nocif, représenté par un geôlier tout-puissant : Immortan Joe. Celui-ci contrôle tout des femmes, mais aussi des hommes : leur corps, leur vie, leur mort. Les femmes sont des vaches à lait, ou des ventres pour produire ses futurs guerriers. Les hommes sont de bons petits soldats prêts à tout pour atteindre une gloire funeste et leur précieux Valhalla (leur paradis). Le microcosme créé par Immortan Joe représente tout ce qu’il y a de plus néfaste dans notre société où les hommes dirigent : les femmes (les personnes genrées comme telles) sont exploitées, invisibilisées, humiliées ; les hommes (les personnes genrées comme tels) sont soumis à de cruelles règles virilistes.

Une femme marquée au fer rouge. © Warner Bros

Mais une figure singulière se détache. Il s’agit de l’Imperator Furiosa, iconisée dès sa première apparition. La caméra la filme de dos. Avec son crâne rasé et sa grande taille, on n’arrive pas très bien à déterminer son genre. Puis, elle s’éloigne, et nous avons une meilleure vue. Pas de doute, nous avons affaire à une femme puissante, qui a réussi à se hisser à l’une des places les plus importante de l’armée du tyran. Elle a donc un statut particulier : elle est à la fois active dans l’asservissement des femmes et des hommes d’Immortan Joe, mais elle en est aussi la victime. Cela nous saute aux yeux dès que nous la découvrons : elle arbore sur sa nuque la même marque faite au fer rouge que Max, faisant d’elle des propriétés du chef suprême.

Furosia est très courageuse : elle choisit d’aider les « Femmes » d’Immortan Joe (« Wives » en version originale) à s’échapper de leur prison de violence. Pour honorer ses convictions et les emmener vers la liberté, elle est prête à tout. Elle représente une femme qui croit en la sororité, déterminée à libérer ses sœurs esclaves. Max devient un compagnon inattendu dans cette quête. Lui aussi a subi les foudres de ce Jupiter autoproclamé : il a été tondu, il sert de réservoir de sang pour les « War Boys » (les garçons soldats) et « War Lords » (les seigneurs de guerre), il est embarqué contre son gré dans cette course-poursuite mortifère. Cette alliance paraît alors logique, comme l’écrit Belinda Du Plooy dans « ‘Hope is a mistake, if you can’t fix what’s broken you go insane’: a reading of gender, (s)heroism and redemption in Mad Max: Fury Road » (p. 425) : « Tout comme les Femmes, Max fuit le patriarche esclavagiste et s’identifie donc à leur vulnérabilité, à leur désespoir et à leur exposition, ce qui devient de plus en plus clair au fur et à mesure que le film se développe. »

Une victime du patriarcat tenue en laisse. © Warner Bros

L’Imperator Furiosa fait donc figure de féministe obligée de réagir au calvaire de ces femmes martyrisées. Max, lui, représente un allié qui accompagne, aide, apprend. Il ne se pose ni en instigateur ni en victime. Il traite Furiosa comme son égale, ce qu’elle est. On ne peut donc qu’être d’accord avec Belinda Du Plooy (p. 415) : « Le message de ce film est clairement centré sur la collaboration et la coopération comme éléments essentiels dans la rédemption d’un monde dans lequel les inégalités de genre et l’abus de pouvoir demeurent des obstacles profondément déconcertants ». Mais il y a un autre niveau à décrypter dans le message qu’offre Mad Max : Fury Road.

Apocalypse et patriarcat : un discours écoféministe (imparfait)

« Qui a tué le monde ? » C’est l’une des inscriptions que l’on peut lire sur les murs de la chambre forte dans laquelle sont enfermées les Femmes d’Immortan Joe. Elle apparaît comme une question choc. En effet, qui tue le monde à petit feu, qui exploite ses richesses sans vergogne, jusqu’à épuisement ? Le plus souvent, ce sont des hommes, aveuglés par leur soif de pouvoir, de contrôle et d’argent. Ce sont les piliers du modèle capitaliste et ravageur, en somme. Dans le monde de Mad Max : Fury Road, Immortan Joe est toujours coupable de ce pillage et de cet accaparement des ressources : lui seul contrôle les vannes qui déversent l’eau dans la vallée. Lui seul la garde pour pouvoir faire pousser des plantes dans ce désert. Dans le film, les Femmes (et Furiosa) portent un courant du féminisme, qui s’est développé dans les années 1980 : l’écoféminisme. D’après Kary Hurley (p. 347) : « La théorie écoféministe reconnaît les intersections de la domination patriarcale et de l’oppression des femmes et de la nature. Tout comme les femmes ont été dévaluées, la nature l’a été. Tout comme les femmes ont été physiquement blessées, les animaux, les arbres et l’eau l’ont été. »

Les femmes du film, fuyant vers un supposé El Dorado, la « Terre Verte » où est née Furiosa, déclarent donc que problèmes environnementaux et de sexisme sont étroitement liés, comme l’explique Carol J. Addams à Matteo Gilebbi : « Vous ne pouvez pas comprendre les problèmes environnementaux sans une perspective féministe. Et vous ne pouvez pas comprendre les problématiques féministes sans une perspective environnementale. »

La Terre Verte, le dernier mirage. © Warner Bros

Ce discours est très beau, et certains de ces points ne semblent que trop vrais. Néanmoins, ce qui se dégage du film, et de la théorie écoféministe, c’est un certain essentialisme. Dans Mad Max : Fury Road, les femmes rescapées de la « Terre Verte » se sont organisées en société matriarcale, gardienne de la vie. En effet, l’une de ses femmes transporte avec elle une mallette contenant des graines. Dans cet idéal féministe que nous présente le film, la terre et les femmes sont intrinsèquement liées. Mais cette vision est problématique. En effet, elle enferme les femmes dans des rôles bien définis, et les dote, une fois de plus, d’une position maternante innée. Cet écueil essentialiste a été relevé par Lori Gruen (p. 77-78) : « Le féminisme radical, bien que situé à l’autre extrême du féminisme libéral, marxiste et socialiste, reproduit lui aussi une notion patriarcale particulière : la croyance que la femme et la nature sont essentiellement connectées (…) le féminisme radical n’est donc pas une théorie complètement libératrice, car dans sa vision du futur l’oppresseur et l’opprimé ne disparaissent pas ; ils changent simplement de masques. »

Est-ce que le féminisme que présente Mad Max : Fury Road peut être considéré comme radical ? Peut-être. Il en véhicule tout du moins certains aspects. Les femmes ont encore de nombreuses responsabilités sur leurs épaules : elles doivent reconstruire une oasis verdoyante dans le désert, car elles semblent être nées pour ça. Elles seules peuvent le faire. Les femmes de Mad Max : Fury Road endossent la figure de Gaïa, elles libèrent les ressources (les femmes « nourrices » dont on pompe le lait ouvrent les vannes d’eau dans la vallée à la fin du film).

Le discours écoféministe est donc assez ambivalent dans cette œuvre de George Miller. Les femmes doivent se rebeller contre une force masculine proche de la culture, qui régit la civilisation post-apocalyptique (qu’elle a contribué à créer) et s’ériger en gardienne toute puissante de la nature.

Des femmes porteuses des germes d’un nouveau monde ? © Warner Bros

Mais ces femmes ne cherchent pas à redistribuer les rôles. La « culture » masculine est vue comme porteuse de tous les maux, et au lieu de s’en saisir, elles la renient. Elles retournent à la matrice dans laquelle on les cantonne depuis des millénaires, notamment via les différents panthéons religieux qui représentent les femmes comme des déesses de la fertilité (Déméter, par exemple). Comme le dit Lori Gruen, cette division ne permet pas aux femmes de se départir fondamentalement des carcans patriarcaux.

Outre leur rôle de mères nourricières sous emprise, les femmes qui peuplent le monde de Mad Max : Fury Road servent de métaphores pour d’autres êtres asservis : les femelles animaux non-humains.

L’antispécisme, discret mais présent

Pour les écoféministes, toujours, si les femmes sont exploitées par le patriarcat, les femelles animaux non-humains le sont de même. Le film instille cette idée par le biais d’une imagerie pleine de sous-texte. Tout d’abord, presque aucun animal ne subsiste dans ce désert radioactif. Les seuls que les spectateurices peuvent apercevoir sont un lézard à deux têtes au début du film, et des corbeaux, un peu plus tard. Les animaux non-humains ont donc disparu. Néanmoins, les femmes sont traitées comme des représentations des femelles animaux non-humains. Je vous ai déjà parlé des femmes devenues des « vaches laitières », nourrissant les futurs seigneurs de guerre d’Immortan Joe et abreuvant son entourage. Cette appellation n’est pas choisie au hasard. Ces femmes, alignées comme des vaches en stabulation, représentent tous les corps exploités pour le liquide qu’elles produisent. Les Femmes du tyran, elles aussi, apparaissent comme des exemples de cette violence faite aux corps femelles. Elles sont violées, « inséminées » pour produire des êtres qui partiront à la « boucherie ».

« Nos bébés ne seront pas des seigneurs de guerre » © Warner Bros

Dans cette nouvelle société, les seuls corps femelles à disposition continuent donc d’être exploités. Un lien entre sexisme et spécisme est tissé. L’écoféminisme reconnaît cette exploitation partagée. En effet, d’après ses théoriciennes, les femelles humaines et non-humaines « servent la même fonction symbolique dans la société patriarcale », comme le dit Lori Gruen. C’est ce qui est mis en lumière de façon assez littérale dans le film, les deux groupes exploités n’en formant plus qu’un.

Mad Max : Fury Road est donc un blockbuster réussi et féministe (du moins je le pense, dites-nous dans les commentaires si vous êtes en désaccord.) Il n’est pas parfait, mais il ne joue pas dans la même cour que les films de l’écurie Marvel. Il ne suffit pas de montrer quelques femmes badass et de toutes les réunir à l’écran dans une seule scène (Oui, Avengers : Endgame, je parle bien de toi.) pour véhiculer un message fort. Celui du quatrième opus de la saga de George Miller est mieux tenu, plus complexe, plus profond aussi. En sera-t-il de même dans Furiosa ?

Math

Note : toutes les traductions de citations ont été réalisées par l’autrice de l’article.

Pour aller plus loin :

-Carole J. Adams, Politique sexuelle de la viande, une théorie féministe végane, Paris, Éditions L’âge d’Homme Rue Ferou. 2016.

-Donna Haraway, Des singes, des cyborgs et des femmes. La réinvention de la nature, trad. Oristelle Bonis, préface de Sam Boursier, Paris, Éditions Jacqueline Chambon, coll. « Rayon philo », 2009.

-Jeanne Burgart Goutal, Être écoféministe. Théorie et pratiques, Paris, Éditions l'Échappée, 2020.

-Marianne Leconte, Femmes au futur. Anthologie de science-fiction féminine, Bibliothèque Marabout, 1976.

-Mary Kenny Badami, « A Feminist Critique of Science Fiction » dans Extrapolation , n°18. pp. 6–19. Déc. 1978.

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