Tendresse et puissance : vivre entre personnes queer à la Châtaigne  

J’habite à la Châtaigne. C’est un lieu de vie, de rencontre et de création au sud de Rennes, c’est aussi un endroit de réflexion sur nos modes de vie ensemble et d’outillage collectif que nous avons créé à notre arrivée dans la maison à l’automne 2019. 

La Châtaigne, qu’est-ce que c’est ?

La Châtaigne, c’est un espace moelleux où on peut exister avec nos singularités.
Un espace où il est possible d’accueillir nos combustions spontanées et de continuer à s’aimer quand même. 
Un espace où on surmonte nos difficultés et où on regarde en face nos conflits interpersonnels pour les affronter avec douceur. Où on observe aussi nos positions dans les systèmes de domination pour construire des positionnements d’allié-e-s efficaces. 
C’est un lieu queer-féministe-vénère, propice aux coming-out et un QG pour aller en manif. 
C’est un lieu de tendresse et de refuge, d’empuissancement et de bidouilles. 
C’est un lieu de résidence (mais pas tout le temps), de spectacle, de concert et de dancefloor.
C’est un lieu où on peut se rouler dans une solitude réparatrice quand on en a besoin. 
C’est un endroit de soutien, d’adelphité, de valorisation. 

Je m’appelle Mari·e, je suis non-binaire, neuroatypique, blanc.

J’habite avec deux autres personnes à la Châtaigne. Très vite, on a posé ensemble un postulat de tendresse. Pour nous, habiter en féministe signifiait s’accueillir dans nos failles et nos joies, en construisant des manières de relationner hors des schémas cis-hétéro-normés-hiérarchisés établis et des manières d’habiter à plusieurs en mixité choisie sans mecs cis qui nous donnent force, puissance et ancrage. Habiter ensemble signifie clarifier et nommer les enjeux de domination intra-châtaigne. Avant que nous n’y habitions, cette maison était le lieu de violences conjugales et patriarcales et décider d’y vivre a été pour nous un acte de récupération de territoire. 

Habiter à la Châtaigne est une première phase de test, d’expérimentation et de laboratoire de vie communautaire queer.

Faire des petits pas, les uns après les autres. J’aspire à anéantir le mythe (validiste) de la facilité à faire collectif : être avec d’autres êtres humains n’est pas simple ou évident ; vivre et créer en collectif n’est pas facile. Ça peut le devenir. Mais ça demande vigilance, engagement, douceur. C’est précisément ça qui est stimulant : comment peut-on chacun-e vivre avec d’autres personnes tout en respectant et soignant nos besoins, désirs et singularités ? Comment prendre à bras le cœur ce que nous sommes à chaque instant, avec nos fragilités, nos traumatismes, nos forces ?

BOITE A OUTILS DE LA CHATAÎGNE

Au fil de notre vie commune, nous avons mis en place des outils de régulation relationnelle et  émotionnelle, qui facilitent notre vie ensemble ; on a envie de mieux se comprendre, de s’entraider, de créer les conditions du confort et de la spontanéité non-oppressive. Ça peut paraître lourd, rigide ou exigeant. Ça peut l’être. C’est aussi ce qui me permet de vivre avec d’autres personnes en étant neuroatypique polytraumatisé. C’est formalisé, précis, rigoureux ; ce sont des protocoles de communication qui me permettent de construire une confiance dans le groupe et dans chacun·e de mes cohabitant-es – et je sais que ça leur est aussiégalement bénéfique. Nous avons créé ces outils et cadres pour rendre possible le vide, le trouble, le droit aux erreurs, la possibilité d’être fragile ; pour rendre les désaccords au moins gérables sinon désirables.

En voici quelques uns : 

  • Thermomètre, nom féminin : rituel tous les 15 jours autour duquel s’organise principalement notre vie collective et qui nous sert de prise de température de nos relations entre nous et de nos relations à la maison. C’est un moment qui mérite du soin, du temps et de la tendresse et que nous priorisons dans nos agendas, qui nous permet de réguler les équilibres et où on exprime et dénoue nos nœuds relationnels (dévalorisation, comparaison, projection, peur, incompréhensions, désaccords, conflits etc.). C’est aussi un moment d’organisation et de gestion de la vie quotidienne. 
  • Petit soleil, nom masc. : moment d’énonciation à tour de rôle de nos ressentis et des éléments de nos humeurs à prendre en compte par le collectif. Cela peut engendrer des adaptations (par exemple sur la durée, une attention particulière sur une personne, rôle d’animation qui tourne entre nous, report de certaines discussions), que nous choisissons ensemble. On fait des petits soleil en thermo et aussi lors de nos réunions d’organisation d’événements ou nos moments de création collective.

Le petit soleil est souvent précédé d’un lever de soleil. Il s’agit d’un court moment d’introspection pour faire émerger et trier nos émotions, pensées, préoccupations ; entre ce qu’on garde pour nous et ce qu’on va offrir au collectif pendant le petit soleil. 

Et quand les conflits, bug ou incompréhensions entre nous prennent trop de place et nous empêchent de faire autre chose, on invoque une praline pour en discuter :

  • Praline : C’est un protocole de gestion d’incompréhensions, avec un code couleur pour le degré d’urgence, avec un objectif simple : diminuer les mal-êtres par la parole et les prendre en compte collectivement. Tous nos malaises sont légitimes. Nous avons le droit d’exister dans nos entièretés, nos ambivalences et nos paradoxes. 

On vit ensemble ce qu’on nomme nos moments doux et drôles, qui sont le pendant léger de la thermo. C’est un moment spécial pour relationner entre nous qui ne soit pas dédié à notre habitat, il n’y a pas d’autres enjeux que d’être ensemble, donc ça peut être un apéro, un goûter, un moment de collage ou de dessin etc. 

Enfin, pour déconstruire les évidences validistes, transphobes, capitalistes, enbyphobes dans lesquelles nous avons notamment été conditionné-e-s, nous avons un dernier outil que nous utilisons :

  • Nos fiches techniques : ce sont des fiches imaginaires évolutives de certaines de nos caractéristiques (pronoms par ex), singularités, besoins de chacun-e dans le but de s’y adapter ensemble. Cela nous permet d’expliciter des choses souvent relevant de l’implicite (qui est pour moi ingérable). On se sent mieux écouté-e et on trouve des compromis collectifs, le besoin échéant. Ça nous permet aussi de repositionner dans le collectif des singularités individuelles. Par exemple : j’ai des moments où je ne peux pas parler. Pour mes cohabitant-e-s, savoir que ça peut arriver permet de désamorcer l’inquiétude quand ça m’arrive. Oui, ça va, j’ai juste besoin de ne plus parler (et de ne pas gérer les stress que ça peut générer chez les autres). 

CHATAÎGNE CRÉATIVE

La Châtaigne est aussi un lieu de création et de diffusion artistique, à notre manière, en prenant le temps, en fonction de nos énergies, avec une idée essentielle : on ne sacrifie pas nos relations sur l’autel de l’art ou d’un événement.

Nos relations et nos bien-traitances sont plus importantes que nos concerts, nos performances, nos soirées.  

On partage un espace d’atelier, avec pour chacun-e un espace-bureau. Pour construire cet espace, on a fait un aménagement consenti : prendre le temps de nommer les peurs et les expériences passées, nous laisser du temps pour réfléchir à ce qui nous paraît le plus judicieux et lutter contre nos envies de territorialisation des espaces. Cette attention vient notamment d’expériences passées de partage d’espace de création collectifs qui ont été violentes (le fameux «  si les autres ne sont pas d’accord, iels n’ont qu’à me le dire »). 

Jardin de la Châtaigne

Notre première soirée du Parc Naturel Régional des Créatures Célestes a eu lieu à l’automne 2020, entre deux confinements. C’était une soirée de performances et de concert devant une dizaine d’invité-e-s, parmi nos ami-e-s, avec Le kiff de la substance elle-même, Féroce Ecorce et Nenĭa Iră. 

Nous avions essayé de prendre en compte les risques liés au Covid, tout en étant en expliquant au préalable les modalités à chacun-e des personnes présentes, en invitant un nombre restreint de personnes, en aérant les espaces. Nous étions conscient-e-s que les conditions d’accueil n’étaient pas parfaites, on cherchait plutôt les conditions optimales, en fonction de nos moyens matériels et en transparence.

La majorité de ces outils et manières de cohabiter ont été imaginées en fonction de nos besoins. Avoir un cadre rassurant où vivre me donne énergie, force et puissance dans mes manières de lutter à l’extérieur. Nous avons enfin un entraînement collectif assez intensif de la valorisation.

C’est pour nous une pratique concrète de l’adelphité et un enjeu politique de réappropriation de nos dévalorisations permanentes.

La valorisation nous permet de hacker nos conditionnements à l’intransigeance avec nous-même et aux doutes totalisants. Ecrire cet article fait partie de cette dynamique : mettre en lumière ce que nous sommes fier-ère-s de construire. 

Parce que le monde normal normé est suffisamment oppressif, parce que nos colères et douleurs sont immenses, parce que nous méritons des espaces-joie et des collectifs-tendresses. 

Mari·e 

Nb : certaines phrases de cet article sont extraites d’un fanzine en cours de réalisation par les habitant-e-s de la Châtaigne sur ce qu’on y expérimente. 

Cet article a été publié dans le troisième numéro de notre revue papier féministe, publié en septembre 2021. Si vous souhaitez l’acheter, c’est encore possible ici.

Publié par

Ceci est le compte officiel du webzine Les Ourses à plumes.

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