Formats courts de quelques minutes, ou fleuves de plusieurs heures ; interviews, reportages ou tables rondes, les podcasts ont le vent en poupe. Ils peuvent être écoutés partout, tout le temps. Culturels, humoristiques, scientifiques, jeunesses, les thèmes sont nombreux et touchent un public de plus en plus large. Dans ce contexte, comment se définissent les podcasts féministes ? Quel rôle jouent-ils dans la société et plus particulièrement dans la lutte contre le patriarcat ?

C’est au début des années 2000, qu’apparaissent les premiers podcasts. En France, Arte-radio.com est le premier à diffuser cette forme de contenu en 2004 et de manière gratuite. Mais ce n’est que dix ans plus tard que le format podcast commence à se démocratiser, grâce à l’arrivée de plus en plus de créateur-ice-s, même si l’audience reste confidentielle. Depuis le premier confinement de 2020, le format explose. Selon une étude du CSA, en 2019, un tiers des Français-e-s écoutent des podcasts natifs, c’est-à-dire des créations audios originales, conçues pour être diffusées sur le Web, dont 12% de manière hebdomadaire.
Avec cet engouement, sont nés les premiers podcasts féministes. Un Podcast à soi, QuoideMeuf, Yesss, Miroir Miroir, The Womanist, Thé noir, La politique des putes… pour ne citer que quelques exemples. Mais pourquoi sont-ils féministes ? Créés par des femmes, ils donnent la parole aux femmes, traitent de sujets peu représentés dans l’espace médiatique et visent à déconstruire la pensée patriarcale. Quand on sait que les femmes n’ont eu que 35% de temps de parole sur les radios et télévisions françaises en 2020 (rapport CSA, mars 2021), le podcast leur offre un espace d’expression.
Elodie Potente, créatrice (avec Popnographe, graffeuse féministe à Toulouse) du podcast Et si Banksy était une femme – qui interroge la place des femmes dans le street art – explique : « prendre sa place dans la rue n’est pas inné pour les femmes. On voulait leur donner la parole, donner la parole à des personnes qu’on n’a pas entendues. […] On voulait faire parler des femmes dans un milieu qui reste masculin et qui a été créé par les hommes. »
Prendre la parole dans l’espace public
Mise en lumière de femmes artistes, questionnement de la représentation du corps ou de la beauté, information sur les cycles menstruels, traitement du féminisme intersectionnel ou antiraciste, les podcasts féministes ouvrent le débat et apportent une réflexion jusque-là inaudible. Comme l’explique la créatrice du compte Instagram et podcast Mécréantes, Léane Alestra, dans une interview à Manifesto XXI : « traiter les enjeux féministes et donner une voix aux luttes sociales nécessite bien plus d’investissement que ce que les médias ‘traditionnels’ veulent bien leur accorder. Le podcast s’impose aujourd’hui comme un format privilégié pour visibiliser ces questions ».
Et Léane Alestra va même plus loin lorsqu’elle explique les motivations qui l’ont conduite à se lancer : « Si j’avais proposé les sujets que j’aborde dans Mécréantes à des médias ‘traditionnels’, ils me les auraient refusés. » Même son cloche du côté des créatrices de La Menstruelle : « On peut traiter des sujets de niche pour lesquels il est difficile de se faire une place dans les médias traditionnels. » Ou encore d’Elodie Potente : « Le podcast est la prolongation des radios libres qui font un travail de proximité. Il s’agit de faire émerger des paroles qui ne sont pas dans les médias traditionnels. » De fait, par son indépendance, le podcast permet de traiter des sujets moins mainstream. Pour la plupart d’entre eux, il n’y a pas d’enjeu financier, donc pas d’enjeu d’audience. C’est aussi un média facile d’accès et peu cher, qui nécessite peu de matériel.
Une volonté d’engagement
Au-delà de la volonté d’être entendues, s’affirme celle d’une plus grande inclusivité. Les femmes transgenres notamment n’y sont pas oubliées. « Nous avions la volonté de créer un podcast inclusif. On parle des personnes menstruées et pas seulement des femmes qui ont leurs règles. Et on travaille à être plus inclusives », racontent Lisa et Karen du podcast La Menstruelle. Il en est de même du côté de Et si Banksy était une femme : « Le podcast révolutionne la sphère de l’intime, des sexualités et des oppressions. Le féminisme et les sujets liés aux personnes LGBTQ+ sont prônés. »
Pour ces autrices, le podcast est un moyen de participer à la lutte féministe. Ainsi, Lisa, du podcast La Menstruelle, témoigne : « Le podcast était un moyen de vivre mon féminisme. J’étais une féministe de papier mais je n’avais pas l’impression de m’engager dans un truc. »
Elles y prennent la parole dans des formats et tons variés, du récit intime à la conversation ou l’entretien, en passant par le documentaire sonore. Au-delà du podcast, le débat se poursuit sur les réseaux sociaux, augmentant alors la portée de ces discours. Il peut aussi participer d’un projet plus vaste. Avec Et si Bansky était une femme, les autrices veulent créer des événements, des rencontres et accroître la visibilité des street artistes.
Mais si le collectif et le participatif sont au centre de ces projets, prendre la parole, c’est aussi dire « je », parler de soi au nom de soi, raconter les femmes du point de vue des femmes. L’un des enjeux de la lutte féministe reste de faire entendre la voix des femmes, qui sont encore davantage racontées qu’elles ne se racontent. « Le patriarcat nous positionne en tant qu’objet, tu es une parmi d’autres. Avec le podcast, tu deviens un sujet réel. C’est un peu comme un female gaze. On peut réécrire les règles. Le podcast met les femmes en position de sujet », analysent Lisa et Karen. Ainsi, on ne s’approprie plus leur discours, elles se font entendre directement.
Mais pour quelle portée ?
Le podcast libère la parole et se démocratise. Toutefois, il reste encore l’apanage d’une petite communauté. Principalement jeunes (15-34 ans en moyenne), les auditeur-ice-s sont aussi pour la plupart urbain-e-s, et les Parisien-ne-s CSP+ y sont majoritaires (étude Médiamétrie, 2018). Les auditeur-ices comme les podcasteur-ices ne représentent pas encore la diversité et la mixité de la population. Néanmoins, la dynamique et l’expansion de ce média laissent présager qu’il continuera à gagner en résonance. « La presse classique a un pouvoir plus fort que le podcast, mais le podcast va continuer à exister. Il est un outil complètement libre et touche beaucoup de gens », défendent Lisa et Karen.
Ainsi, le podcast est une revendication en réponse à l’appropriation de l’espace médiatique par les dominants du système patriarcal et du regard porté sur les femmes. En ce sens, le nom même du podcast Et si Banksy était une femme est significatif : « Les femmes street artistes sont peu présentes sur les festivals et peu représentées. Banksy est rarement vu comme une femme ou avec beaucoup de clichés. Cette question est surtout un prétexte pour parler de ces femmes qui font bouger les choses. »
Alors, le podcast devient un outil de lutte pour apporter plus de diversité, d’inclusivité et de parité dans les représentations en faisant entendre d’autres voix et en donnant à réfléchir avec des contenus documentés et construits. Au-delà d’un microcosme de citadin-e-s éduqué-e-s aficionados des nouvelles technologies, le podcast libère et revalorise la parole des femmes, rééquilibre les discours. Dans la description de l’épisode 3 « Toulouse » de son podcast, Elodie Potente le résume bien : « Pour moi, c’est avant tout une question de visibilisation. De replacer les femmes street artistes dans la plus grande histoire. Celle qu’on a en commun. Celle de l’art urbain. Celle qui sera dans les livres scolaires, celle qu’on racontera, qu’on dira aux futures générations. » Car si chaque récit de femme, chaque parole est unique, l’enjeu de la petite histoire est enfin celui de la faire entrer dans la grande.
Octobre 2021 – une polémique qui assombrit le tableau
Le 20 octobre 2021, Médiapart publie une enquête qui dénonce les mauvaises conditions de travail dans le milieu du podcast : précarité, difficultés à se faire payer, souffrance au travail ou encore burn out. Le tweet d’Amandine Gay – réalisatrice, autrice, comédienne et afroféministe -, à ce sujet, est sans équivoque : « A trop confondre « sororité » et solidarité de classe/race, certain-e-s ont fini par justifier l’exploitation des plus précaires au nom du féminisme ».
Déjà en juillet 2021, Télérama accusait Louis Média, l’un des producteurs de podcasts les plus connus, d’opérer un management toxique, “qui fait des dégâts”, en partageant les témoignages de salariées victimes d’humiliation et en souffrance, les conduisant parfois jusqu’au burn out.
Lauren Bastide, figure emblématique du podcast féministe, créatrice du studio Nouvelles Ecoutes, est particulièrement pointée du doigt, accusée par Médiapart d’utiliser le travail d’autrices sans les rémunérer. Amandine Gay dénonce une industrie dominée par des femmes blanches issues de la classe moyenne supérieure ou bourgeoise.
Cet article a été publié dans le troisième numéro de notre revue papier féministe, publié en septembre 2021. Si vous souhaitez l’acheter, c’est encore possible ici.