NICE – Dans son ensemble rouge et noir, Eléonore, 8 ans, est plus petite que les autres footballeuses, mais elle fonce. Sa queue de cheval se balance au rythme de ses jeux de jambe. Et tant pis si ses adversaires ont l’avantage, elle leur met trois buts dans les dents en quelques minutes. Après le match, la petite fille nous explique que ses cinq sœurs font de la danse et ne comprennent pas son choix : « Le football, c’est nul, c’est juste taper dans un ballon ! » Mais Eléonore s’en fiche. L’été dernier, elle a regardé la Coupe du monde à la télé, et rêvé devant la belle performance des Bleus – arrivés en quart de finale. Au club du Cavigal Football à Nice, l’effet « Brésil » s’est fait sentir, avec de nouvelles inscriptions féminines dès la rentrée scolaire. Elles sont désormais une vingtaine de filles, entre 8 et 13 ans, mais restent ultra-minoritaires.
En France, le football est le sport le plus pratiqué, avec plus de deux millions de licencié-e-s. C’est aussi l’un des plus mauvais élèves en termes de mixité. Il ne comptait que 4,9% de femmes en 2013, selon l’INSEE. Le seul sport à faire pire ? Le motocyclisme (4,7%). Des progrès sont quand même visibles, la proportion de footballeuses a doublé depuis 2010, mais comment expliquer qu’elle reste si faible au sein du sport star française ? Une partie de la réponse pourrait bien se trouver dès la cour d’école…
Le ballon ou la marelle
Plus tôt dans l’après-midi, avant que le stade n’ouvre, les garçons du Cavigal s’entassent contre la grille. Les filles, elles, restent près de leurs parents. « Une fille, ça ne pousse pas, ça attend » ironise Nicole Abar, ancienne footballeuse et fondatrice de l’association Liberté aux joueuses, qui milite pour plus d’égalité dans le sport. Elle intervient notamment dans les écoles, pour tenter de casser les clichés filles-garçons.
« Dans le ventre de maman, le petit garçon ne sait pas jouer au foot » assène-t-elle comme une évidence. D’ailleurs, dans les premières années de la vie, les parents sont fiers des prouesses physiques de leur progéniture, fille ou garçon, lorsqu’il s’assoit ou marche pour la première fois. Puis, avec les années, une différenciation va se faire entre les petits garçons et les petites filles : « dès trois ans, dans la cour de récré, l’espace des filles se restreint ». Les garçons courent, jouent au ballon, occupent l’espace, tandis que les filles jouent à la marelle ou à la maman dans un coin, comme un miroir de notre société adopté dès l’enfance.
Le « corps-bonheur »
La petite fille n’ose pas prendre trop de place. Avec le risque de faire pareil, plus tard, dans tous les domaines de sa vie, à la maison ou au travail. « Le corps de la femme est un combat féministe depuis longtemps , avec l’IVG, la contraception… » énumère Nicole Abar « mais on a oublié la notion de corps-bonheur, le corps qui fait la course, cette sensation de liberté ». De quoi construire une solide confiance en soi pour la suite.
Au début des années 2000, à Bagneux, Nicole Abar a testé le programme « Passe la balle », dans une école primaire. Les enfants devaient jouer au football en équipe mixte. Les garçons se sont plaints, surtout les plus grands : « Les filles, elles ne marquent pas ! ». Les filles, aussi, ont râlé: « Ils gardent la balle pour eux ! ». Puis progressivement, les stéréotypes se sont effrités, et les critères pour réussir ne dépendaient plus de votre sexe mais de vos capacités personnelles et de votre travail. L’expérience fut un succès. A la fin, dans la cour de récré, certains garçons jouaient spontanément à la corde et certaines filles au football.
Des stéréotypes à la pratique
Les ABCD de l’égalité se sont inspirés du travail de Nicole Abar, qui est devenue chargée de mission nationale. Sauf que cela a réveillé la colère des opposants à la théorie du genre. Une réaction que l’ancienne joueuse a bien du mal à comprendre : « On fabriquerait des petites lesbiennes en puissance ! Quel rapport ? Quand je m’adresse à des petites de 3 ans, je leur parle simplement de liberté et d’envie. »
Mais qu’en disent les parents ? « Quand ils viennent voir, ils comprennent » nous assure Nicole Abar. Selon elle, il n’y a pas de « méchants », nous sommes tous victimes des stéréotypes que nous avons intériorisés. Revenons sur le terrain du Cavigal Football à Nice. Derrière un grillage, Othman, comme beaucoup de papas – et quelques mamans – observe sa fille jouer. Ses yeux brillent de fierté. Adepte de football, il nous explique qu’à chaque fois que sa femme tombait enceinte, il espérait qu’elle aurait un garçon avec qui jouer : « Finalement, c’est une fille ! Pourquoi pas ? C’est que du bonheur ! ». Et, non, ce n’est pas lui qui l’a forcée ! Sarah s’est prise de passion pour le football cette année. Elle nous explique pourquoi : « Quand tu touches le ballon, quand tu marques un but, tu ressens de la joie ». Interdiction de brûler les ailes de ces petites footballeuses !
DOSSIER Le football féminin en France… Aïe ! Nicole Abar : le ballon au pied et l’égalité au cœur Femmes dans le football : un problème de représentation ?