Mlle Svenskah : un art torturé et coloré

 » Je me peins parce que je passe beaucoup de temps seule et parce que je suis le sujet que je connais le mieux  »   (Frida Kahlo)

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Rachel Duel / Mlle Svenskah © 2015

En observant tes œuvres, on remarque que tu représentes souvent une fille blonde qui te ressemble énormément. Est-ce toi ?

Mlle Svenskah : « Oui c’est bien moi. Souvent les gens pensent à tort que ma « surreprésentation » est du pur narcissisme, mais c’est totalement l’inverse. C’est un exercice prescrit ma psy il y a quelques années pour que j’apprenne à nous accepter mon image et moi. Il fallait que je me confronte à mon image. Aujourd’hui, c’est aussi et surtout pour être entièrement fidèle aux idées que j’ai dans la tête (composition, position du corps, etc..). Et comme le disait si bien Frida Kahlo « Je me peins parce que je passe beaucoup de temps seule et parce que je suis le sujet que je connais le mieux ». »

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Rachel Duel / Mlle Svenskah © 2015

Tu as récemment exposé ton retable L’Ananas mystique manifestement inspiré du retable de l’Agneau Mystique des frères Van Eyck. Tu utilises également de manière fréquente l’iconographie religieuse chrétienne. Pour quelles raisons ?

Mlle Svenskah : « Je viens d’une famille athée et communiste, donc les croyances religieuses n’ont aucun rapport direct dans mon travail. Mais petite, j’ai toujours été fascinée par les codes esthétiques religieux (vitraux, feuille d’or, peinture, etc.). J’adorais visiter les églises juste pour y voir les œuvres qu’elles pouvaient abriter. C’est dans cette optique là que j’ai étudié les retables religieux et contemporains cette année dans le cadre de mon master. Ces études du retable puis des polyptyques profanes sur plusieurs siècles m’ont permis déjà d’appréhender certains thèmes bibliques n’étant moi-même d’aucune confession et de me rendre compte que même sans avoir d’éducation religieuse, l’inconscient collectif occidental est imprégné de la morale judéo-chrétienne. La notion de bien et de mal sont par exemple traduites dans mon œuvre par les démons (l’ananas) et les anges (la pastèque).

Je vois aussi le retable, ou plutôt polyptyque, comme une nouvel forme d’art, à l’époque les retables servaient à éduquer les peuples, raconter des histoires, c’est ce que j’ai voulu faire avec mon « Retable de l’Ananas Mystique », raconter ce qu’il s’était passé dans ma vie depuis une tentative de suicide. Je voulais revenir à la fonction primaire de l’Art qui pour moi était : d’instruire, de communiquer, et de véhiculer une image, et donc : raconter mon histoire. »

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Rachel Duel / Mlle Svenskah © 2015

Des cornes diaboliques en forme de banane, le mal en forme d’ananas, le bien en pastèque.. Pourquoi cette obsession pour les fruits ?

 

Mlle Svenskah : « Mon obsession des fruits date de ma plus tendre enfance. J’ai toujours été fascinée par les pastèques. Les ananas sont venus un peu plus tard à l’adolescence. C’est effectivement une sorte de représentation du bien et du mal, ce sont les deux fruits qui me tempèrent.

L’ananas pour le mal : Parce qu’il est jaune, couleur la plus détestée en Europe, couleur toxique chez les insectes… Son aspect est piquant, ses feuilles coupent et puis si on mange trop d’ananas notre langue devient rugueuse, son goût est acide. Lorsqu’un ananas pousse on dirait que cela sort des entrailles de la terre, cela fait une sorte d’excroissance, c’est très étranges. Les ananas symbolisent en général la souffrance physique et morale dans mon travail.

La pastèque pour le bien : pour son côté rond, doux, lisse, sucré. Sa couleur rouge chatoyante (couleur de l’amour et de la passion). Elle est gorgée d’eau sans lequel nous ne pourrions vivre. C’est aussi mon premier souvenir gustatif. Je vous renvoie au film Le goût de la pastèque de Tsé Ming Yang, qui parle aussi d’obsession à la limite du désir sexuel envers la pastèque.

Les autres fruits n’ont pas de réelle signification. J’aime en peindre plus que d’autres par pur souci d’esthétique et de chromatique (kiwi, banane, fruit de la passion, orange…). Les fruits m’apprennent beaucoup sur le monde qui m’entoure. L’année dernière, je choisissais chaque semaine un fruit et je l’observais pendant une semaine, pour voir comment il pourrissait, comment la lumière jouait sur lui, etc. »

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Rachel Duel / Mlle Svenskah © 2015

On sent nettement l’influence de Frida Kahlo dans certaines de tes œuvres  Tu aurais une relation privilégiée avec cette artiste ? Y a t il d’autres peintres qui marquent ta production artistique ?

Mlle Svenskah : « Frida Kahlo est pour moi, avec Vincent Van Gogh, la BASE de la peinture. Ces deux artistes m’influencent depuis toute petite. Ma mère m’a même raconté qu’à 6 ans je lui aurais dit : « Bah si Van Gogh m’avait connu il ne se serait jamais suicidé ! ». La souffrance personnelle de ces deux artistes me touche énormément, je me retrouve énormément dans tout ça. En ce moment il est vrai que je suis dans une « période Frida Kahlo » assez intensive, mais j’ai aussi beaucoup d’affection pour : David Hockney, Francis Bacon, Lucian Freud, Nathalie Lete, Natalia Rak, Shannon Taylor, et aussi David Bowie, qui avant d’être un incroyable musicien et chanteur est un peintre de talent diplômé des Beaux-Arts. J’aime énormément également le mouvement préraphaélites et les muralistes mexicains. »

« L’art ne dépend ni l’âge, ni du genre, mais surtout de ce que l’on ressent »

Quelle est ta relation au féminisme et à la place de la femme dans l’art ?

Mlle Svenskah : « Actuellement je suis de très près le mouvement « He For She » relayé par Emma Watson, mais je ne revendique aucune féminité particulière dans mon travail, puisque comme le disait si bien Patti Smith : « I never felt opressed because of my gender. When I’m writing a poem, or drawing, I’m not a female, I’m an artist. » Je n’aime en général pas qu’on inclue mon genre dans ma pratique plastique. Je pense que l’art ne dépend ni l’âge, ni du genre, mais surtout de ce que l’on ressent. Je peins parce que je ne peux pas vivre sans cela, pas parce que je suis une femme. »

Tu exposeras à nouveau à la rentrée prochaine et tu aideras la chanteuse Sapho pour sa propre exposition. Tu peux nous en dire plus ? 

Mlle Svenskah : « J’exposerai à nouveau personnellement, à la rentrée, à la Crêperie le Crabe-Cerise à Wattrelos, qui encourage de nombreux jeunes artistes à exposer. Je suis heureuse d’exposer dans ce lieu, d’autant plus que le patron est d’une gentillesse incroyable, il suit mon travail depuis quelques années, et puis la cuisine bretonne est à tomber par terre là bas !

Sapho est la marraine de mon école, c’est dans ce cadre qu’elle a sollicité les étudiants de mon école pour l’aider sur sa prochaine exposition « ISLAH / SLIHA » qui sera dans la continuité de la sortie de son nouveau recueil de poèmes Blanc. Nous sommes actuellement trois étudiant(e)s sur le projet. L’exposition aura lieu en octobre dans l’enceinte de mon école. C’est vraiment un honneur et un plaisir incroyable de travailler avec une si grande artiste dont j’ai les vinyles chez moi. Elle est absolument adorable et m’a vraiment aidé à me réaliser artistiquement dernièrement. »

Tu pratiques le Quidditch en club et ta chambre est tapissée de posters d’ Harry Potter… Cette passion a influencé ta production artistique ?

Mlle Svenskah : « Effectivement je suis la fondatrice de l’équipe de Muggle Quidditch de Lille (Black Snitches) (facebook.com/LilleMuggleQuidditch) J’ai toujours admirée le travail de Mina Lima sur les films de la saga, à un moment je voulais moi-même devenir props makers tellement j’étais subjuguée par leur travail. Le travail de Jany Temime sur les costumes est tout aussi incroyable. »

Quels sont tes projets d’avenir ?

Mlle Svenskah : « Actuellement, j’espère obtenir mon diplôme l’an prochain puis partir à Londres tenter ma chance en tant qu’illustratrice de livres pour enfants. »

 

Pour suivre Mlle Svenskah, tout se passe sur Tumblr.

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Tin Hinan est étudiante en histoire de l’art et anthropologie. Particulièrement touchée par les questions d’oppression des femmes et de racisme, elle va, entre autres, tenter de vous montrer comment l’art peut en être un excellent témoin. Vous la retrouverez souvent dans la chronique Femme & Art mais aussi ici et là selon l’actualité. Image : Lehnert & Landrock, Ouled Naïls, 1905