L’Orient fanstasmé : le mythe de l’almée

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Gunnar Berndtson, Almée, an Egyptian Dancer, 1883, huile sur bois, Crédits © Wikimedia

De femmes savantes …

Les almées tirent leur nom de l’arabe « alim » qui signifie « savant(e) ». Femmes instruites, elles avaient pour rôle dans les harems du Caire d’instruire les femmes de riches seigneurs. Elles enseignaient la danse, la musique, le chant, les bonnes manières, l’art de se parer, la fabrication de produits cosmétiques, le tissage et la broderie. Certaines étaient de surcroît guérisseuse et sage-femme. Elles préparaient des potions réputées miraculeuses qui leur donnait la réputation d’être magiciennes. Tout le monde n’était pas jugée digne de devenir une almée. Il fallait une belle voix, une connaissance parfaite des règles de sa langue, la pratique de divers instruments de musique et la capacité d’improviser des chants adaptés aux occasions où elle était appelée. Les almées ne montraient leur visage que devant d’autres femmes. Les hommes de la maison les écoutaient depuis une pièce voisine.

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Jean-Léon Gérôme, L’Almée, 1863,  Crédits © Wikimedia

… à danseuses du ventre.

Les almées ont énormément inspiré l’orientalisme du XIXe siècle. Pourtant en regardant sa production artistique (littéraire ou picturale), on se rend bien compte que les femmes représentées sont bien loin de la réalité égyptienne. Pour la majorité des toiles, elles sont représentées dansant à moitié nues. La version de Gerôme représente même des hommes assis confortablement pour regarder le spectacle. En réalité, la plupart des danseuses représentées par les orientalistes sont des danseuses de rue, des femmes pauvres qui parfois avaient été emmenées en Europe pour s’exhiber à l’Exposition Universelle.

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Jean Geiser, Une almée, carte postale, Alger  Crédits © Wikimedia

Aujourd’hui « almée » a pris le sens de « danseuse du ventre ». Un certain nombre de club de « danses orientales » se baptisent sous ce nom. Comme le terme « mauresque », celui d’ »almée » fut (et reste) un terme fourre-tout qui permet de qualifier une femme nue orientale. La photographie ci-dessus est une carte postale de Jean Geiser (1848-1923) représentant une « almée » prise à Alger. C’est un excellent exemple pour illustrer cette déperdition de sens. Les almées ont exercé au Caire, donc en Egypte et non à Alger, en Algérie – mais les oeuvres orientalistes entrent rarement dans ce genre de subtilités. Inutile également de mentionner sa tenue dénudée et sa pose lascive qui encourage le tourisme colonial à cette époque.

Ce phénomène se retrouve dans bien des approches colonialistes des arts féminins. C’est d’une façon similaire qu’au Japon les geishas ont été assimilées par les Blancs à de simples prostituées. L’hypersexualisation et l’appropriation du corps des femmes non-blanches est ainsi un trait constant de l’idéologie raciste.

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Tin Hinan est étudiante en histoire de l’art et anthropologie. Particulièrement touchée par les questions d’oppression des femmes et de racisme, elle va, entre autres, tenter de vous montrer comment l’art peut en être un excellent témoin. Vous la retrouverez souvent dans la chronique Femme & Art mais aussi ici et là selon l’actualité. Image : Lehnert & Landrock, Ouled Naïls, 1905

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