Jurassic World ou une représentation très préhistorique de la femme

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Le quatrième volet de la saga Jurassic Park a tout à envier au premier opus de la série, tant celui-ci semble tout droit sorti d’un cerveau reptilien plus que primaire. D’un bout à l’autre du film s’accumule un ramassis de clichés plus misogynes les uns que les autres. Certes, dans un film, la caractérisation des personnages est importante, mais quand elle devient caricature sexiste, elle peut devenir dangereuse. Alors qu’après cinq minutes, en prenant un certain recul, on peut encore en sourire, au bout d’un quart d’heure, on souhaite plus que tout que ce blockbuster tant attendu par les fans ne soit rien qu’une parodie grotesque, et les mains jointes, nous prions pour que réalisateur et scénariste ne se soient pas volontairement prêtés mains fortes pour construire une vision aussi basique  (et méprisable) de la gente féminine. Si ton ironique il y a, chapeau bas à l’équipe du film, car le sarcasme reste à peine perceptible, bien qu’au fond de nous on ne puisse s’empêcher de balancer imperceptiblement, et tout aussi mécaniquement, nos têtes de droite à gauche, les yeux rivés sur l’écran, et de serrer les poings et les dents dans un long soupir intérieur. Devant tant d’images si désobligeantes on ne peut qu’abdiquer, ce blockbuster est un hymne machiste, un hommage à la virilité bestiale de l’homme et à sa domination sur les êtres faibles et pleurnichards que sont les femmes !

Les canons de la préhistoire

En ce qui concerne la représentation canonique des personnages féminins dans l’économie du film, celle-ci est malheureusement à prendre au « sérieux », dans le sens où les trois (et uniques) personnages féminins – si l’on peut dire trois étant donné le temps passé à l’écran de deux d’entre elles – et leur relations on peut les résumer à peu près à ceci : une mère aimante, qui confie ses enfants à sa sœur – carriériste célibataire, froide calculatrice vénale, inconsciente des risques qu’elle fait courir aux visiteurs et à sa famille – qui elle-même confie ses derniers à une jeune stagiaire qui passe la durée du film à utiliser son smartphone. On notera que les trois femmes sont d’ailleurs toutes les trois toujours suspendues au téléphone, dans l’incapacité de communiquer les unes avec les autres pour se mettre d’accord : la technologie n’est pas l’apanage du sexe faible apparemment. La première, mère, travailleuse et attentionnée, finit par pleurer toutes les larmes de son corps lorsqu’elle comprend, grâce à un puissant instinct maternel survolant les océans, que ces deux fils sont en danger.

Quant à la seconde, Claire, que l’on suit tout au long du film, elle fuit les monstres en talons et tailleur, remontant ses manches en signe de bonne volonté devant le bel homme sauvage, Owen, qui travaille pour elle et qui ne la respecte pas. Mais miracle, elle évolue ! Elle évolue tellement, qu’elle passe d’un statut de sombre femme vénale irresponsable, à celui d’amante du héros, et potentielle mère de substitution pour ses deux neveux auxquels elle n’a par ailleurs accordé aucune attention jusque-là. Pour parler de la dernière, Zara Young, la stagiaire fantôme collée à son téléphone qui ne s’occupe pas des enfants comme convenu, belle et fraîche irresponsable, elle meurt dans d’atroces souffrances picorée de tous bords par différentes bestioles affamées.

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 Crédits © Flickr / Miguel Angel Aranda (Viper)

Politiquement et socialement, ce qui se trouve mis avant dans ce film est inquiétant : les femmes ne semblent pas capables de combiner travail et vie de famille, devant faire le choix entre le rôle de mère aimante qui doit sortir de sa réunion de travail pour s’inquiéter de ses enfants, et travailleuse acharnée qui ne peut pas s’attarder sur les sentiments. Tout est dit : entre travail et famille il faut choisir, dans le monde cruel dans lequel évoluent des dinosaures domestiques travailler ne semble pas donné à tout le monde et ne permet pas le temps de penser à fonder une famille ! Claire Dearing, sans cœur ni état d’âme qui ne pense qu’à sa réussite et la prospérité de son parc, n’a pas le temps d’avoir une vie affective et sociale, elle n’a d’yeux que pour le profit et va même jusqu’à engager une stagiaire pour surveiller ses neveux venus lui rendre visite. Elle n’est d’ailleurs pas du tout au courant de l’âge de ceux-ci et les ignore jusqu’à ce qu’on lui rappelle qu’ils courent un risque. Ceci-dit les neveux Zach et Gray n’ont pas l’air peiné de ne pas voir leur tante comme il était prévu dès le départ. Après tout, les dinosaures sont bien plus impressionnants, et semer la « baby-sitter nommée d’office » est bien plus amusant. Belle image des femmes donc pour les deux enfants.

La femme est pointée du doigt, ramenée à une faute originelle impardonnable, renvoyée au monde des émotions, bannie du monde cartésien que le parc de dinosaures réserve aux hommes

Le personnage de Claire pourrait être un personnage fort et intéressant si on enlève son incroyable silence face à la présence du dompteur Owen Grady qui la remet à sa place, au sens propre, c’est-à-dire celle de la femme obéissante. Lui, c’est son milieu, c’est son domaine, il sait. Il va même la mettre face à sa culpabilité jusqu’à la faire pleurer lorsqu’elle découvre les dégâts causés par le monstre engendré par sa cupidité. La femme est pointée du doigt, ramenée à une faute originelle impardonnable, renvoyée au monde des émotions, bannie du monde cartésien que le parc de dinosaures réserve aux hommes. Comme son assistante, Claire est pointée du doigt, et désignée coupable, coupable de ne pas s’être occupée des deux enfants Zach et Gray, coupable de ne pas ressentir de fibre maternel ! Pour Zara cela augure le châtiment divin, pour Claire la rédemption…

Claire n’est d’ailleurs, avant de faire équipe avec Owen, d’aucune utilité et ne fait que mettre ses neveux encore plus en danger lorsqu’elle tente de les joindre au téléphone attirant ainsi sans le savoir le dinosaure vers les enfants. En effet, elle repart de zéro, et perd ainsi toute autorité, tout pouvoir, pour céder à cet homme brutal, qui va la guider pas à pas comme si elle n’était plus qu’une enfant (en talons aiguilles certes) qui va finir par se transformer d’elle-même en appât à T-Rex dans un grand élan héroïque… pour tomber dans la séduction (et les bras d’Owen), irrésistiblement attirée par ce bloc de testostérones qui n’a pas froid aux yeux et qui sait la faire taire. Ainsi, tout est bien qui finit bien, et Claire, délivrée du mal (et non du mâle) que lui causait trop de responsabilités, retrouve un instinct maternel perdu, enfoui trop longtemps sous une carapace de femme d’affaires dure à cuire. Suffit.

Un harem reptilien à dompter

Pour résumer, si c’est bien de sexisme qu’il s’agit, c’est du gras et du lourd, et je pèse mes mots ! Peut-être s’agit-il de contrebalancer avec le poids des mastodontes qui jalonnent le cadre de l’histoire ? Comme cet immense Indominus Rex (doit-on voir ici encore dans la racine latine du mot dominus, un lien avec l’idée de « maître de maison » qui renvoie le personnage de Claire à son incompétence lorsque « l’animal » s’échappe de son enclos), dinosaure créé de toute pièce avec l’accord de Claire pour rapporter plus de bénéfices au parc et plus de sensations aux visiteurs. Un dinosaure qui va coûter très cher à notre « héroïne », qui a naïvement négligé l’instinct prédateur de ces monstres, carnivores d’un autre temps.

Et de ces derniers parlons-en ! Bien évidemment pour rester fidèle au roman originel et à ses adaptations, le film conserve la règle suivante : nos amis les dinosaures, sont des dinosaurEs… ce qui en soit ne soulève pas de question – sauf si l’on pousse l’analyse jusqu’à dire que les femmes seraient alors perçues comme un mystère archaïque impossible à maîtriser par l’homme – mais dans cet épisode, cela devient plus dérangeant, lorsque dans une scène, Owen, l’homme virile de la situation, tout de muscles et de force vêtu, montre qu’il a tout pouvoir sur son petit harem de vélociraptorEs qu’il assujetti d’une simple geste. Et quoi de plus beau que d’entendre un personnage masculin, expliquer qu’il entretient même avec nos demoiselles carnivores  « une vraie relation ». Doit-on y voir une métaphore de la domination paternaliste encore ici ? De la faiblesse du sexe féminin qui doit être guidé et dompté par les hommes pour mieux savoir se conduire comme il fait ?

Peut-être que c’est extrapoler et interpréter à notre désavantage (pauvre figure féminine, réduite à quelques griffes, et crocs, dangereux prédateurs, heureusement tenus en laisse par notre beau héros bodybuildé)… La domination de ce troupeau de femelles par un seul homme a tout de même lieu de déranger, et de titiller d’autant notre agacement déjà éveillé par les clichés précédents. Car, ce film semble vouloir prôner ce rapport de domination non seulement sur les animaux du parc, mais également sur les femmes et les hommes « faibles » comme Gray qui doit apprendre à devenir un homme. Owen évoque le fait qu’il est le « mâle alpha », en imposant le respect aux autres, on voit déjà comment s’annonce les archétypes patriarcales à travers la figure dominante de héros blanc américain, qui contrôle le monde.

Ces hommes, ces héros

Ce film mériterait donc de passer le test de Bechdel, bien connu des défenseur-se-s de la condition féminine dans les représentations scénarisées et qui pose trois questions simples auxquelles les critères du médium doivent correspondre : l’œuvre expose au minimum deux femmes identifiables (elles portent chacune un nom) ; qui parlent ensemble, d’autre chose que d’un personnage masculin… Repasser le film pour voir ce qu’il en est m’épuise d’avance ! Cependant, rassurons-nous comme on peut, le film n’est pas que machiste, et les stéréotypes féminins que l’on y trouve ne valent pas mieux que les images du brave Owen, taillé dans la liberté et la chair. Car, si on se penche d’un peu plus près sur le personnage d’Owen, les scénaristes n’ont pas été tendres avec lui tant il devient risible. Il est l’homme de la situation, libre et rebelle, il fait de la moto et aime bricoler, comme tout homme naturellement. De plus ce monsieur taciturne est dresseur de bêtes sauvages s’il vous plaît ! Il sait parler aux femmes – humaines et dinosaures – et sait s’en faire apprécier et respecter, car il a bon fond et qu’elles le sentent. De plus Monsieur muscles semble conscient de son puissant sex-appeal, étant donné qu’il se permet d’embrasser Claire sans s’assurer de son consentement.

Un panel de personnages de toutes les couleurs, si stéréotypés que le film en devient presque xénophobe

Côté clichés, on est donc aussi bien servi. Du côté des deux enfants, Zach et Gray, on a un adolescent boutonneux qui ne fait que baver devant la chair fraîche qu’offre les corps dénudés toutes les jeunes filles qu’il croise (c’est l’été, le climat est équatorial, short et maillot de bain sont de rigueur) et un enfant en passe de devenir un homme, car de gringalet intellectuel il va suivre son frère qui va l’initier à l’art d’être un homme, un vrai, par la mécanique (encore, décidément). Quant aux autres personnages masculins, il s’agit d’un vrai salad bowl, un patchwork incensé qui, pour ajouter une touche de finesse au film, celui-ci, en tentant de voguer sur la vague du multiculturalisme, ne fait qu’offrir un panel de personnages de toutes les couleurs, si stéréotypés que le film en devient presque xénophobe. La réduction des origines de chacun d’entre eux à une caractéristique les rend peu crédible et ne fait qu’appuyer une vision du monde et paternaliste réductrice : le rôle de l’adjuvant noir qui ne fait que confirmer que le héros a raison (joué par Omar Sy), un Indien capricieux qui joue avec ses gadgets jusqu’à écraser son hélicoptère, un asiatique scientifique qui prend pour acquis le fait de créer des monstres pour faire plus de bénéfices… Un beau tableau de personnages donc, en total désaccord avec le premier Jurassic Park qui se jouait des stéréotypes culturels.

Voilà ce qu’offre ce film qui vante une Amérique lisse, toute droite sortie d’un croisement entre une publicité des années 50 pour femme au foyer, et une belle invitation pour une immigration choisie et catégorisée. Mais, peut-être qu’il ne s’agit seulement que d’une fresque représentant la modernité, où tous celles et ceux qui ne font pas corps avec la nature finissent gobé-e-s par une entité archaïque qui les rattrape car les personnages en ont oublié les valeurs ? On espère en tout cas, que ce film n’a pas été trop pris au sérieux par le public, et qu’ils ont su faire la part des choses, et ne garder que le côté spectaculaire des effets spéciaux avec un certain regard d’enfant…