Une histoire de sciences et de formes
Quand on s’intéresse à l’histoire de la mode, une constante apparaît : les plus grands tournants au niveau de la forme apparaissent lorsqu’un vêtement du dessous passe sur le dessus. Autrement dit, lorsqu’un sous-vêtement devient un vêtement de tous les jours.
C’est notamment le cas de la dernière grande révolution dans la mode féminine avant le port quotidien du pantalon : la robe-tunique, ou robe empire. En mousseline de coton blanche, elle devient pour les femmes dans les années 1760 une tenue de négligé, autrement dit une tenue que l’on porte chez soi, loin des regards du monde. C’est une tenue portée sans corset : le corps est libre de ses mouvements. Sur ce portrait d’Elizabeth Vigée le Brun, la Marquise de Polignac porte une robe tunique en mousseline blanche, rehaussée d’une ceinture dite « de petite fille » avec un châle noir pour contraster.

Le corset est en effet depuis quelques années décrié par les anatomistes, qui faisaient office de chercheurs scientifiques à l’époque. Pour eux, ce sont des objets de torture qui écrasent et maltraitent le corps, provoquant des lésions irréversibles, notamment chez les femmes enceintes qui continuaient à écraser leur ventre.
On peut lire dans De la conservation des enfants ou moyens de les fortifier, de les préserver et guérir les maladies, depuis l’instant de leur existence jusqu’à l’âge de la puberté de Jospeh Raulin écrit en 1768 : « Si les femmes grosses veulent se mettre à l’abri d’un nombre d’accidents de différentes natures, il est de toute nécessité qu’elles renoncent absolument au corps de baleines. […] Elles sont une espèce de torture, favorite des femmes, parce qu’elles conservent à leur taille des grâces que la grossesse diminue, quand on laisse à l’abdomen une liberté de se dilater ».
Il faut cependant bien comprendre que ces considérations sont plus scientifiques que politiques : on ne cherche pas à libérer la femme, on cherche simplement à améliorer la santé des patientes afin qu’elles mettent au monde des enfants (presque) sans danger. C’est bien plus une idée patriarcale qu’une volonté de la libérer de ses entraves.
Une tenue indécente
Malgré ces nouvelles considérations, la robe à la française que nous avons vue la dernière fois continue jusque dans les années 1785 à être la tenue officielle de la journée – même si des variantes telles que la robe à l’anglais ou la robe à la polonaise existent. Si les plis changent, la forme reste la même : le haut du corps est totalement modelé par le corset, si bien que la taille est extrêmement fine et les hanches exagérées, tout comme la gorge.
C’est une tenue qui cache le corps, et le sculpte, si bien qu’elle seule est décente. La robe-tunique demeure réellement une tenue intime. D’où ce terrible scandale lorsqu’Elizabeth Vigée le Brun, peintre officielle de la reine expose un portrait de Marie Antoinette en robe-tunique. C’était comme voir la reine nue.

Une nouvelle mode éphémère
Pourtant, dans les années suivantes la robe-tunique devient une tenue qu’il est convenable de porter à l’extérieur – elle devient même « à la mode ». C’est une véritable libération pour les femmes qui peuvent sortir sans corset, même si on ne peut pas parler de volonté politique. Comme toujours, la mode correspond plus à un nouveau goût, à savoir celui pour l’Antiquité. On a au XVIIIe siècle une nouvelle passion scientifique pour l’Antiquité dont on relit et réinterprète les textes et les arts. Le théâtre qui se ferme au peuple, les salons et les bibliothèques proposent une Antiquité vue comme étant le moyen de sauver cette société perçue comme décadente.

La royauté a de moins en moins de pouvoir, la France a de nombreuses dettes et le peuple a faim. La bourgeoisie essaye de prendre une nouvelle place politique, ce qui ne plaît pas à l’aristocratie. Les textes stoïciens et leur nouvelle idée de la vertu sont donc des moyens selon les penseurs et les aristocrates (qui sont souvent les mêmes) de restaurer le pouvoir absolu des privilégiés.
La robe-tunique devient de fait la tenue des aristocrates : chère car en coton qu’on ne sait tisser que depuis peu de temps, blanche et associée à une vie oisive d’études, simple car devant prouver la nouvelle simplicité vertueuse de la vie. Elle devient très rapidement et jusque les années 1805 la tenue favorite des peintres : de nombreuses femmes ont été représentées dans cette robe, souvent d’ailleurs dans des études les représentant dans une Antiquité fantasmée, ou encore en étude. Peu à peu, l’Empire fait néanmoins son œuvre et les femmes recommencent à devoir sculpter leurs corps : Napoléon avait pour but de retourner à un gouvernement absolu, tout aussi bien au niveau de la législation que vis-à-vis des vêtements. La robe-tunique redevient donc un sous-vêtement.
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