
La sortie du film Victoria en DVD, de Sebastian Schipper, est l’occasion d’un cadeau intéressant (pour les derniers Noël retardataires) pour celles et ceux qui aiment les défis cinématographiques. Victoria est en effet un film tourné en… une seule prise ! Mais au-delà de cet unique plan séquence saisissant il y a aussi une histoire, celle d’une jeune fille désœuvrée qui rencontre, à la sortie d’un club, un groupe de jeunes un peu perdus sous l’emprise de l’alcool. A travers ces 2h14 de méandres nocturnes, Schipper tente de faire voyager son spectateur au cœur d’un film d’apprentissage, vestige d’un certain romantisme allemand…

Cliché instantané de la vie nocturne berlinoise
Certes, Victoria est avant tout un concept : un film tourné d’une traite et dont ressort au final trois prises, donc trois versions intégrales diffusables. Trois films uniques parmi lesquels il a fallu n’en choisir qu’un. Diffusé aux Berlinales – où il obtient le prix du public – puis en avant-première américaine au TIFF cette année 2015, le film mérite qu’on se penche sur sa forme et sur son fond tant sa force réside dans son interprétation et son concept au caractère néo-réaliste.
Sommes—nous au cinéma ou dans la réalité ? On finit par s’y perdre et par ne plus trop savoir, tant la caméra semble invisible, fluide, présente et absente à la fois. Comme Victoria, nous rêvons d’une vie moins monotone, d’une vie d’expériences premières, d’étonnements, de risques. Et cette expérience devient le film lui-même. L’écoulement du temps est réel, chaque seconde est celle vécue par les personnages. Avec Victoria nous vivons l’instant, et pas le temps de réfléchir, de questionner : les réponses se font spontanément. 2h14 de souffle retenu, de vie à l’état brut. Certes on reste conscient-e qu’autour de nous existe un autre monde et qu’on est plongé dans une fiction, une représentation de ce qu’est la réalité de cette jeune fille qui va découvrir la face sombre du monde qui se cache derrière la porte qu’elle a entrebâillée. Victoria a fait son choix

Victoria – femme en mouvement
Mais Victoria c’est aussi une histoire, et le nom du personnage éponyme. C’est le parcours d’une jeune fille un peu perdue dans une capitale effervescente, pleine de rebondissements. Une virée nocturne qui en partant d’un flirt va se transformer peu à peu en cauchemar. Victoria est-elle en manque de reconnaissance dans cette ville qu’elle ne connaît pas pour y être arrivée depuis peu ? Que cherche-t-elle en suivant ce groupe de gars, pas bien méchants mais plutôt bien bourrés ? La curiosité d’une escapade vers l’inconnu dans le vrai Berlin. Un désœuvrement collectif.
Que cherchent-ils tous après tout ce soir-là ? Peut-être une preuve de leur existence. Après tout, vivre c’est se mouvoir. La raison pour laquelle le cinéma semble être un excellent vecteur de vie, par les mouvements qui l’anime et qu’il met aussi en avant. Une prise pour dire quoi ? Pour dire déjà que la vie n’est pas si simple, et qu’elle est un perpétuel mouvement vers l’avant, une perpétuelle progression, comme le récit avec un début, un milieu et une fin.

Liberté et désenchantement
Victoria, c’est également un personnage qui fait le choix de prendre un risque car elle s’inflige envers une certaine violence en acceptant d’entrée dans le monde de cette bande de mâles, de marginaux qui trempent dans des magouilles pas très nettes. Tous semblent d’ailleurs sous le charme de la jeune prodige, pianiste déconcertée, qui ne sait plus trop ce que lui réserve la vie à part désillusions et improvise au gré de ses envies, au gré des situations.
CARPE DIEM se dit-elle, car on ne vit qu’une fois ! Mais à quel prix ? Est-ce la recherche de l’aventure ? L’envie d’appartenir enfin à quelque chose qui pousse l’héroïne dans les bras du crime, qui lui fait franchir certaines limites ? Est-ce l’ennui pascalien dont on parle ici ? Sans doute. Agir pour ne pas penser. « Faire » pour compenser un vide, un manque. Victoria, la pianiste ratée, cherche à se construire une autre vie ailleurs. Car, peut-être que cette petite Espagnole esseulée dans la grande capitale qu’est Berlin, ne sait plus d’où elle vient, ni où elle va. Elle a sans doute besoin de repères, et cette soirée arrosée lui permet de sortir du quotidien morose qu’elle sert tous les jours dans un petit café de quartier bobo pour 4€ de l’heure. Ce qu’elle est venue faire là, on ne le saura pas. Victoria c’est une course effrénée contre la montre et vers le désenchantement. C’est l’envie pressante de vivre, une pulsion incontrôlable de vie, mais aussi de mort.