Nuit Debout est un mouvement engagé qui se revendique égalitaire et paritaire. Or, un mouvement qui prône l’égalité doit avoir comme principe l’égalité entre les femmes et les hommes. Pourtant, ici comme ailleurs, les femmes sont victimes de sexisme ou même parfois victimes d’agressions. Alors, quelle place pour le féminisme à Nuit Debout ?
Nuit Debout occupe la place de la République depuis le 31 mars 2016 et a essaimé un peu partout en France. Si l’objectif de l’égalité entre les femmes et les hommes est prôné depuis le début du mouvement, les choses ne sont pas toujours évidentes concrètement.
Se réapproprier la parole publique
Concernant la répartition du temps de parole, il a fallu presque un mois au mouvement pour acter le principe de parité. C’est une question d’éducation : pour intervenir ainsi en public, il faut se dire que sa parole a de la valeur, que l’on a quelque chose à dire, que l’on pourra le dire fort pour être entendu.e. de tou.te.s. Or, culturellement, les femmes sont habituées à être à l’arrière-plan. Ce sont donc les hommes qui s’accaparent la parole. C’est la raison pour laquelle s’est mise en place une commission « Féminismes », qui sort son chronomètre et compte les interventions, après avoir tenté, sans succès, d’instaurer une prise de parole en fermeture-éclair sur le principe d’une alternance stricte femme-homme.
Dans la société, cela ne va pas de soi, pourquoi en serait-il autrement sur la place de la République ? C’est pour favoriser cette évolution de la société et créer des espaces de prise de parole plus libres que se sont créées des réunions féministes non-mixtes. La non-mixité choisie, pour les femmes et les minorités de genre, est un outil d’émancipation, une étape. Mais que ce soit à Nuit Debout ou dans la presse, ce principe ne va pas de soi. La non-mixité choisie est vécue comme une volonté d’exclusion, voire de discrimination. Pourtant, le but est de créer des espaces où la parole des opprimé.e.s puisse se libérer. Le refus, dans les groupes dominants, de voir ces espaces exister ne manifeste finalement rien d’autre que la crainte de voir leurs privilèges s’effondrer.
Les mêmes réactions ont été observables dans le cadre la préparation de « paroles non-blanches », dans le cadre de l’occupation de l’université Paris 8 récemment et le camp d’été décolonial, qui doit se tenir au mois d’août. Ces initiatives ont fait des vagues qui ont éclaboussé jusqu’à l’Assemblée Nationale et se sont retrouvées taxées de racisme. La non-mixité viendrait conforter une vision de la société raciste. Mais force est de constater que le racisme, comme le sexisme, sont des fléaux structurels : la non-mixité, qui exclut les femmes, les minorités sexuelles ou les personnes racisées, est une réalité dans les institutions et les cercles de pouvoir. Faire le choix de la non-mixité est alors une façon pour les groupes minorisés de se réapproprier l’espace. C’est d’ailleurs le sens de l’appel lancé par Médiapart pour le droit à la non-mixité.
Lutter contre toutes les formes de violences faites aux femmes
Mais le temps de parole n’est pas le seul écueil auquel a été confronté le mouvement Nuit Debout. Plusieurs récits ont pointé du doigt les violences dont ont été victimes certaines femmes place de la République : insultes, agressions, violences sexuelles. Après avoir mis en place la Charte Féministe du 38 mars (8 avril 2016) qui posait comme premier principe que « les comportements dans le cadre du mouvement [devaient] être non sexistes (ni remarques déplacées à caractère machiste ni harcèlement…) », le 6 mai 2016, les commissions « Féminismes » et « Accueil et Sérénité » ont publié un communiqué commun pour revenir sur les violences sexistes, lesbophobes ou transphobes.

Sans minimiser ces violences, ni prendre la parole pour les victimes, les commissions rappellent que les violences sexuelles ne sont pas des faits divers, mais bien des crimes, qui touchent toutes les couches de la société quels que soient les milieux culturels ou sociaux. « Pour lutter contre le sexisme sous toutes ses formes et sensibiliser tout le mouvement, en plus de ce que nous avons déjà entamé, nous collaborerons avec des associations spécialisées et mettrons tout en œuvre pour construire un espace le plus égalitaire et le plus accueillant possible place de la République. »
Nuit Debout, qui n’est pas à l’abri des dérives qui traversent toute la société, a pour mérite de pointer du doigt ses propres dérives et d’interroger son fonctionnement afin de créer un espace le plus sûr possible pour tou.te.s. Mais plus largement, ce qui se passe à Nuit Debout nourrit les débats dans l’espace public, les médias traditionnels se saisissent de thèmes qu’ils n’auraient jamais abordés sans cela. C’est peut-être ainsi qu’évolueront les mentalités et les structures de la société.
Quelques liens :
– Un article de Christine Delphy sur la non-mixité : lmsi.net
– « Comment #NuitDebout gère les agressions sexuelles et le sexisme en son sein? » sur Slate.fr
– Nuit Debout : Quelle place pour les féministes dans le mouvement? sur cheekmagazine.fr