Pouvez-vous vous présenter ?
Wendie Zahibo : J’ai 24 ans et je vis en France depuis 8 ans maintenant. Mes parents sont originaires de la Centrafrique et de la Côte d’Ivoire. A l’âge de 3 ans, mon père a été muté en Guadeloupe et j’y ai vécu jusqu’à mes 18 ans. Suite à l’obtention de mon baccalauréat, j’ai fait deux années de prépa à La Rochelle puis une école de commerce à Bordeaux. J’ai terminé mes études il y a deux ans. Avant d’entamer une vie professionnelle, je suis allée vivre au Brésil 6 mois pour découvrir la culture et la langue portugaise. Je suis rentrée en janvier 2015 pour travailler sur mon projet de livre.
Peux-tu nous raconter la genèse des « Reines des Temps Modernes » ?
Au Brésil, j’ai eu le déclic. J’écris depuis toute petite, de la poésie et de la prose, des textes relativement courts, sans jamais les avoir soumis à des avis extérieurs. J’étais aussi confrontée à cette question de l’identité, comme le fait de vivre en Guadeloupe avec des parents originaires de deux pays africains. J’ai pu voyager aux États-Unis durant mes études, donc j’avais ces trois influences : être noire, vivre aux Caraïbes, être influencée par la culture américaine comme beaucoup de jeunes filles qui vivent sur ces îles. Et en même temps avoir cette éducation très africaine, donnée par ma mère. Je pense qu’être partie au Brésil seule, sans connaître la langue, ni aucune connaissance sur place en étant une jeune femme noire c’est très bizarre, surtout à Sao Paulo où les distinctions entre les Blanc-he-s et les Noir-e-s sont très fortes, puisque 80 % de la population brésilienne est métissée et les 20 % restants sont Caucasiennes. Mais 90 % des richesses du pays est détenue par cette minorité.
J’avais la chance de vivre dans des « beaux quartiers », de visiter de beaux endroits, mais j’étais tout le temps la seule femme noire. Chaque personne que je rencontrais me disait : « Toi, tu n’es pas brésilienne ». Avec ce sous-entendu : « si tu étais brésilienne, tu ne serais pas dans ces quartiers chics ». Je pense que vivre cela quotidiennement, avec des questions comme « Êtes-vous la femme de ménage » en rentrant chez moi, tout cela a créé ce questionnement et je me suis dit : que pourrait-on faire pour qu’on se sente fière de son histoire, de sa culture ? Et j’ai réalisé que nous avions besoin de modèles dans la vie, différents de ceux qu’on nous présente habituellement.

Quand on regarde les médias en France ou ailleurs, on ne présente pas beaucoup de modèles aux jeunes femmes noires. On ne voit que des modèles issus d’une population blanche et on ne s’y reconnaît pas forcément. Je me suis mise à chercher sur Internet des figures de grandes héroïnes et j’ai commencé à écrire « Reines des temps modernes ».
Comment as-tu construit ton ouvrage ?
J’ai choisi mes dix héroïnes et rédigé mes dix textes au Brésil sans avoir de titre, ni même savoir ce que je ferais de ce travail. A mon retour en Guadeloupe, j’ai parlé de mon projet à mes parents en leur expliquant que je voulais créer un ouvrage sur les héroïnes africaines, mais que j’avais des difficultés à mettre tout cela en images pour le faire vivre.
J’ai finalement trouvé le titre « Reines des Temps Modernes » en Guadeloupe. Dans les cultures africaines, la réincarnation, la place des ancêtres, l’héritage, la transmission sont des notions très importantes. Je me suis dit pourquoi pas faire revivre ces héroines à travers des femmes actuelles, et proposer des images en face de ces textes. J’ai fait appel à dix amies pour poser en tant que modèles, ce qui était un très bon moyen de diffuser ensuite le message à ses proches.
J’ai ensuite rencontré un designer graphique via Facebook car j’avais en tête ce que je voulais en terme d’images, mais je n’avais pas la technique, ni la manière. Il a adoré mon projet et il m’a mise en contact avec un photographe et un retoucheur. J’ai aussi la chance d’avoir une cousine styliste qui a conçu les tenues portées, et une autre amie maquilleuse.
Je ne sais pas pourquoi je voulais absolument une couverture en bois, peut-être pour le côté précieux d’un bel objet d’art. Jusqu’à maintenant j’ai rencontré les bonnes personnes au bon moment.
As-tu proposé ton livre à des maisons d’éditions en France ?
Je l’ai proposé à quelques maisons d’éditions mais je voulais d’abord essayer l’auto-édition d’où le lancement d’une campagne de crowdfunding afin de tester mon ouvrage face au public. Et c’était pertinent par rapport à ma démarche.
Sur cinq envois de maquette, j’ai eu un seul retour et d’une maison qui n’est pas française ! En France c’est un peu compliqué même si je comprends le fait que c’est difficile d’être une jeune auteure. Mais il faut faire ses armes.
Ton livre fait beaucoup référence à l’Histoire africaine notamment à travers les femmes. L’Histoire de ces femmes est-elle transmise dans les familles qui ont cet héritage impressionnant ?
Dans ma famille ce n’est pas le cas. Mais je sais que dans les familles afro-descendantes, nous avons une image de la femme africaine qui est très différente de ce que l’on voit habituellement. On voit cette femme africaine soumise, non battante. Pourtant quand on grandit dans une famille africaine on sait que c’est tout sauf cela, donc on grandit avec des modèles féminins forts, proches de nous.
Je pense qu’il y a un manque de connaissance dans les familles, mais aussi à l’école, il faut être un peu autodidacte. Nous avons la chance d’avoir Internet, donc on peut faire des recherches de son côté car les informations ne sont pas forcément facilement accessibles. C’est pour cela que je crois à la pertinence et la nécessité de ce projet qui permettrait d’avoir accès à ces connaissances trop gardées, trop enfouies.
Quelle est l’héroïne qui t’a le plus marquée ?
Abla Pokou, elle est originaire du Ghana mais elle a émigré en Côte d’Ivoire pour fuir une armée étrangère hostile. Elle a dû sacrifier son fils pour permettre à son peuple de survivre. Cette histoire m’a beaucoup marquée, car je trouve qu’on vit dans une société assez individualiste, et le fait de voir une femme prête à sacrifier son propre et unique fils pour sauver toute une communauté, montre à quel point il est parfois nécessaire de mettre coté ses intérêts personnels pour le bien du plus grand nombre.
Tu as aussi une émission « Reine d’un jour » sur Youtube, quel est son objectif ?
A force d’interagir avec de nombreuses personnes pour mon projet de livre, je me suis dit pourquoi ne pas élargir le public, car l’idée est de faire prendre conscience aux jeunes filles noires ou non que l’esprit d’une reine ou héroine vit en elles. Et de nombreuses jeunes femmes en sont la preuve.
Je me suis dit qu’à moins de créer un livre de 500 pages, je ne pourrais jamais parler de toutes ces femmes. J’ai trouvé que la vidéo était un bon moyen de mettre en avant des profils de femmes se battant pour leurs rêves, leurs projets, qui sont déterminés, venant de partout et touchant tous les domaines professionnels.
Quelles sont les personnalités que tu admires actuellement, et qui pourraient figurer dans ton livre « Reines des temps modernes » ?
Je dirais Christine Taubira. Elle est très cultivée et elle se bat pour ses convictions. C’est quelqu’un qui se bat pour ses rêves, ses projets et ses ambitions. A l’international, Lauryn Hill, que j’apprécie depuis que je suis toute petite.
Je suis aussi admiratrice de l’auteure Maya Angelou, qui écrit des poèmes comme « Phenomenal Woman ».