Regroupés sous le titre Queer Ultraviolence. Bash Back! anthology en 2011, on trouve des communiqués, des interviews, des textes théoriques qui tracent un portrait du mouvement, depuis sa construction fin 2007 jusqu’à son suicide en 2010.
Traduite par extraits sous forme de zine ou de brochure, cette anthologie est enfin intégralement disponible en français. Nous sommes allées à une rencontre avec les traducteur·ice·s, Diabolo Nigmon et Decibel Espanto.
Le mouvement Bash Back !
En novembre 2007 aux Etats-Uni, des militant.e.s anarchistes se réunissent pour préparer l’opposition au congrès national républicain (CNR) de 2008 (au cours duquel le parti républicain devait choisir un·e candidat·e pour l’élection présidentielle). La volonté d’organiser la présence d’un groupe queer radical dans les manifestations se fait sentir : le communiqué du 13 novembre (premier texte de l’ouvrage) dit : « les participant·e·s ont exprimé le souhait de voir un cortège trans et queer prendre part de façon active et agressive à la stratégie de blocage du CNR ».
« … le souhait de voir un cortège trans et queer
prendre part de façon active et agressive à la stratégie de blocage… »
En Janvier 2008, les 4 points d’unité de Bash Back ! sont publiés, et quelques mois plus tard, la première convergence a lieu à Chicago.
En anglais, le « bashing » est un verbe qui signifie agresser (verbalement ou physiquement). Il est particulièrement utilisé pour les actes homophobes. Le slogan « Bash Back ! » est donc une réappropriation. Dans le lexique qui accompagne la traduction, la définition proposée par les traducteur·ice·s est : « riposter à une agression adressée spécifiquement à des pédés, des gouines, des trans ».
Les groupes de Bash Back ! étaient laissés libres quant à leur organisation et aux actions menées. Les cibles sont diverses : églises, figures de la répression, mais aussi mouvements LGBT assimilationnistes (c’est-à-dire militant pour l’accès aux mêmes droits que hétérosexuel.le.s sans se préoccuper de remettre en question les normes). Le mode d’action, revendicatif et radical, est en rupture avec le reste du milieu queer. Diabolo Nigmon les décrit comme des groupes « juvéniles et survoltés » dans leur façon de faire de la politique.
…des groupes « juvéniles et survoltés »
Diabolo Nigmon

Pour donner un exemple, les traducteur·ice·s citent le texte « Finis les cierges, passons aux torches » publié en 2011, qui propose des « alternatives délinquantes à la Journée du souvenir trans ». Cette journée (Transgender Day of Rememberance, ou TDoR, le 20 novembre) commémore chaque année les victimes de la transphobie dans une ambiance de recueillement habituellement pacifique (d’où les « cierges »). Dans ce communiqué, les auteur·ice·s expliquent qu’ielles ont refusé « d’écouter en silence les politicien·ne·s de la soi-disant « communauté trans » réciter les noms de nos mort·e·s à la lumière des chandelles, même si ça semblait fort romantique », et ont « préféré [s’] aventurer dans la nuit et le brouillard d’un automne du Nord-Ouest pour graffer des slogans ». Opposé·e·s aux prisons et donc à l’appel à une législation sur les crimes de haine, ielles souhaitent « la fin du système capitaliste que la police protège », et concluent par « PAS DE COMMÉMORATION SANS VENGEANCE ! NOUS NE REPOSERONS PAS EN PAIX ! »
Le mouvement Bash Back ! contribue ainsi à « la construction d’une culture queer insurrectionnaliste et criminelle » pour D. Nigmon. Même après sa dissolution en 2010 (entre autre à cause de désaccords internes sur la question de la violence), et notamment grâce à la publication de cette anthologie sous le titre Queer Ultraviolence, l’insurrectionnalisme queer perdure. Le terme « ultraviolence » est d’ailleurs ici à lire avec un peu d’ironie selon les traducteur·ice·s : il est utilisé pour contredire l’idée selon laquelle les personnes queers seraient fragiles et intrinsèquement non-violentes. Leur moindre écart à la non-violence est alors perçu comme de l’ « ultraviolence ».
Une traduction collective, militante et située
Dès sa publication en anglais, l’anthologie est traduite par extraits en français et en castillan dans des brochures et des zines. Les militant·e·s de la bande à Cris-Tea travaillent bénévolement à la traduction et à la diffusion des textes en France. L’engouement rencontré en convainc quelques un·e·s de s’atteler à la tâche d’une traduction complète, convaincu·e·s qu’elle sera utile à leurs camarades.
« La traduction, c’est comme le reste, c’est un truc de dominants »
Decibel Espanto
Dans une démarche de refus de l’académie (ou encore par « volonté d’envoyer chier les universitaires »), les traducteur·ice·s revendiquent une traduction militante et située.
Elle leur autorise non seulement une grande liberté linguistique, mais aussi permet de s’adapter au public cible, et garantit l’utilisation de termes militants exacts. Un lexique à la fin du livre et des références supplémentaires sur le contexte aident aussi à comprendre les enjeux politiques autour de l’écriture de certains des textes.
Par exemple, le terme queer a été gardé en anglais dans les textes mais les traducteur·ice·s proposent dans le lexique de le traduire par « transpédégouine », l’idée n’étant pas de reproduire mot à mot le signe « LGBT » mais plutôt de se réapproprier des insultes, et de traduire au maximum la grande inclusivité du terme anglais qui couvre « un éventail d’identités et de radicalités très large ». Dans le texte « Vers la plus queer des insurrections » qui a donné son titre à la version française, le queer est d’ailleurs présenté comme « un territoire en tension, défini en opposition au récit dominant […] mais aussi en affinité avec tou·te·s celleux qui sont marginalisé·e·s, exotisé·e·s et opprimé·e·s ».
Des thématiques diverses sont abordées : sexe public, travail du sexe, religion, histoire des insurrections queers, question tactique de la violence, définition du queer etc. Pour les traducteur·ice·s, cette traduction était nécessaire et utile. Néanmoins, ielles gardent un regard critique sur le texte. En particulier, ielles mettent en garde contre une transposition directe dans le contexte français. Deux exemples : aux Etats-Unis, le militantisme pour les droits des LGBTIQ est beaucoup plus institutionnalisé et professionnalisé qu’en France, et sur la question des identités, le discours identitaire, principalement propagé par le gouvernement et les non-profits (organisations à but non lucratif), est fortement rejeté par les militant·e·s alors qu’en France on assiste à une multiplication des identités dans le milieu.
En conclusion, ce livre, en plus de contribuer à construire une indispensable mémoire collective, devrait alimenter la réflexion collective sur la construction d’un mouvement queer radical.
Informations utiles :
Où vous procurer le livre : sur le site des éditions Libertalia, au café-librairie Michèle Firk de Montreuil où la présentation a eu lieu, et sûrement prochainement dans d’autres bonnes librairies.
La brochure avec des extraits traduits sur infokiosques.
Sur l’histoire de Bash Back !, deux émissions de « On n’est pas des cadeaux ! émission radio transpédégouine et féministe » ici et là.
Sauf contre-indication toutes les citations sont extraites de l’ouvrage.